Les récents événements des 19 et 20 septembre 2016 survenus à Kinshasa, province capitale de la RD Congo lors des manifestations de l’opposition n’ont pas encore refroidis que la CPI s’y soit mêlé. Sa procureure, la gambienne Fatou Bensaouda déclarait le 20 septembre 2016 «surveiller avec une extrême vigilance la situation sur le terrain suite à des actes dont il est allégué et qui pourraient constituer des crimes de la compétence de la CPI». Alors que les massacres et tueries en tous genres perdurent dans la région de Beni-Butembo, le Bureau du procureur sa responsable de la sensibilisation de La Haye Margot Tedesco déclare le 3 octobre 2016 «avoir déjà reçu des informations sur les tueries de Beni au Nord-Kivu» en indiquant que ces informations sont analysées de façon impartiale et indépendante.
Voulant en voir clair, AFRIWAVE.COM est allé à la rencontre d’un confrère journaliste qui connait très bien cette institution de la justice internationale, Paul MADIDI Ibn pour ne pas le citer. Journaliste téléradio (télévision Kin Malebo (TKM) Radio Okapi (Monusco)) avant de rejoindre La Cour Pénale Internationale (CPI) comme porte-parole pour la RD Congo plusieurs années durant.
Afriwave.com : Dans son communiqué publié vendredi 23 septembre 2016, la procureure de la CPI, Mme Fatou Bensaouda déclare rappeler à tous et à toutes «surveiller avec une extrême vigilance la situation sur le terrain suite à des actes dont il est allégué et qui pourraient constituer des crimes de la compétence de la CPI» après les événements des 19 et 20 septembre 2016 à Kinshasa. Que pensez-vous de cet avertissement et croyez-vous qu’un jour il pourra être suivi d’effet et que d’autres congolais un jour pourront être poursuivis ?
Paul Madidi : Tout d`abord, la RDC est un Etat partie au Statut de Rome et se trouve être un pays en situation, c`est à dire qu`il est (pays) sous enquête du Bureau du procureur de la CPI. La Cour est de ce fait tout à fait compétente de poursuivre tout individu supposé avoir commis des crimes de sa compétence. Le processus électoral dans certains pays africains a débouché malheureusement sur des violences aux conséquences graves. La déclaration de Mme Bensaouda vise donc à prévenir (la prévention des crimes graves revenant aussi à la Cour) tous les protagonistes que les élections ne devraient en aucune manière aboutir à des crimes graves. Ainsi pour que l’exemple ivoirien et kenyan ne se répète pas, la Cour prévient donc et au-delà de tout permet ou plutôt aide à avoir des élections apaisées. A chacun de prendre ses responsabilités et ne pas tirer demain à boulet rouge sur cette instance de justice.
Afriwave.com : Pour avoir travaillé presqu’une dizaine d’année comme porte-parole de la CPI pour la RDC, que retenez-vous de l’action de cette institution internationale sur l’avancée des questions ayant trait aux abus commis et qui se commettent jusqu’à ce jour dans le pays ?
Paul Madidi : La Cour est une œuvre humaine donc perfectible. Même si son efficacité pratique est relative aux yeux de nombreux observateurs, la CPI, cependant, contribue à dire le droit. Sur le plan purement judiciaire, la Cour a jugé et condamné les responsables des crimes qui endeuillent l`Ituri entre 2002 et 2004. Elle a ouvert des enquêtes dans le Kivu sur des crimes commis par les rebelles de FDLR et en poursuit les supposés auteurs. Elle continue a monitorer la situation générale du pays, en suivant de près ce qui se passe notamment dans la région de Beni-Butembo…Mais la CPI, c’est aussi et tout d`abord une juridiction complémentaire. C`est à chaque pays que revient de juger ses propres citoyens et de ce point de vue, beaucoup de juridictions congolaises ont jugé et condamné en matière de violences sexuelles par exemple (le cas du procès Songomboyo) en se basant sur et en s`inspirant du statut de Rome de la CPI. La Cour est désormais une réalité dans les esprits des Congolais. Il est sera difficile pour le commun des Congolais de ne pas faire référence à la Cour a chaque violation massive des droits.
Afriwave.com : Certains dossiers dans lesquels sont impliqués des ressortissants congolais (Bemba et consorts), Tangada sont encore jugés à La Haye. Croyez-vous que la justice est dite dans son sens juste par rapport à d’autres crimes comme sur l’Ex-Yougoslavie ou le Kosovo ?
