Le mois d’avril 2016 marquait le 26ème anniversaire du discours de feu Président Mobutu Sese Seko sur la démocratisation des institutions dans le pays. Dans sa foulée se tenait la Conférence Nationale Souveraine (CNS) qui avait tenu à éplucher certaines pages noires de notre histoire. Notamment celle concernant les assassinats politiques durant les 32 ans de règne du «Grand Léopard». www.Afriwave.com revient sur cette époque en relevant le cas de l’assassinat de l’un des fils du pays en la personne de Pierre Mulele. C’est fut en 1968 !
Pierre Mulele, fut l’ancien membre fondateur et Secrétaire Général du PSA (Parti Solidaire Africain), ancien Ministre de l’Education dans le gouvernement Lumumba, fut ambassadeur du gouvernement de Stanleyville au Caire. Il gagna Pékin après le Conclave de Lovanium en 1962. Il revint au Congo (Zaïre) pour y animer le mouvement insurrectionnel et demeura dans le maquis de 1963 à 1968. Année où il se rendit au Congo-Brazza-ville d’où il fut transféré pour trouver la mort par assassinat à Kinshasa, en octobre de la même année.
Les faits incriminés
Le 2 septembre 1968, Pierre Mulele de son maquis de Kwilu apprend la concentration des lumumbistes au Congo-Brazzaville et décide de s’y rendre en vue de se concerter sur la lutte. Arrivé au Congo, le 13 septembre 1968, il est récupéré à partir de Ngabe par la gendarmerie qui le conduit à Brazzaville et le met en résidence surveillée. Il a un entretien le 14 septembre 1968 avec le président Marien Ngouabi, entretien durant lequel il met le président congolais au courant de son projet. Celui-ci par respect du principe de bon voisinage le dissuade et le convainc de la nécessité de négocier son retour au pays avec les autorités de Kinshasa, dans le cadre de l’amnistie générale qu’elles venaient d’accorder à tous les opposants politiques. En accord avec Mulele, le président congolais feu Marien Ngouabi en fait part à Monsieur Akafomo, alors chargé d’Affaires du Congo-Kinshasa au Congo-Brazza en face, à qui il demande de transmettre ce vœu au gouvernement congolais.
En vue d’éclairer la nation en Conférence sur cet ignoble assassinat, la «Commission des assassinats et des violations des droits de l’homme» a entendu les personnes suivantes :
D’après Akafomo, interrogé par la Commission, c’est Pierre Mulele lui-même qui, fatigué par cinq ans d’une vie de maquis, a pris l’initiative de contacter les autorités zaïroises en vue de son retour au pays. L’amnistie accordée par Kinshasa à tous les opposants l’encourageait dans cette démarche. Cette assertion est confirmée par Monsieur Bomboko et le Général SINGA, et surtout par Monsieur Nicolas MONDJO, à l’époque ministre des Affaires Etrangères du Congo-Brazzaville lorsque dans une interview publiée à l’Agence Congolaise de Presse (ACP) du 5 octobre 1968, il déclare : «nous sommes un gouvernement et nous avons accueilli Monsieur Pierre Mulele conformément à la Convention de Vienne sur les réfugiés politiques. Monsieur Pierre Mulele nous a exprimé son désir d’entrer en contact avec l’ambassade du Congo-Kinshasa à Brazzaville pour fixer les modalités de son retour, d’une façon légale au pays natal».
Cependant, L’examen des faits à la lumière de la déposition de Monsieur Mukulubundu démontre le contraire. Mulele n’a jamais pris l’initiative, de lui-même, de son retour au Zaïre, car s’il en avait envie, il lui était loisible à partir de Kikwit de se rendre à l’autorité publique et dans le cadre de l’amnistie, revendiquer ses droits. D’ailleurs, lors de son séjour au Congo Brazzaville, Mulele n’a pas bénéficié du traitement réservé à tous les exilés politiques, de surcroîts anciens ministres de leurs pays. C’est plutôt en criminel de droit commun qu’il a été arrêté à Ngabe et transféré à Brazzaville où il fut détenu pendant plus de 15 jours au camp de la gendarmerie, sans contact avec les lumumbistes qu’il voulait voir et dans des conditions indignes d’un homme de son rang.
