Elle est considérée par beaucoup comme l’égérie du mouvement citoyen des jeunes congolais de La Lutte pour le Changement (LUCHA) né à l’Est du pays d’où elle est originaire. Adjectif dont elle se défend la main sur le cœur en affirmant qu’au sein du mouvement citoyen, les militants de la Lucha sont tous égaux. Elle, c’est Soraya Aziz Souleymane; co-initiatrice de la campagne Bye-bye Kabila en novembre 2016 censée accompagner Joseph Kabila vers sa sortie dans la paix, et ce, au travers d’une mobilisation d’un maximum de jeunes avec des actions pacifiques (marches, villes mortes, pétitions) qui devraient aboutir à son départ au lendemain de la date de la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel le 20 décembre 2016.
Belle, dynamique et intelligente, la jeune femme trentenaire bien sa peau a dernièrement été prise dans une déferlante par la diffusion au travers des réseaux sociaux des photos intimes d’elle hackées dans un ancien téléphone perdu. Celle qui ne recule devant rien promet encore de se battre davantage. «Oui, ces images font mal, mais elles ne font pas plus mal que l’état de la Nation, que les guerres, le report des élections, la corruption et les détournements des deniers publics, les massacres. Je vais continuer à dénoncer».
Infatigable travailleuse, elle est également à la tête de l’ONG de développement NYOTA (http://nyota-drc.org/) impliquée dans tout l’Est de la RDC. Ancienne de la Fondation Centre Carter pour les Droits de l’Homme, elle fut élue Femme Minière de l’Année 2015 (Mining Woman Of TheYear_2015). Quatre ans plus tôt, elle avait été proclamée Miss Leadership Congo 2011 pour avoir formé plus de 4 000 femmes adultes à la lecture, à l’écriture, à des opérations budgétaires, à la vie associative. Ce qui du reste détermine et motive son combat au sein de La Lucha. Elle est détentrice de deux Masters en Développement (Grande-Bretagne) et en Diplomatie et Résolution des conflits (Kenya), ainsi que d’un diplôme en Leadership International de la prestigieuse McCain Institute (Etats-Unis).
Pour www.afriwave.com, elle répond aux questions de notre Directeur sur l’actualité du moment en donnant son point de vue sur l’évolution de la situation politique actuelle. Mais aussi sur le futur de son pays au travers de cette interview qu’elle nous accordée alors qu’elle venait de traverser un moment particulièrement difficile de sa vie. Dans quelques jours, la version sonore dudit entretien sera mise en ligne dans cet article.
L’INTERVIEW
Afriwave.com : Depuis la fin de la signature de l’Accord Politique Global Inclusif sous l’égide de la CENCO, la négociation de l’Arrangement Particulier (AP) pour la mise en application dudit Accord traîne. A quoi attribuez-vous cette situation qui perdure ?
Soraya Aziz : Je dirais que ce retard est dû aux suspicions au sein de la classe politique congolaise: l’opposition ne fait pas confiance à la majorité. Comment une majorité qui n’applique pas elle-même la Constitution qui la nomme peut-elle garantir qu’elle va appliquer un Accord ? De par cette suspicion, l’opposition exige certaines garanties notamment la présence de ses membres au sein d’un gouvernement de transition pour qu’elle puisse elle-même implémenter l’Accord. D’un autre coté dans l’opposition politique, à cause de toutes les défections qu’il y eu; il y a des nouveaux membres qui viennent fraichement de la majorité, il y a des personnes qui ont traînées trop longtemps dans l’opposition et qui ont envie rapidement de rentrer aux affaires au niveau du gouvernement et donc on sent aussi cette division au sein de l’opposition elle-même. Il ne faut pas se cacher le fait qu’il y a plusieurs personnes qui voient leurs intérêts personnels avant l’intérêt de la Nation et donc qui dans cette période pré-électorale pensent que ça serait bien pour eux d’avoir une certaine position pour soit renflouer leurs poches ou soit redorer leurs images à la base en vue de s’organiser pour les élections prochaines. Pour moi, ce sont là les trois principales raisons et d’un autre côté, il y a aussi le manque de pression de la population. Avant le 19 décembre (2016), il y avait une trop forte pression de la population envers les politiciens; mais passée cette date, la population semble avoir perdu confiance aussi dans cette classe politique et donc elle ne met plus la pression en suivant les évènements de loin. Il n y a plus aucun politicien aujourd’hui qui soit capable de réellement mobiliser les troupes de terrain parce qu’ils ont tous perdu la confiance de la population. Même feu Tshisekedi, vers la fin de sa vie, avait beaucoup de mal après septembre (2016) à organiser la population qui s’est dégonflée en perdant l’intérêt et le zèle qu’elle avait au départ.
