Par Jean-Pierre Mbelu
L’ignorance voulue et / ou inconsciente de notre histoire collective, la mal information sur cette histoire, le manque de couverture médiatique alternative de cette histoire, la sous-information sur cette histoire risquent de conduire le Congo-Kinshasa à l’implosion au moment où les autres humiliés de l’histoire sont en train de se regrouper en des grands ensembles pour affronter l’empire sur le déclin et ses alliés. Des compatriotes « choisis par le Ciel » risquent d’induire plusieurs compatriotes en erreur au nom du privilège qu’ils accordent à un seul domaine du monde commun « le domaine (magique) spirituel », afin qu’il colonise les autres (matériel, politique, économique, culturel, social, etc.). « Au nom du Ciel », ils excluent tout débat contradictoire de leur approche du devenir collectif congolais et adopte ceci comme option : « Celui qui n’est pas avec nous est contre nous ». Et qu’en tirent-ils comme conséquence ? Ils en appellent à la fin « du mariage artificiel » conclu entre les différents royaumes ayant existé au cœur de l’Afrique avant la colonisation belge. Ou ils veulent tout simplement le précipiter ; sans débat.
Depuis le début de la guerre raciste de prédation et de basse intensité au Congo-Kinshasa, plusieurs tentatives de sa reconversion en « guerre ethnique » échouent. Des compatriotes relisant son histoire joue, tant bien que mal, le rôle d’éveilleurs des consciences au milieu de leurs frères et sœurs. Les compatriotes de l’Est, connaissant mieux que quiconque « le proxy » ont joué un rôle important dans cet éveil des consciences. Le Père Vincent Machozi a payé de sa vie dans cette lutte.
Comment expliquer cette tentation amnésique permanente ?
Malheureusement, cette guerre raciste de prédation menée par les trans et multinationales contre le Congo-Kinshasa est longue. Au fur et à mesure qu’elle dure, elle plonge plusieurs d’entre nous dans l’ignorance. Ils ne savent plus faire la part des choses entre ses commanditaires, leurs « petites mains », leurs marionnettes et leurs mercenaires. Elle tend à se transformer en une guerre congolo-congolaise, avec une coloration ethnique. Ses causes historiques et matérielles tendent à être oubliées. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment pouvons-nous expliquer cette tentation amnésique permanente ?
Avant de répondre à ces deux questions, rappelons les objectifs historiques et matériels de cette guerre : la destruction de l’identité congolaise et des Congolais(es), le viol de l’imaginaire congolais, le pillage de ses terres et de leurs matières premières stratégiques, le contrôle de celles-ci et des énergies congolaises, la mainmise sur les eaux et les forêts du pays de Lumumba. « Les petites mains », les proxys, les marionnettes et les mercenaires du capital ensauvagé sont engagés, depuis « la guerre de l’AFDL » et même un peu plus tôt (1885) dans un long processus destructeur en vue de réaliser ces objectifs. Ils travaillent en « réseau transnational de prédation ». Ils ont plusieurs nationalités et ont des complices congolais et africains.
Rappelons les objectifs historiques et matériels de cette guerre : la destruction de l’identité congolaise et des Congolais(es), le viol de l’imaginaire congolais, le pillage de ses terres et de leurs matières premières stratégiques, le contrôle de celles-ci et des énergies congolaises, la mainmise sur les eaux et les forêts du pays de Lumumba.
Depuis 1885, ils ont la balkanisation du Congo-Kinshasa et de l’Afrique à leur agenda (Lire J. KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA, La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, (Credes, Montréal, 2013). Ils tentent, en permanence, de « produire des Etats ratés » pour réaliser cet agenda. Ils recourent à la politique du « diviser pour régner » en vue de la reconversion de leur « guerre raciste de prédation et de basse intensité » en des petits conflits ethniques interminables. Ceux-ci sont des moyens sûrs de l’éclatement du Congo-Kinshasa en de « petits Etats » manipulables, non viables et corvéables à souhait par le capital ensauvagé. Déjà à l’indépendance formelle de notre pays, ils ont instrumentalisé certains « petits chefs Luba » et ont poussé les originaires de « Nsang’a Lubangu » à s’entre-tuer et se diviser.
La sécession katangaise du mois de juillet 1960 s’inscrit dans la même logique. La chasse organisée contre les Baluba au Katanga en 1992 témoignait de la fragilité de l’unité du pays avant que n’éclate, quatre ans plus tard, « la guerre pour le Congo utile », c’est-à-dire la partie Est du pays de Lumumba incluse dans le Grand Rift. Et il n’y a pas longtemps, »les Bana Mura », une milice d’alias Joseph Kabila, ont massacré les Congolais(es) appartenant aux ethnies Lulua et Luba à Kamonia. Cette milice composée majoritairement des mercenaires rwandais et burundais aurait pu « jouer » sur la vigilance des Kasaïens tués en les poussant à croire qu’il s’agissait de leurs frères du Katanga où « Mura » est situé.