Pendant ce temps, le président Ngouabi qui avait besoin d’appui extérieur pour légitimer son coup d’Etat trouve là une occasion de normaliser les relations déjà mauvaises entre les deux pays de par l’appui apporté par le régime Massamba Débat aux insurgés zaïrois. C’est lui qui a persuadé Mulele de rentrer au pays prenant appui sur la loi d’amnistie proclamée par le Zaïre (Congo) à cette époque et en vertu du principe de bon voisinage.
L’insistance des jeunes officiers congolais du CNR sera telle que le 27 août 1968, recevant une délégation des lumumbistes réfugiés au Congo, lesquels ne voulaient pas entendre parler d’un transfert de Mulele, le Premier ministre de l’époque Alfred Raoul, déclare, selon Monsieur Mukulubundu : «nous avons déjà décidé que Mulele devra partir. Demain Bomboko viendra pour conclure des accords concernant sa rentrée au pays. Mobutu nous a donné sa parole d’honneur. La lutte à l’extérieur ne représente pas grand-chose. Il vaut mieux rentrer. Nous entretenons des rapports de bon voisinage avec les pays voisins. Si vous n’acceptez pas son retour, nous serons contraints de traiter avec la délégation de Kinshasa sans votre consentement».
On ne sera pas surpris d’apprendre lors de la CNS du Congo Brazzaville que ce dernier pays a réclamé en 1972 à Mobutu la livraison de Diawara, en compensation du service qui lui avait été rendu en 1968 lors de l’affaire Mulele.
Monsieur Akafomo, contacté par le président NGOUABI se présente à Mulele, non seulement comme chargé d’Affaires d’un gouvernement, mais aussi comme un ancien lumumbiste. Ce qui met Mulele en confiance et lui fait miroiter une issue heureuse. Fort de cette rencontre, Monsieur Akafomo, porteur d’une lettre du président Ngouabi, se rend à Kinshasa où il informe, selon lui, le Comité responsable des affaires du pays, en l’absence du chef de l’Etat, Mobutu. Ce comité, composé des généraux Bobozo, Bumba, des colonels Singa, Malila et Nkulufa et de Monsieur Bomboko (alors absent du pays), se réunit instantanément, et à l’issue de cette réunion, Monsieur Akafomo déclare avoir entendu le Général BOBOZO dire : «de gré ou de force, Mulele doit être ramené ici». Un télégramme est vite adressé, par le biais des Affaires Etrangères, au Président MOBUTU qui se trouvait à Rabat.
Le retour de Pierre Mulele au pays, le 29 septembre, provoque le courroux du Haut-commandement militaire, plus particulièrement du général Bobozo qui offre un cocktail aux autorités militaires. Le général Singa a déclaré devant la commission de la CNS que le climat, lors de ce cocktail, était tout à fait tendu et que pour le général Bobozo, il fallait à tout prix venger le colonel Ebeya et tant d’autres victimes des guerres mulelistes. Il a ajouté qu’à cette occasion, Bobozo lui demandera de procéder à l’arrestation de Mulele et à son transfert au camp Kokolo où il devait expier ses forfaits. Le général Singa soutient avoir refusé d’exécuter cet ordre, ne voulant pas engager une épreuve de force contre le gouvernement sous la protection duquel se trouvait Mulele.
Survint alors le retour au pays du président Mobutu, le 2 octobre 1968, en provenance de Rabat. Une procession des mutilés est organisée devant lui par les soins de Bobozo pour lui signifier qu’il n’était pas question d’accorder le pardon à Mulele. C’est ainsi qu’au cours du meeting qu’il tient sitôt après son arrivée au Parc de Boeck (Jardin Botanique de Kinshasa), Mobutu indique que c’est lui le chef de la diplomatie et non le ministre des Affaires étrangères. Il lâche : «Mulele est responsable de la mort et des mutilations de plusieurs militaires dont les épouses et les enfants pleurent au camp. Il devra être jugé».
