Un mois après sa disparition le 1er février 2017 à Bruxelles en Belgique, Etienne Tshisekedi continue d’occuper la UNE de l’actualité du pays. Après moult rebondissements, son corps sera finalement rapatrié à Kinshasa le samedi 11 mars 2017 pour des obsèques nationales. Certes l’homme politique considéré à juste titre comme l’opposant historique s’en est allé, mais ses idées demeurent comme l’explique l’un de ses proches.
Dans une tribune parvenue à notre rédaction, Isidore Kwandja Ngembo, politologue congolais décortique cette mémoire historique du Congo
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L’homme qui a marqué l’histoire politique congolaise au cours des quatre dernières décennies, et dont le combat démocratique a transcendé le temps et les générations, s’est éteint mercredi 1er février 2017 à Bruxelles, loin de sa terre natale qu’il chérissait tant. Le colosse incontournable qui régentait la vie politique en République démocratique du Congo (RDC) et déplaçait les foules, ne pourra plus jamais les haranguer.
Comme tout bon sportif de haut niveau qui préfère se retirer au sommet de sa gloire, l’intraitable Etienne Tshisekedi Wa Mulumba a préféré tirer sa révérence au summum de sa popularité, et ce, à un moment crucial où le peuple congolais avait encore besoin de lui pour qu’il joue un rôle clé d’accompagner sagement la classe politique congolaise dans le processus transitionnel qui s’annonce tumultueux et dangereux pour l’avenir de ce pays.
Premier Congolais docteur en droit, Etienne Tshisekedi était un homme de principes et de convictions qui aura passé toute sa vie jusqu’au bout à lutter pour défendre et promouvoir les valeurs démocratiques et le respect de la primauté du droit en RDC. Malgré le caractère pacifique de son combat politique, l’homme était radical dans sa façon de percevoir l’avenir de son pays. Il prônait un changement radical nécessaire pour réformer la gestion politique et économique pour le bien ses concitoyens. Il luttera toute sa vie pour un changement social et politique qu’il ne verra malheureusement pas.
Tshisekedi est resté fidèle aux idéaux de justice, de liberté d’expression, d’égalité et de dignité humaine, auxquels il croyait fermement jusqu’à sa mort. Son engagement au service du peuple congolais était total et sans failles. Et, ce peuple lui a aussi bien servi. Pour preuve, sa popularité remarquable ne s’est jamais démentie et n’avait cessé de croître au fil des années. L’homme était devenu incontournable sur l’échiquier politique congolais. Toute tentative de vouloir le contourner était vouée à l’échec. Il avait un charisme naturel qui n’était pas forcement lié à ses talents d’orateur, mais à la force de ses convictions et son engagement, qui inspiraient confiance et respect même auprès de ses adversaires.
Un parcours de combattant de la liberté
Tshisekedi était l’un des personnages les plus éminents qui, en RDC, ont combattu pour la démocratie, la liberté d’expression, les droits humains, et se sont opposés aux régimes successifs de Mobutu, Kabila père et fils. Il a personnellement payé lourdement le prix de son combat politique. Durant la quarantaine d’années d’opposition politique, l’homme a subi toutes sortes de violations des droits humains par les régimes qui se sont succédé au pouvoir en RDC : arrestations abusives, emprisonnement, actes de torture physique, mentale et psychologique, relégations au village sans adduction d’eau ni électricité, etc. Mais toute cette cruauté inacceptable n’a pas altéré son engagement. Par sa constance et sa ténacité, l’homme a su vaincre la peur et les intimidations.
Maintenant qu’il a disparu, on ne saura jamais le secret de sa longévité dans le combat politique et la résistance à la dictature. L’homme a emporté avec lui également, dans sa tombe, des pans entiers de l’histoire politique du Congo dont il fut un des principaux acteurs.
Quel héritage laisse-t-il ?
La disparition brutale de Tshisekedi, certes prévisible étant entendu que la mort est une conséquence naturelle de la vie et un phénomène qui touche tout être humain, est tout de même survenue à un très mauvais moment pour l’avenir de son pays.