Les Pères de l’indépendance congolaise ont, en 1959, à la Table Ronde de Bruxelles, affirmer l’unité de leur lutte, en y exigeant la présence du prisonnier Lumumba. Avant cela, des compatriotes avaient co-écrit ». Le Manifeste de la conscience congolaise » pour affirmer leur commun désir de voir leur pays s’émanciper du jour colonial. Ces efforts et bien d’autres ont concouru à l’affirmation du « nous congolais », du « politique congolais » tel qu’il est évoqué dans l’hymne national : « Debout Congolais, unis par le sort, unis par l’effort pour l’indépendance (…) ».
Contre le choix de l’ignorance
Curieusement, plusieurs compatriotes ont choisi d’ignorer toute cette histoire. Cette ignorance voulue chez plusieurs d’entre nous est entretenue chez plusieurs autres par manque d’éducation, de formation et d’information crédible. Une approche à courte vue de notre devenir collectif, la cupidité et l’esclavage volontaire n’arrangent pas les choses. Les diktats de certains chefs spirituels autoproclamés risquent de faire de la réalisation de l’agenda susmentionné une affaire congolo-congolaise.
Ils pourraient faciliter la tâche au « réseau transnational de prédation et de balkanisation » du Congo-Kinshasa. L’ignorance voulue et/ou inconsciente de notre histoire collective, la mal information sur cette histoire, le manque de couverture médiatique alternative de cette histoire, la sous-information sur cette histoire risquent de conduire le Congo-Kinshasa à l’implosion au moment où les autres « humiliés de l’histoire » sont en train de se regrouper en des grands ensembles pour affronter « l’empire sur le déclin » et ses alliés. Des compatriotes « choisis par le Ciel » risquent d’induire plusieurs compatriotes en erreur au nom du privilège qu’ils accordent à un seul « domaine du monde commun », « le domaine (magique) spirituel », afin qu’il colonise les autres (matériel, politique, économique, culturel, social, etc.). « Au nom du Ciel », ils excluent tout débat contradictoire de leur approche du devenir collectif congolais et adopte ceci comme option : « Celui qui n’est pas avec nous est contre nous ». Et qu’en tirent-ils comme conséquence ? Ils en appellent à la fin du « mariage artificiel » conclu entre les différents royaumes ayant existé au cœur de l’Afrique avant la colonisation belge. Ou ils veulent tout simplement le précipiter ; sans débat.
Ils en appellent, donc, à la balkanisation du Congo-Kinshasa. Dans quelle mesure leurs « diktats » sont-ils représentatifs de l’opinion dominante chez « les leurs » ? Sont-ils toujours conscients du service qu’ils veulent rendre au projet des « balkanisateurs » du pays ? Pourquoi estiment-ils qu’il soit de bon ton de passer par le chantage et la soumission à leurs « diktats » (et non par le débat public) pour pousser les Congolais(es) à leur obéir ? Pourquoi « la dictature spirituelle » est-elle préférable à la dictature politique ?
Telles sont des questions que soulèvent certains appels lancés au Congo-Kinshasa au cours de ce « temps de pourrissement ». Il nous semble que se réclamer de « BUKOKO » et oublier la place du « Kinzonzi », du « Looso », des « Masambakanyi » (c’est-à-dire de la palabre) dans « la bonne révolution » dont plusieurs compatriotes ont besoin actuellement, cela peut paraître dangereux.
Organiser un soulèvement populaire exige un minimum de théorisation et des multiples échanges au niveau des collectifs citoyens interconnectés. Une bonne maîtrise de l’histoire du pays est nécessaire. Le cadre de l’action doit être défini. Les réalités (les acteurs et les enjeux) en jeu doivent être déterminées. Les objectifs assignés doivent être indiqués ainsi que les méthodes, les tactiques et les stratégies pouvant aidées à les atteindre (sur le court, moyen et long terme). Les risques encourus doivent être soulignés. Et à ses différentes étapes, cette action ou une autre pouvant aider le Congo-Kinshasa à co-rompre avec les mercenaires, les marionnettes et les autres élites compradores ainsi qu’avec le système qui les a engendrés et qu’ils servent doit pouvoir être évaluée pour être mieux boostée.
Se contenter d’appeler à un soulèvement populaire en faisant fi de l’histoire, sans en indiquer les modalités de réalisation et ajouter des menaces à toute tentative de remise en question de cet appel, c’est verser dans « la dictature de la pensée unique ». Même si elle est « spirituelle » et/ou « magique ».
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961