Paul Madidi : La CPI est une institution judiciaire dont le mandat est exclusivement judiciaire. Elle n’est pas soumise à un contrôle politique. En tant que Cour indépendante, ses décisions se fondent sur des critères juridiques et sont délivrées par des juges indépendants et impartiaux, conformément aux dispositions de son traité fondateur, le Statut de Rome, et d’autres textes juridiques régissant ses travaux. Les droits des accuses comme ceux des victimes sont garantis. Les accusés congolais de la Cour jouissent de tous ces droits garantis par le statut de Rome. Leur culpabilité ou non est fonction des éléments de preuves présentes par le Procureur, des moyens de défense de leurs Avocats et de la conviction au-delà de tout doute raisonnable des juges. Mathieu Ngundjolo a été reconnu non coupable et libéré immédiatement après le procès. Les juges n`étant pas parvenus sur base des éléments de preuve du Procureur à la conviction au-delà de tout doute raisonnable de sa culpabilité dans les crimes commis en Ituri.
Afriwace.com : Quelques congolais jadis détenus à la CPI ont été relaxés par la justice internationale après avoir purgé leur peine. Renvoyés au pays, ils sont encore emprisonnés jusqu’à ce jour. Votre opinion face à cette situation qui ressemble à une sanction de double peine ?
Paul Madidi : Je ne puis répondre à la place de la justice congolaise ou des autorités congolaises. Mais je me laisse rapporter que les détentions auxquelles vous faites allusion font suite à des poursuites exercées avant le départ pour La Haye des suspects recherchés par la Cour. Des poursuites dont les motifs sont différents de ceux de la Cour.
Afriwave.com : Pour avoir côtoyé les méandres de cette justice de la CPI, croyez-vous qu’elle est à la solde d’une quelconque puissance occidentale comme beaucoup des milieux africains l’affirment ?
Paul Madidi : Comme je l’ai mentionné déjà la CPI est une institution judiciaire dont le mandat est exclusivement judiciaire. Elle n’est pas soumise à un contrôle politique. La CPI s’intéresse à tous les pays qui ont accepté sa compétence et ces pays se trouvent sur tous les continents. Les pays africains ont largement contribué à l’instauration de la Cour et ont influencé la décision de créer un Bureau du Procureur indépendant. En 1997, la Communauté de Développement d’Afrique Australe avait activement soutenu la proposition de créer la Cour; sa déclaration sur cette question avait été endossé par les participants au Séminaire africain, à Dakar (Sénégal) en février 1999, lors de leur «Déclaration sur l’instauration de la Cour pénale internationale».
A la Conférence de Rome, les déclarations les plus significatives qui furent faites au sujet de la Cour émanaient de l’Afrique. Sans le soutien de nombreux pays africains, le Statut de Rome n’aurait peut-être jamais été adopté. En effet, l’Afrique est la région la plus largement représentée parmi les membres de la Cour. Cette confiance et ce soutien ne viennent pas seulement des gouvernements mais aussi de la société civile de ces pays. La Cour a également bénéficié de l’expérience professionnelle d’africains et plusieurs africains occupent des postes de haute responsabilité à la Cour. Mais il convient de dire que la majorité des enquêtes de la CPI ont été ouvertes à la demande ou après consultation des gouvernements africains eux-mêmes. La République gabonaise pour ne pas la citer vient tout juste de saisir la Cour pour des crimes graves qui se commettraient sur son territoire. D’autres enquêtes ont été ouvertes suite à un renvoi du Conseil de Sécurité des Nations Unies, où les gouvernements africains sont également représentés. Enfin, le Bureau du Procureur analyse actuellement des situations localisées dans un certain nombre de pays sur quatre continents: Afghanistan, Colombie, Palestine, Irak, Grande Bretagne, etc…
Afriwave.com : L’on vous a vu sillonner l’Ituri en compagnie du procureur Luis Moreno O Campo il y a quelques années. Pourtant les tueries des masses continuent dans cette partie de la RD Congo. Pensez-vous les auteurs de ces assassinats répondront de leurs forfaits un jour devant la CPI ?
Paul Madidi : Il est vrai que la Cour enquête encore en RDC et s`emploie d`apporter justice aux victimes des crimes graves commis en RDC mais la CPI ne peut pas poursuivre tous les cas. Elle ne peut se substituer aux systèmes nationaux de justice pénale; elle en est le complément. La priorité doit toujours être laissée aux systèmes nationaux. Les États doivent garder la responsabilité première pour juger ces crimes les plus graves. Cette complémentarité est justement le principe moteur du statut de Rome.
Propos recueillis par Roger DIKU
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