Juillet 2016. Un mois d’intense ballet diplomatique et politique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays : tournée du président de la République Joseph Kabila à travers quelques provinces nouvellement créées et dans le Congo central pour l’inauguration de l’hôtel 5 étoiles de son jeune frère à Moanda au bord de l’océan Atlantique, passage du Haut-Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme Zeid Ra’ad Al Hussein dans l’Est du pays et à Kinshasa, visite des opposants politiques en Occident, manifestations de la Majorité Présidentielle (MP) et de l’opposition à travers les villes du pays…
C’est du reste sur invitation du gouvernement congolais que le Haut fonctionnaire de l’ONU est arrivé dans le pays le 17 juillet 2016 par Goma au Nord-Kivu puis Bukavu au Sud-Kivu avant de se rendre à Kinshasa, la capitale le 19 du même mois. Pour son premier voyage depuis sa nomination, son objectif était «d‘écouter tous les interlocuteurs intervenant dans les Droits de l’Homme et de se faire une idée en vue de tirer des conclusions sur l’état de ces mêmes droits dans le pays». De passage à l’Hôpital de Panzi et sa Fondation, il a rencontré le Dr Denis Mukwege, célèbre médecin gynécologue et certaines victimes des violences sexuelles.
Si à Bukavu même, Zeid Ra’ad Al Hussein s’est disait «très ému de ses rencontres», à Kinshasa il s’est adressé à la responsabilité de tous; pouvoir comme opposition : «Ce que j’attends des uns et des autres, c’est de faire preuve de responsabilité et de retenue. La question des droits de l’homme est centrale. La question de l’ouverture de l’espace public l’est tout aussi. Un processus de dialogue est important. Il convient que les différents acteurs fassent preuve de responsabilité». Dans la capitale, il a rencontré le Premier ministre Matata Ponyo, le président de l’Assemblée nationale Aubin Minanku, les responsables des services de sécurité et la société civile mais pas le président Kabila dont il espérait pourtant un rendez-vous.
Avec les autorités de Kinshasa, il a en outre évoqué les questions liées à la libération des prisonniers politiques, à l’ouverture de l’espace politique, des mesures sans lesquelles il n’y aurait aucun dialogue crédible, tout en reconnaissant certaines avancées en cette année où le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme fête ses vingt ans en RDC. Son Directeur pour le Congo, José Maria Aranaz dit rester vigilant. Parmi ces avancées, l’engagement personnel du chef de l’Etat dans la lutte contre les violences sexuelles, notamment commises par les agents étatiques : 35 condamnations depuis le début de cette année 2016 mais aussi les efforts appréciables de la RDC dans l’enquête et les poursuites contre ses casques bleus soupçonnés de viols en Centrafrique.
Du dialogue politique inclusif.
Si la Majorité Présidentielle multiplie les manifestations de soutien à la tenue du Dialogue politique inclusif, l’opposition quant à elle s’en tient aux prescrits de la résolution 2277 de l’ONU qui voudrait l’élection présidentielle en temps et en respectant la Constitution. S’il se dit soutenir l’initiative du président Joseph Kabila pour ce dialogue, Zeid Al-Hussein l’estime «tout simplement impossible dans une atmosphère qui étouffe la discussion et où les médias indépendants et le respect des libertés fondamentales sont menacés» et en appelle à ce que la voix des jeunes soit entendu et que «ceux qui s’expriment ne doivent pas être forcé de se taire, ni punis pour avoir exprimé une opinion dissidente». «Le peuple congolais ayant les mêmes droits que tout autre peuple, de se faire entendre et de participer aux décisions», conclut-il.
A l’occasion de cette visite, Amnesty International par sa Directrice Régionale adjointe pour l’Afrique de l’Est et Les Grands Lacs; Michelle Kagari avait demandé au Haut-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme de lancer des appels aux autorités de la RDC notamment pour la libération des détenus politiques, la réforme des services de renseignement et la protection des civils. Dans des termes clairs, elle affirmait : «Il faut que la visite du haut-commissaire marque un tournant. Celui-ci doit exhorter les autorités à respecter leurs obligations internationales en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne les droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique».
