Rwanda : une opposante (et toute sa famille) arrêtée par la police ?

AFP ET JACQUES BESNARD Publié le jeudi 31 août 2017 à 15h44 – Mis à jour le jeudi 31 août 2017 à 15h52 via La Libre Belgique http://www.lalibre.be/actu/international/rwanda-une-opposante-et-toute-sa-famille-arretee-par-la-police-59a812c6cd706e263fb4b0cc#.WagW3TgjVwk.twitter

La Rwandaise Diane Rwigara, qui avait en vain tenté de se présenter à l’élection présidentielle du 4 août remportée par le président sortant Paul Kagame, a été arrêtée avec plusieurs membres de sa famille par des membres de forces de sécurité, a affirmé jeudi l’un de ses frères, une accusation démentie par la police. Aristide Rwigara, qui vit aux États-Unis, a expliqué que sa sœur et quatre autres membres de la famille avaient été emmenés mardi vers une destination inconnue par des policiers qui venaient de mener une perquisition dans sa maison de Kigali.

« Je sais pour sûr qu’ils ont été emmenés vers un endroit inconnu. Je ne sais pas comment ils vont. On a fouillé la maison, ainsi que leurs téléphones et ordinateurs portables, pendant qu’ils étaient menottés », a-t-il déclaré au téléphone.

Selon lui, les deux autres frères de Diane, Arioste et Aristote, leur mère Adeline et leur sœur Anne, ont aussi disparu. « Il s’agit de réduire ma sœur au silence, parce qu’elle a dévoilé des choses et qu’elle n’a pas peur de dire ce qu’elle pense de tout le mal que le gouvernement rwandais fait », a ajouté Aristide Rwigara.

La police a nié avoir arrêté Mme Rwigara, dont la candidature à la présidentielle n’avait pas été retenue par la Commission électorale pour une question de procédure. Cette décision avait été critiquée par des gouvernements occidentaux et des groupes de défense des droits de l’Homme. « La rumeur qui circule actuellement selon laquelle Diane Rwigara a été arrêtée est fausse », a déclaré dans un communiqué le porte-parole de la police, Theos Badege. « Ce qui est vrai, c’est que la police a mené une fouille à la résidence de sa famille dans le cadre d’une enquête préliminaire sur une affaire d’évasion fiscale et de contrefaçon », a-t-il ajouté.

Homme fort du pays depuis le génocide de 1994, M. Kagame a été réélu en août pour un troisième mandat de sept ans, avec plus de 99% des voix.

Il est crédité du spectaculaire développement, principalement économique, d’un pays exsangue au sortir du génocide. Mais il est aussi accusé de bafouer la liberté d’expression et de réprimer toute opposition.

Diane Rwigara la jeune femme qui défie Kagame (Portrait publié dans La Libre Belgique)

Sans surprise, Paul Kagame a prolongé son bail à la tête du Rwanda, réélu sans réel adversaire avec un score de 98 %. Seuls deux candidats étaient en face de lui.

Les 6,8 millions d’électeurs rwandais n’ont pas trouvé trace de Diane Rwigara sur les bulletins de vote, malgré la détermination de la jeune femme de se présenter face au président sortant.

Le pays a beau pouvoir se targuer d’avoir le Parlement le plus féminisé du monde – plus de 60 % des membres de l’assemblée sont des femmes – le scrutin présidentiel ne voyait s’affronter que trois hommes, Paul Kagame (Front patriotique rwandais), Frank Habineza (Parti vert démocratique du Rwanda) et Philippe Mpayimana (candidat indépendant).

« On a beaucoup de femmes au Parlement. Et alors ? Qu’est-ce que ça change ? » dit Diane Rwigara. « Ça fait partie de l’image, fausse, que le Rwanda veut présenter au monde extérieur. Comme quoi, ils donnent une certaine valeur aux femmes. Les hommes et les femmes qui sont au Parlement n’ont pas de poids. Ils exécutent tous les ordres du parti au pouvoir ».

La Rwandaise qui a vécu trois ans à Namur entre 15 et 18 ans avant d’étudier en Californie aurait donc pu être la première candidate de l’histoire de son pays. La commission électorale, qui n’a pas répondu à notre demande d’interview, en a décidé autrement refusant sa candidature au motif qu’elle aurait falsifié des signatures.