Le président désavoue ainsi l’action de son ministre et nie devant l’opinion l’avoir mandaté pour les négociations en vue du retour de Mulele. Pour avoir été l’instigateur du soulèvement armé au Kwilu et à cause de nombreuses tueries conséquentes à ce soulèvement, Mulele devra être traduit devant les juridictions militaires. Mobutu regrette que son bateau ait été souillé pour cette opération d’extradition de Mulele. Toutes les consciences sont troublées : Surtout celles des autorités du Congo-Brazzaville qui, pour sauver la face, dépêchent à Kinshasa, une délégation dont le chef, Monsieur Mondjo dira : «Le contenu des textes juridiques signés par Monsieur Bomboko, ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo à Brazzaville et les récents propos tenus par le président Mobutu au cours d’un meeting à son retour du Maroc ne concordent pas».
Monsieur Boraboko a déclaré à la Commission qu’il n’a pas existé d’accords écrits, mais plutôt des engagements verbaux. Fort de la position exprimée par Mobutu au meeting, le général Bobozo saute sur l’occasion. Il interpelle le général Singa et lui lancé : «yo oleki motu makasi. Oyoki ndenge kulutu na yo alobi ? Kende sika sika oyo kotika Mulele na camp Kokolo» (Tu es trop têtu; tu as entendu ce qu’a dit ton aîné ? Vas de ce pas ’’déposer’’ Mulele au camp Kokolo).
Tenu par devoir d’obéissance militaire dira-t-il, le colonel Singa dépêche son garde du corps Ifeta chez Bomboko en vue de cette mission, exécutée avec l’aide des militaires de faction chez le Général Bobozo, réquisitionnés au passage. Monsieur Bomboko a déposé à ce sujet que le meeting terminé, le général Bobozo pour s’assurer que l’ordre avait été exécuté, s’est rendu personnellement chez lui où, éprouvant des doutes quant au transfert réel de Mulele au camp Kokolo, il a procédé à l’arrestation de Inonga, son secrétaire, et de son frère, les a emmenés jusqu’au camp Kokolo où ils n’ont été libérés que lorsqu’il y a vu Mulele.
Transféré au camp Kokolo, Pierre Mulele y subira son supplice. Selon la version officielle, un tribunal militaire d’exception l’a condamné à mort en date du 8/10/1968. Et son exécution a eu lieu à l’aube du 10/10/1968, le président de la République ayant, le 9/10/1968, rejeté son recours en grâce. Cependant des doutes persistent sur cette version, car, en août 1982, au cours d’une interview qu’il accorde à Sennen Andriamirado de « Jeune Afrique », le président Mobutu prétendra que l’exécution de Mulele a eu lieu avant son retour du Maroc. Ce qui est totalement faux et amène votre Commission à penser que Pierre Mulele a été assassiné le 2 octobre 1968, date de son transfert au camp Kokolo. Si l’on tient compte de l’empressement avec lequel Bobozo voulait l’avoir, on peut douter que les militaires l’aient gardé plus d’une semaine avant de l’abattre.
Par ailleurs, il semble que le verdict du tribunal a été avancé suite aux protestations du Gouvernement du Congo Brazzaville et de plusieurs pays africains auxquels le président Mobutu avait donné sa parole d’honneur quant aux libertés dont devraient jouir les anciens opposants et exilés à leur retour au pays.
Quant au corps de Mulele, il a été difficile à la Commission de la CNS de dire ce qu’on en a exactement fait. Pour certains, on lui a arraché les organes un à un, avant de le jeter au fleuve. Pour d’autres, il a été livré à la colère des mutilés et victimes des guerres mulelistes qui, avec des instruments aratoires, l’ont abattu, sous l’œil approbateur du général Mobutu et des officiers supérieurs, au camp Kokolo.
Le président Mobutu que la Commission de la CNS aurait voulu entendre à ce sujet n’a malheureusement pas répondu à l’invitation.
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