Afriwave.com : La LUCHA, mouvement Citoyen des jeunes congolais auquel vous appartenez n’a pas voulu participer à cette négociation directe sous la conduite des Evêques tout à l’appuyant de loin. Pourquoi cette position ?
Soraya Aziz : La LUCHA est respectueuse de la Constitution, pour elle à partir du 19 décembre (2016), les institutions (du pays) n’étaient plus constitutionnelles (pour dire valables). Cela ne servait à rien de renter dans une démarche qui consacrerait le dépassement des délais (voulu) par la classe politique. Plutôt que de se mouiller en entrant dans un accord comme celui-là, la LUCHA a préféré rester loin. D’un autre côté, il faut avouer que la LUCHA n’a pas été invitée à la table de la négociation de la CENCO. Nous avions été invités par Edem Kodjo au dialogue de la Cité de l’OUA et nous avons décliné cette offre exactement pour les mêmes raisons. On sentait que ces négociations ne permettraient pas tenir les élections dans les délais et de faire une passation de pouvoir. Mais d’un autre côté, il faut être objectif même si les délais ne sont pas tenables, il faut quand même limiter les dégâts. C’est dans ce sens que la LUCHA défend la démarche de la CENCO qui vise à limiter ces dégâts, même si nous savons que cette démarche est elle-même déjà en dépassement des délais constitutionnels. Pour moi c’est une position constitutionnelle, une position citoyenne qui nous permet de respecter nos principes tout en promouvant les intérêts nationaux.
Afriwave.com : Qu’en est-il aujourd’hui de l’action initiée par la Lucha et vous-même pour le départ de Joseph Kabila au lendemain du 19 décembre 2016 alors qu’il est toujours au pouvoir ?
Soraya Aziz : Nous pensons que Joseph Kabila doit partir le plutôt que possible. Puisque le délai constitutionnel du 19 décembre (2016) n’a pas pu être respecté, le prochain délai c’est aujourd’hui, c’est demain, c’est après demain. Au plus tôt, le président Kabila doit partir. Mais dans ce départ évidemment nous rejetons les moyens violents, c’est-à-dire la guerre ou le coup d’Etat. Nous rejetons aussi les moyens qui pourraient davantage embraser la situation. Un arrangement négocié, bien qu’il ne soit pas démocratique. Parce que normalement il devrait partir par les urnes comme il est venu, nous nous disons que le mieux encore c’est d’accompagner cet accord de la CENCO puisqu’il semble avoir un large consensus. Nous déplorons comme vous l’avez souligné que ce soit un accord qui n’est pas parfait, qui n’est pas complet à ce jour parce qu’il y a encore des points qui restent en suspens et dont la mise en œuvre tarde énormément. Pour nous, le plus important c’est d’organiser les élections parce que c’est le seul moyen acceptable à travers lequel un nouveau gouvernement va venir et donc c’est dans ce sens-là que nous avons organisé le sit-in d’aujourd’hui (du lundi 6 mars 2017) pour réclamer à la Ceni un nouveau calendrier électoral. C’est aussi en ce sens que nous appelons la population à s’enrôler, que nous observons le processus électoral sur terrain par rapport à ces élections.
Afriwave.com : Vos militants sont arrêtés chaque semaine à travers le pays pour des actions citoyennes comme la lutte contre l’insalubrité à Kinshasa, Goma etc. Les autorités vous reprochent le fait que votre association comme les autres mouvements citoyens n’ont aucune existence juridique. Qu’en répondez-vous et pensez-vous que cela peut avoir une influence sur votre engagement ?