Des accusations qu’elle réfute. « Ils exigeaient 600 signatures et j’en ai donné plus de 1 100. Ils ont utilisé leur politique habituelle de falsification. Ils ont dit que j’avais fait signer des morts. Les numéros d’identité de ces personnes décédées que la commission électorale a publiés sont différents des numéros d’identité qu’on leur avait fournis. Pour moi, c’est un mensonge ».  Pas question pour la jeune politicienne, pourtant, à aucun moment de penser à un éventuel recours. « Où ça ? Toutes les institutions au Rwanda travaillent pour le FPR dont la commission électorale ».

Photos nues sur Internet

La campagne de la jeune femme ne fut pas de tout repos. Dès l’annonce de sa candidature, des photos nues de Diane ont ainsi été publiées sur plusieurs sites rwandais.

« Un montage », se défend celle qui se pense « capable de faire un meilleur travail » que le parti au pouvoir. Un FPR qui accueillerait à bras ouverts les investisseurs étrangers mais mettrait des bâtons dans les roues des entrepreneurs rwandais. Un pays stable et dynamique mais où, selon elle, la réussite dans les affaires dépendrait de la proximité avec le pouvoir.

« Ils présentent une image policée à l’étranger en construisant des hôtels et des buildings à Kigali qui coûtent une fortune. Le Kigali Convention Center a coûté 300 millions de dollars, c’est le bâtiment le plus cher en Afrique. Le parti contrôle tout l’argent. Il reste entre les mains de quelques personnes. Au Rwanda, si tu veux réussir, tu n’as pas d’autre choix que de laisser le FPR prendre une partie de ton entreprise. Si tu ne les laisses pas, tu fais faillite, tu dois fuir, tu finis en prison pour des raisons bidon ou assassiné. Comme mon papa ».

Au nom du père

Assinapol Rwigara, businessman et ancien soutien financier du FPR avant le génocide est, ainsi, décédé dans un accident de voiture en février 2015.

C’est la version officielle. Sa famille n’a jamais cessé, quant à elle, de crier à l’assassinat. « Mon père ne voulait pas céder les fruits de son travail, il n’avait pas envie de fuir le pays. Il ne leur a pas laissé le choix. Ils ne finissent pas se débarrasser de toi. […] Les gens n’osent pas en parler. Je me bats aujourd’hui pour les victimes du FPR et donc aussi pour mon père. Quand j’ai essayé d’aller collecter les signatures, les gens qui m’ont soutenue, mes collaborateurs se faisaient harceler, d’autres ont été arrêtés, les gens qui signaient pour nous se faisaient terroriser », assure-t-elle.

Un témoignage qui fait écho à un récent rapport d’Amnesty International qui dénonce le climat de peur qui sévit dans le pays, notamment lors de l’élection présidentielle.

« Peur pour mes proches »

Malgré l’impossibilité de se présenter, l’ancienne candidate indépendante a donc décidé continuer sa lutte « pacifique » en lançant début juillet son parti : le Mouvement pour le salut du peuple (MSP). « Mon but, c’est de mener un combat de paix pour dire non aux injustices, réclamer nos droits en tant qu’êtres humains. La jeunesse est prête pour le changement et à prendre des risques que nos parents n’osent pas prendre. La jeunesse en a marre, on est fatigués, on est prêts à faire bouger les choses ».

A quel prix ? « Je n’ai pas peur pour moi pour être honnête », répond-elle d’une voix calme avant d’embrayer. « J’ai plus peur pour mon entourage, mes supporters, mes amis, ma famille. J’ai peur qu’ils paient pour mes idées ».

Opposant étranglé

Par le passé, le pouvoir rwandais a déjà été accusé d’avoir muselé ses opposants que ce soit au pays des mille collines ou à l’étranger. Ce fut le cas, notamment, de Patrick Karegeya, ancien chef des services de renseignement devenu opposant en exil et retrouvé étranglé dans une chambre d’hôtel en Afrique du Sud le 31 décembre 2013.

Lorsque la question de l’identité du coupable lui fut posée, Paul Kagame, suspecté par certains de l’avoir commandité, avait démenti toute implication. Interrogé sur cette affaire par le magazine « Jeune Afrique », il avait en revanche froidement répondu. « Le terrorisme a un prix, la trahison a un prix. On est tué comme on a soi-même tué. Chacun a la mort qu’il mérite ».

AFP et Jacques Besnard

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