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Laborieux voyage de Joseph Kabila à Kananga pour contrer le phénomène Kamuina

Reporté déjà une fois, le voyage de Joseph Kabila à Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï Central a eu lieu hier mardi 30 mai 2017. Au bas de la marche de l’avion présidentiel pour l’accueillir Jacques Kabeya Ntumba ; nouveau chef Kamuina Nsapu adoubé par le pouvoir de Kinshasa en remplacement de son cousin Jean-Pierre Mpandi tué le 12 août 2016 lors des violents affrontements avec les forces de sécurités congolaises dans son fief de Dibaya.

Au motif de ce déplacement un besoin de consolidation de la paix et de réconfort moral de la population meurtrie par les atrocités de la milice Kamuina Nsapu, à ce jour en voie de disparition totale selon le ministre de l’Intérieur Ramazani Shadari. Pourtant la réalité sur terrain demeure tout autre car les violences n’ont jamais cessé entre présumés miliciens et forces de sécurité, les FARDC et la police nationale. Un bilan plus que lourd avec un nombre des personnes déplacées en interne et celles qui prennent le chemin de l’exil, notamment en Angola qui ne cessent de croitre comme l’alarme les services spécialisés de l’ONU.

Les fosses communes (près d’une quarantaine à travers les provinces de l’espace Grand-Kasaï), le meurtre de deux experts de l’ONU Michael Sharp et Zaida Catalan en mars 2017, l’affaire enregistrement sonore du député Clément Kanku seront autant des interrogations auxquelles le voyage présidentiel devra répondre un jour pour ramener la paix dans cette partie du pays tourmentée depuis plus de 9 mois. En attendant, www.afriwave.com a choisi de publier un texte de L’Alliance Pour Des Choix Responsables Au Congo-Arc. Rédigé par un connaisseur de cet espace Kasaï et de surcroît membre de la dynastie royale des Kalamba, @Jean Pierre Wafuana Kapanda pour bien comprendre autrement l’Affaire Kamuina Nsapu.

Comprendre autrement l’Affaire Kamuina Nsapu

https://www.facebook.com/search/top/?q=alliance%20pour%20des%20choix%20responsables%20au%20congo-acrc

Par  @Jean Pierre Wafuana Kapanda

La gestion de l’affaire Kamuina Nsapu a montré les limites des autorités politico-administratives en matière de règlement des conflits relevant du pouvoir traditionnel ainsi que l’amalgame entretenu dans l’administration territoriale d’une manière générale en République Démocratique du Congo.

Les arguments utilisés par le pouvoir pour justifier l’exécution de Kamuina Nsapu tendent officiellement à démontrer que l’infortuné n’avait pas obtempéré aux ordres du ministre de l’intérieur à l’époque des faits, eu égard au conflit de succession qui opposerait la descendance du grand Chef Nsapu. À ce niveau, à Kinshasa, comme à Kananga, l’autorité politico- administrative a simplement voulu maquiller la vérité, en plus d’utiliser des méthodes qu’on pensait bien révolues datant même de l’époque pré coloniale.

J’ouvre donc une parenthèse pour illustrer cette affirmation en signalant que dans l’histoire dynastique des Lulua, le roi Kalamba Nzambi Tshikomua, qui est aussi mon arrière-grand-père, subit bien loin de sa terre, une relégation à Banana (îlot de Bula Mbemba dans l’actuel Bas-Congo), la deuxième et la plus longue après celle de Lusambo. Celle de Banana qu’il partagea avec une centaine de ses sujets dura 15 ans, soit du 7 janvier 1932 au 25 avril 1947. Le motif invoqué par les coloniaux fut bien entendu l’insoumission.

Voici à titre d’illustration ce qu’écrit le colon B. Moritz, à l’époque administrateur du territoire de Luluabourg pour justifier cette relégation auprès de ses supérieurs : « (…) a semé des troubles dans la région. A ouvertement fomenté la révolte, excité les populations les poussant à l’insoumission. A dressé un plan d’attaque de la mission. Celle-ci (attaque) ne devait constituer que le signal d’un soulèvement général des tous les Lulua, se faisant passer comme victimes de l’occupation des blancs ».

Il est évident que l’Etat indépendant du Congo et plus tard la Belgique recourraient systématiquement à cette stratégie non seulement pour affaiblir des rois indigènes rebelles aux visées expansionnistes du colonisateur, mais aussi entendait imposer des agents territoriaux de leur choix, du reste malléables, avec l’objectif de réduire à leur plus simple expression les pouvoirs des monarques locaux. Je referme ici cette parenthèse historique.