Soraya Aziz : Oui, nos militants sont arrêtés assez souvent pour des actions citoyennes qui n’ont rien avoir avec la politique comme celles de participation à la salubrité publique ou de sensibilisation sur certains problèmes sécuritaires. Tout cela démontre que l’espace d’expression est très restreint au Congo et pour nous la seule manière de l’ouvrir c’est de continuer à exercer ce droit qui est constitutionnel (et ne nécessite nullement l’existence des statuts pour son expression). A titre d’exemple, en 2015 on ne pouvait pas parler d’alternance au pouvoir. Ce mot en lui-même sonnait tellement lourd que FILIMBI et LUCHA ont eu leurs militants arrêtés ainsi que certains de nos camarades venus de l’étranger (Balai Citoyen du Burkina Faso et Y en a marre du Sénégal,). Aujourd’hui en 2017, tout le monde peut parler de l’alternance sans que cela ne constitue un délit. Ça démontre que le fait de persister et d’insister permet tout de même l’ouverture de l’espace. Nous avons forcé le gouvernement à accepter certaines choses et je pense que le seuil de tolérance d’expression libre et ouverte est passé du négatif vers le tolérable même si ce ne pas encore positif. Aujourd’hui, plusieurs mouvements citoyens peuvent organiser des actions y compris les partis politiques. Par exemple, le PPRD qui a organisé des actions de salubrité à Kinshasa à la suite des actions tenues par la LUCHA. La LUCHA est avant-gardiste et nous sommes des pionniers, ce qui a permis de démystifier certaines actions qui semblaient impossibles. Un autre exemple : Il était très difficile il y a quelques années, d’écrire directement au président (de la République), à la Ceni, d’interpeller directement certains acteurs politiques pour leur rôle négatif dans leur manière de conduire le pays. Aujourd’hui, bien que ça reste réprimé à certains endroits surtout à Kinshasa, à Lubumbashi; nous voyons que dans d’autres villes c’est la normalisation. A Bukavu par exemple, nous n’avons pas les mêmes problèmes qu’à Kinshasa; à Goma, le maire de la ville participe à certaines de nos actions de salubrité. Nous y avons gagné ce combat sur la salubrité et nous nous battons sur d’autres fronts. L’idéal serait que d’ici quelques années, nous puissions jouir de nos libertés totales telles que consacrées par notre Constitution. Ça serait déjà une grande contribution de la LUCHA à la démocratisation du pays.
Afriwave.com : Vous venez d’être victime d’un hacker qui a diffusé des images intimes et non autorisées de vous sur des réseaux sociaux. Le buzz était à son summum. Comment avez-vous vécu tout cela pour vous-même, votre famille, vos amis de la LUCHA et quid de votre morale dans la lutte pour le changement en RDC ?
Soraya Aziz : La présence en ligne de cette vidéo me fait mal. Le fait que mes amis, mes parents, mes frères et sœurs, mon compagnon et mes followers les aient vues me fait mal. Mais je ne me reproche de rien. J’ai utilisé un portable personnel, pour une vidéo à usage personnel. J’ai toujours aimé mon corps et j’aime me regarder. Je venais d’un régime et je voulais voir les résultats, sous tous les angles. Ce qui est différent cette fois c’est qu’un voyeur est tombé sans ma permission sur la vidéo. Il a pris le temps de la changer en images pour les rendre virales (j’insiste sur cet élément qui prouve l’intention de nuire) et il les a partagées en ligne à d’autres voyeurs qui ont participé à la chaîne de diffusion. Les coupables ce sont eux, pas moi. Ce sont eux qui devraient avoir honte.
SON SOUNDCLOUD ZOOM-ECO.NET
Afriwave.com : Et si c’était à refaire cette erreur sûrement de la jeunesse dans l’utilisation des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), la reprendrez-vous ?
Soraya Aziz : Dès le lendemain j’ai lancé le hashtag #TheyStoleMyPics et j’en parle sans tabou pendant quelques jours avec ceux qui veulent apprendre constructivement de cette expérience malencontreuse. Je souhaite éviter cette situation à plusieurs autres personnes qui ont en ce moment même des images d’eux ou de leurs partenaires dans leurs téléphones. Des images privées qui peuvent (ou qui ont déjà) basculer en un clin d’œil dans le domaine public. Il y a lieu pour qu’aujourd’hui aussi dans notre pays on adapte la loi par rapport à la cybercriminalité tout en associant l’apprentissage et l’éducation aux NTIC.
Propos recueillis par Roger DIKU