Cécile Kyenge, originaire de RDC, est députée européenne et ancienne ministre de l’Intégration italienne.
L’année 2016 marquera un tournant décisif dans l’histoire de la République démocratique du Congo. D’ici la fin de l’année, les congolais devraient se rendre aux urnes pour élire leur nouveau président de la République. L’usage du conditionnel est ici obligatoire, tant l’espoir de voir les électeurs exprimer leur choix en toute liberté semble aujourd’hui compromis. Et pourtant. La Constitution congolaise adoptée par référendum en 2005 et promulguée en février 2006 par le chef de l’État Joseph Kabila Kabange –élu une première fois en juillet 2006 et réélu en 2011 lors des scrutins présidentiel et législatif contestés– ne peut assumer que deux mandats consécutifs. Afin de mettre la nation congolaise à l’abri de mauvaises surprises, l’article 220 de la Constitution souligne que «le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle».
En toute logique, le président Joseph Kabila devrait donc quitter ses fonctions en décembre 2016, au terme de son mandat de cinq ans. Mais voilà, les atermoiements du chef de l’État et son silence sur ses intentions sont devenu la règle d’une stratégie politique aussi illisible que périlleuse. On est en droit de croire que ce silence fait partie d’une stratégie bien orchestrée, déjà que le président de la République a lui-même déclaré, je cite : «Je ne parle que lorsque je me convaincs que ce que je veux dire est plus lourd que mon silence». C’était lors d’un voyage à Lubumbashi en décembre dernier.
En effet, alors que neuf mois nous séparent de l’élection présidentielle initialement prévue le 27 novembre prochain, sur la dizaine de scrutins annoncés en 2016, à ce jour seule la date des élections provinciales a été officiellement fixée par la Ceni. Pour le reste, le calendrier électoral est englué dans un flou total, ce qui risque de précipiter la RDC dans le chaos, vue l’immense défi que constitue l’organisation des élections dans ce pays dont la superficie est comparable à toute l’étendue de l’Europe de l’Ouest.
Une chose est sûre : plus les jours passeront et plus la Communauté internationale sera forcée de croire que la stratégie du «glissement», souvent évoquée par l’opposition et la société civile pour dénoncer les « réels » objectifs du Palais de la nation, est bel et bien au cœur de la stratégie politique du pouvoir en place. Certains observateurs sont d’ailleurs d’ores et déjà convaincus que l’élection présidentielle n’aura tout bonnement pas lieu en 2016. Ce qui est en soi un préjudice pour la démocratie congolaise.
Plus inquiétant encore, la vague de répression qui s’est abattue dans le pays depuis janvier 2015, mois au cours duquel plusieurs dizaines de personnes ont été tuées lors de manifestations contre le régime actuel, laisse présager le pire. Dans son dernier rapport annuel intitulé Ils sont traités comme des criminels. La RDC fait taire des voix discordantes pendant la période préélectorale, Amnesty International fait état d’arrestations et de détentions arbitraires généralisées dans tout le pays. «Les opposants politiques, les membres d’organisations de la société civile et les journalistes étaient les principales cibles de cette répression», assure Amnesty. «Certains ont été arrêtés et soumis à des mauvais traitements, d’autres ont été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès iniques, sur la foi d’accusations forgées de toutes pièces». De son côté, Human Rights Watch pointe du doigt le rôle des agents des services de sécurité et des renseignements congolais, accusés de violences et d’actes de tortures à l’encontre d’opposants et d’activistes.
La timidité de l’Union africaine sur le dossier congolais laisse quelque peu perplexe. À son tour, le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme et de la Monusco ont recensé 143 cas de violations des droits de l’homme liés au processus électoral entre janvier et septembre 2015, et rien qu’au mois de janvier 2016, la BCNUDH a enregistré 411 cas, soulignant une forte proportion d’exactions extrajudiciaires.
Les pontes du régime crieront au scandale, dénonçant des rapports produits par des organisations soi-disant à la solde de puissances occidentales. Mais qui, aujourd’hui, a le courage de nier l’arrestation arbitraire de l’un des opposants congolais, le député Martin Fayulu ? Qui ose mettre en doute les raisons du transfert du président de l’Association Lwanzo Lwa Mikuba, Vano Kiboko, du centre pénitencier de Makala vers la prison militaire de Ndolo ? Peut-on vraiment nous faire croire que cet ex-député de l’opposition fomentait un mouvement insurrectionnel à Makala ? Et encore : peut-on fermer les yeux sur les neufs militants de la Lucha arrêtés à Kinshasa et à Goma lors de la journée « ville morte » ? Comment justifier la coupure du signal de RFI à l’aube du 16 février ? Ce même jour, le Front citoyen a fait état des menaces de la part des autorités municipales de Lubumbashi et dans d’autres capitales régionales. Bref, qui peut nier tous ces faits?
Ce sont là autant de questions qui devraient interpeller la Communauté internationale, à commencer par l’Union africaine, dont la timidité sur le dossier congolais laisse quelque peu perplexe, laissant à quelques États occidentaux le soin de dire tout haut ce que beaucoup de citoyens africains, fatigués de voir leurs leaders s’accrocher au pouvoir sans légitimité, commencent aussi à dénoncer avec véhémence.
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