L’histoire est un éternel recommencement, pourrait-on conclure à ce sujet, à l’image de la saga Kamuina Nsapu. Mais pour celui qui connaîtrait le véritable soubassement de cette affaire, les similitudes sont frappantes quant aux méthodes utilisées et aux objectifs poursuivis par ses auteurs intellectuels. C’est-à-dire le recours à l’arbitraire, la bonne vieille technique de diviser pour régner ou encore la désacralisation ! Cette ressemblance s’arrête pourtant ici et pour cause !

Plus cruel que le colon !

Aussi cruels et dégradants qu’ils furent, ces agissements à l’endroit des chefs autochtones, au-delà des morts causées par la résistance des leurs peuples vis-à-vis du colon occupant, aucun manuel, aucun témoignage, dans le cas précis des dynasties Lulua, ne signale une mise à mort atroce d’un Chef, le massacre systématique de son peuple pour avoir résisté ou défendu ses terres, alors même que les représentants de Léopold 2 dans le cadre de l’EIC étaient prêts à tout pour en justifier la nécessité. Voyez-vous, la tyrannie ne les a pas empêchés de voir la réalité et de rester focus sur la manière d’atteindre l’objectif. Ils avaient besoin des alliés quoique rebelles, mais vivants et non des martyrs.

L’histoire nous renseigne que l’humanité s’est construite sur des guerre de conquête, les victoires appartenant aux individus, bandes d’individus ou nations qui disposaient d’une force ou d’une puissance de feu imparable. Dès lors, ces nations ont fait preuve d’ingéniosité pour protéger et consolider leurs acquis en imaginant des idéologies tout aussi expansionnistes les unes que les autres. Rappelez-vous c’est ça qui nous conduisit un jour à un monde bipolaire avec à la clé la fameuse guerre froide. Ceci est une constante planétaire valable en Occident depuis la nuit des temps, valable également en Afrique, depuis la naissance de nos royaumes et empires. De ce fait, au Congo, nos Rois se sont toujours battus pour étendre et protéger leurs patrimoines fonciers y compris par le sacrifice suprême quand il le fallait, allusion faite notamment aux visées conquérantes du colonisateur.

Par conséquent, leurs descendants ne peuvent pas faire abstraction de cette volonté ancestrale et légitime de se battre avec le même esprit. J’aimerais dénoncer la légèreté avec laquelle certains considèrent l’affaire Kamuina Nsapu. On ne devient pas terroriste quand on défend sa terre ! On ne devrait pas faire l’objet du mépris quand on défend ses droits ancestraux ! On ne devrait surtout pas ni humilier pour assouvir ses bas instincts ni tuer pour taire la vérité !

Ambiguïté des lois : Monarques victimes du dualisme juridique ?

C’est ici l’occasion de dénoncer également l’ambiguïté et le caractère obsolète de la loi Bakajika qui, pendant longtemps, a servi de prétexte aux dirigeants de la 2ème et 3ème République pour spolier impunément le sol et brader le sous-sol que leurs dirigeants successifs étaient censés protéger constitutionnellement.

À l’origine, la loi Bakajika du nom du député Bakajika Kangombe Isaac, notable de Luluabourg (Kananga), a été votée au parlement le 28 mai 1966. Promulguée sous forme d’ordonnance-loi le 7 juin 1967 par le lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu, elle visait à remettre de l’ordre dans le domaine foncier. Ceci était d’autant pertinent que durant l’époque coloniale, les meilleures terres indigènes avaient été attribuées aux colons, pour des vastes exploitations agricoles et l’extraction minière. On dépossédait ainsi les communautés rurales de leur patrimoine foncier.

« Le sol et le sous-sol appartiennent à l’Etat congolais », dit la loi Bakajika. Nul doute qu’elle a laissé des séquelles et semble, dans son prolongement, ne semer que la zizanie étant donné que dans le concret, le texte n’a jamais véritablement répondu à l’objet pour lequel il a été édictée à l’époque. Et ce n’est pas l’article 9 de la constitution de 2006 qui peut apaiser les esprits de ceux qui en attendaient un assouplissement. Ceux-là même qui sont aujourd’hui désignés sous le vocable réducteur de chefs coutumiers, plutôt enclins maintenant à des courbettes face une administration territoriale qui se veut manipulatrice, contraignante et coercitive.

À l’instar de la loi Bakajika, outre le sol et le sous-sol, la constitution de 2006 a allongé la liste avec les eaux, les forêts, les espaces aérien, fluvial, lacustre, maritime, la mer territoriale ainsi que le plateau continental.