A l’exemple de Moïse, dans la bible, qui avait vaincu de nombreuses difficultés et conduit le peuple Hébreux à traverser la Mer rouge hors d’Égypte, Etienne Tshisekedi aura également conduit le peuple congolais jusqu’aux portes de la terre promise sans y entrer et leur a dit «prenez-vous en charge». Avec la disparition de cette figure emblématique, c’est sans nul doute que la vie politique ne se fera plus de la même manière qu’avant.
Etienne Tshisekedi était un modèle d’exemplarité pour les Congolais qui se battent pour l’instauration d’un État de droit. Mais l’homme n’était pas qu’un opposant historique comme on aimait bien l’appeler, c’était toute une « l’école » qui a formé la classe politique et aussi une pépinière où les différents régimes qui se sont succédé allaient débaucher les faibles d’esprit.
Nombreux dans la Majorité Présidentielle, aussi bien à l’époque du Marechal Mobutu, de Laurent-Désiré Kabila, qu’actuellement avec Joseph Kabila, sont passés par cette «école Tshisekedi». Nombreux dans la classe politique congolaise, toutes tendances confondues, doivent leur ascension, soit directement, soit indirectement, à Etienne Tshisekedi. Certains, pour leur acharnement farouche contre Tshisekedi, d’autres pour leur rapprochement à Tshisekedi et leur éloquence à pourfendre le régime, finissaient par se faire acheter au prix fort par le régime.
En effet, même si Tshisekedi n’a pu atteindre son objectif, il a réussi à semer l’idée dans la tête de Congolais, d’imaginer un avenir meilleur pour leur pays. C’est ça le précieux héritage que Tshisekedi a laissé au peuple congolais : «Prenez-vous en charge».
Rendre hommage à Tshisekedi
Etienne Tshisekedi a fait sa part. Toute sa vie, il a mené avec acharnement un combat pacifique pour la démocratie et l’État de droit. Il savait bien qu’en politique il faut savoir négocier, mais il n’était pas prêt à faire des compromissions, à se compromettre lui-même dans les combines politiciennes, les mensonges et les déshonneurs. Il s’est sacrifié en faisant passer, avant tout, l’intérêt général aux intérêts personnels, en renonçant à tous les privilèges et en résistant à toutes tentatives de succomber aux sirènes du pouvoir tant et aussi longtemps que celui-ci ne servait pas les intérêts de son peuple.
Maintenant que cette boussole qui guidait le peuple congolais n’est plus, le meilleur moyen de lui rendre hommage et d’honorer sa mémoire pour ce combat noble qu’il a mené pour l’édification de la démocratie dans son pays, serait de poursuivre sa lutte pacifique pour la démocratie et le respect de la primauté du droit en RDC.
Il revient donc à chaque Congolais, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, selon ses capacités, ses moyens et ses compétences, de prendre le relais et de faire sa part pour continuer ce combat pour la démocratie, la liberté d’expression, l’état de droit et le respect des droits de la personne, dont le pays a fondamentalement besoin pour opérer des changements substantiels pour le bien des Congolais.
À la classe politique qui négocie la période transitoire, elle doit avoir à l’esprit que Tshisekedi a payé de sa vie pour le Congo. À son âge, 84 ans, il ne serait pas en train de travailler jour et nuit, de présider des réunions et des audiences pour son pays. Il serait plutôt en train de s’occuper de sa santé et de sa famille. Alors Négocier, de bonne foi, une transition pacifique qui devra conduire le pays vers des élections démocratiques, libres et transparentes fin 2017 et asseoir le respect des principes de la démocratie constitutionnelle, du respect strict des lois et de la bonne gestion des affaires publiques. C’est de cette façon que vous allez honorer la mémoire de l’illustre disparu.
Tshisekedi était grand, il le restera dans la mémoire collective de Congolais. Son combat pour la démocratie et aussi le vôtre, et est loin d’être gagné. Vous tous ensemble, mettez tout en œuvre pour entretenir la flamme de l’espoir et de la liberté qui a été allumée par Etienne Tshisekedi Wa Mulumba, et faites de sorte qu’elle ne s’éteigne mais qu’elle continue de brûler dans le cœur de chacun et de tous.
Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue
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