Coïncidence ou pas et message peut être entendu par le président Joseph Kabila qui, via trois ordonnances signés le 22 juillet 2016 a gracié les six jeunes militants du mouvement des, indignés de La Lucha (la lutte pour le changement) opposés à toute prolongation de son mandat. Condamnés à Goma à 6 mois de prison pour tentative d’incitation à la révolte en pleine préparation de la journée «ville morte» décrétée par l’opposition en mars 2016. Leur élargissement intervenant à quelques jours de leur libération et quelques heures après le départ du Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme.
Il faudra noter que ces mesures de grâce présidentielle concernent également les condamnés de moins de 30 ans, les plus de 65 ans, les femmes, les personnes handicapées. Mais aussi tous les condamnés de manière définitive n’étant pas accusés des infractions relatives entre autres aux violences sexuelles, à l’atteinte à la sûreté de l’État et toute infraction contre l’autorité de l’État, ainsi que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Les militants de Droits de l’Homme comme les opposants politiques du Rassemblement issus du Conclave de Genval en Belgique espèrent plus de la part du Chef de l’État pour prouver sa bonne foi et ainsi décrisper une bonne fois pour toute le climat dans le pays pour un vrai et réel dialogue.
La réaction de La Lucha qu’on attendait est tombée. Dans leur lettre datée du 23 juillet 2016 dont copie ci-dessous depuis la prison de centrale Goma, les jeunes activistes militants ont déclinés la grâce présidentielle et ont préférés restés en prison pour purger leur peine. Et ce, par solidarité avec tous les autres prisonniers d’opinion non concernés par l’ordonnance présidentielle.
Kabugho Rebecca & Consorts.
Prison centrale de Goma (Munzenze)
Province du Nord-Kivu, République Démocratique du Congo.
A Son Excellence Monsieur le Président de la République Démocratique du Congo.
(Palais de la Nation, avenue Roi Baudouin, Kinshasa / Gombe).
Concerne : Mesures de grâce (ordonnance n° 16/068 du 22 juillet 2016)
Excellence Monsieur le Président de la République,
Après avoir pris connaissance de l’ordonnance sus-mentionnée, portant mesure individuelle de grâce à notre égard, nous nous permettons de vous adresser la présente afin de vous faire part de notre sentiment, en toute sincérité.
Nous voyons dans cette mesure, d’une part, la reconnaissance du caractère arbitraire, injuste et politique de notre arrestation et notre condamnation il y a cinq mois. Bien que cette mesure n’efface en rien les iniquités subies en punition de notre lutte pacifique pour la démocratie, pour nous la reconnaissance d’une injustice est en soi un début de justice !
Nous y voyons, d’autre part, un premier pas encourageant vers, nous l’espérons, la décrispation réelle et complète de l’espace démocratique et la fin de la répression des libertés publiques, y compris la liberté d’opinion, d’expression, d’association, et de manifestation pacifique. Nous osons croire que non seulement les mesures collectives de grâce que vous avez prises seront appliquées rapidement, mais que vous irez encore plus loin en ordonnant l’abandon des poursuites contre les autres prisonniers d’opinion, qu’ils soient en détention préventive ou en attente d’un jugement définitif. C’est le cas de nos camarades Fred Bauma et Yves Makwambala détenus à Kinshasa depuis près de 17 mois, sans procès ; de Bienvenu Matumo, Héritier Kapitene et Victor Tesongo arrêtés à Kinshasa au même moment que nous ; des activistes Christopher Ngoy, Jean-Marie Kalonji, et bien d’autres encore.
En attendant, par solidarité avec nos camarades et tous nos concitoyens injustement privés de liberté et dont le sort est encore incertain, nous préférons rester en prison, quitte à aller jusqu’au bout de cette peine indue qui, de toutes manières, est presqu’entièrement consommée. C’est cela aussi notre liberté et notre dignité.
Nous vous prions de bien vouloir agréer, Excellence Monsieur le Président, l’expression de notre très grande considération.
Fait à Goma, le 23 juillet 2016.
Kabugho Rebecca, Kamundo Melka, Kambale Mutsunga Justin, Balibisire Alipenda John, Kasereka Muhiwa Ghislain, Kambale Sivyavugha Serge.
Militants.
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