De quoi ne laisser que du vent aux « autorités coutumières ». Serait-ce ce qui expliquerait la détermination avec laquelle Kamuina Nsapu, le « rebelle », le « terroriste » a été éliminée ? À cause de ces ambiguïtés, à Kinshasa comme dans l’administration territoriale provinciale, l’on a fait face de façon récurrente aux conflits fonciers au sein des communautés, d’une part à cause de cette dualité, souvent mal interprétée, observée entre des droits fonciers étatiques et des droits fonciers coutumiers et d’autre part, des conflits artificiellement créés dans le cadre des successions monarchiques bien souvent orchestrés par des politiciens en mal de gloriole.

A l’image des autres pays d’Afrique centrale, par exemple sur l’autre rive du fleuve Congo, l’Etat a trouvé des mécanismes qui protègent les droits des autochtones pourtant eux aussi caractérisés par le dualisme évoqué précédemment, hérités de la période pré coloniale. Ainsi, en l’absence de titres fonciers, les populations autochtones conservent leurs droits fonciers coutumiers préexistants. Ces populations ne peuvent être déplacées des terres qu’elles possèdent ou utilisent que pour cause d’utilité publique.

La Rd Congo ne pourrait-elle donc pas s’inspirer de son voisin avec lequel il partage d’ailleurs le plus des liens fraternels séculaires ? Qu’à cela ne tienne, dans l’affaire Kamuina Nsapu, apparemment, il n’y a même pas eu un impératif de cette nature, officiellement invoquant à toutes fins une cause d’utilité publique. Il faut reconnaître que Tshimbulu, même en plein 21ème siècle reste un vestige parfait du sous-développement, semblable au nombre des contrées voisines. Le seul attrait qu’il puisse avoir c’est bien ses potentiels en ressources naturelles.

Bena mulawu : subir les conséquences ou faire amende honorable ?

Selon les dires du défunt chef peu avant son assassinat, des manœuvres à saveur plutôt fortement mercantiles sont à l’origine du conflit qui l’a opposé aux autorités politico-administratives. Disons plutôt que le Chef Kamuina Nsapu avait rejeté des offres qui mettaient en péril son patrimoine foncier au profit des intérêts purement étrangers. Parmi les offres figurait en bonne place l’exploitation forestière. Ce refus avait vite fait de réveiller les vieux démons de la division, en suscitant des querelles fratricides et celles liées aux limites frontalières des groupements de cet espace kasaïen. Était-ce alors si indispensable de mener des expéditions punitives ?

Était-ce si important de fomenter des plans aussi destructeurs sur le plan humain ? À ceux qui y ont trempé de près ou de loin, je parle des fils et filles du Kasaï, la culture luba-lulua parle de MULAWU (à la limite une malédiction précédée d’une réprobation générale) pour des frères qui tuent ou trahissent des frères, à l’instar de Abel et Caïn. Persistez dans l’erreur, vous et votre progéniture en subirez les conséquences que seules les lois métaphysiques peuvent expliquer ou encore amendez-vous et donnez une sépulture digne à celui dont vous avez ôté la vie et vous aurez fait œuvre utile face aux victimes et à la mémoire collective !

Au-delà, faites donc honneur à vos paires géniteurs d’un projet de loi encore tout frais, adoptée le 20 avril 2016 au Sénat à la suite du rapport de la commission Politique, administrative et juridique (PAJ) sur la loi portant statut des chefs coutumiers. Ce texte dit reconnaître l’autorité coutumière, sur laquelle se basent l’identité culturelle et les valeurs traditionnelles morales congolaises. Cette loi réaffirme la neutralité du chef coutumier dans la sauvegarde de l’unité nationale. S’agissant de l’unité nationale, en a-t-on pris conscience en s’attaquant au Chef Nsapu, au point d’ignorer que nous sommes dans un pays où des cours et tribunaux existent encore, quoiqu’on dise ?

Malgré les bonnes intentions, elle affiche aussi certaines faiblesses en ce que notamment elle reste nébuleuse sur ce qui appartient véritablement à l’autorité coutumière : sa terre, nonobstant les prescrits de la constitution. Sur ce point précis, tant que ce problème ne sera pas résolu de façon objective, en tenant compte de ce que sont nos valeurs traditionnelles profondes ainsi que des exemples vécus ailleurs ; cette volonté exprimée, peut-être de bonne foi, dans la loi adoptée au sénat, demeurera un vœu pieux.

Dans les pays de l’Afrique noire comme le Ghana, le Nigeria, le Cameroun ou encore en Afrique du Sud pour ne citer que ces quatre, les monarques locaux sont considérés comme les vecteurs du développement à la base et non comme des empêcheurs de tourner en rond, des ennemis à abattre par le pouvoir central. Au contraire, ce dernier les considère comme des véritables alliés, leur accorde le respect dû aux chefs traditionnels ou coutumiers, c’est selon ; avec un accent mis sur le caractère inaliénable de leurs acquis ancestraux.

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