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RDC : « Qu’on le veuille ou non, on arrivera à la confrontation »

Entretien : Marie-France Cros in https://afrique.lalibre.be/8647/rdc-quon-le-veuille-ou-non-on-arrivera-a-la-confrontation/

Alors que le dernier mandat constitutionnel du président Joseph Kabila est venu à échéance en décembre dernier, l’Accord de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre 2016, le prolongeait d’un an, à certaines conditions : partage du pouvoir avec l’opposition et organisation des élections pour décembre 2017. Or, il a tenu l’opposition à l’écart et tous les signaux émis par le pouvoir indiquent que les scrutins n’auront pas lieu. Où va la République démocratique du Congo ? Pour le comprendre, La Libre Afrique a interviewé le politologue Jean Omasombo, professeur à l’Université de Kinshasa et chercheur au Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren.

Les élections n’auront pas lieu cette année. Vers quoi se dirige-t-on ?

Le recours aux évêques catholiques survenu il y a un an, qui a débouché in extremis sur l’Accord de la Saint-Sylvestre, favorisait déjà Kabila, avec lequel on se résignait à négocier et à qui – plus grave – on laissait beaucoup d’espaces de pouvoir. Il est allé ainsi au-delà de son mandat. Et il tient à le prolonger tant qu’il pourra. Il n’organisera jamais les élections qui signeront sa fin. Le recensement en cours est destiné à distraire l’opinion. On n’aura les élections qu’après le départ de Kabila, à moins qu’il parvienne à changer la constitution. C’est à ça qu’il travaille.

Qu’est-ce qui permet de croire qu’un départ de Kabila est possible ?

Kabila quittera le pouvoir comme il y est arrivé, suite à un coup du hasard, l’assassinat de son père. Aujourd’hui, comme Mobutu, le président Kabila est un homme “pourri”, une autorité déconnectée du pays. Sa survie tient à la structure militaire et sécuritaire qu’il a installée pour casser toute révolte. Comme Mobutu, qui avait sa garde, la DSP, à laquelle s’ajouteront les “hiboux” tueurs, des unités spécialisées dans la contre-manifestation de rue. Mais à la différence de Mobutu, qui a compté sur ses frères de la province de l’Equateur, Kabila n’a plus l’illusion de pouvoir s’appuyer sur le Katanga.

Kabila n’a pas de groupe autour de lui, seulement des individus disparates. Politiquement, c’est un mourant ; il est condamné. Mais il veut survivre, alors il fait venir à son chevet “médecins”, “sorciers”, “guérisseurs” pour empêcher sa mort. Mais, qu’on le veuille ou non, on arrivera, à un moment, à la confrontation.

Certains évoquent un “troisième Dialogue” pour sortir de l’impasse…

Malgré les échecs passés, l’idée de voir organiser un référendum pour modifier la Constitution n’a jamais quitté le camp Kabila. Mais là, il s’agit d’un point non négociable pour l’opinion congolaise. Quel que soit son contenu, un nouveau dialogue affaiblirait davantage les chances d’arriver à une issue légitime. On détruirait davantage la force de la Constitution. Au Congo, l’idée d’un dialogue évoque une ouverture sans fin. On l’a vu avec la sécession katangaise en juillet 1960 : son leader Moïse Tshombe revoyait sans cesse ses exigences une fois celles-ci obtenues ; cela a duré deux ans et demi pour résoudre finalement la sécession après deux semaines de combats. On l’a revu avec Mobutu qui, d’ouverture au multipartisme (1990) en négociation sans fin, s’est maintenu encore sept années, avant d’être “dégagé” en sept mois par la rébellion AFDL. Joseph Kabila est au pouvoir depuis 16 ans sans qu’il ne parvienne à stabiliser le pays. Cela ne l’empêche pas de s’accrocher au pouvoir, quitte à détruire les maigres acquis – dont cette Constitution qu’il a déclarée inviolable. On voit rééditer la prédiction de Mobutu : il organise le chaos.

Dans quelle partie du pays trouve-t-il encore des soutiens ?

Début 2011, lors du congrès des Balubakat à Kamina, ses frères ethniques l’ont admonesté pour manque de développement de leur région ; aujourd’hui, il a perdu cette base qui l’avait pourtant porté aux élections de novembre 2011 en espérant voir, cette fois, des résultats concrets. Kabila s’est contenté de distribuer des postes de pouvoir à quelques frères d’ethnie. Dès lors, le rejet s’est implanté. Des foyers de troubles éclatent dans des régions réputées stables. Des révoltes sévissent au Kasaï depuis fin 2016 ; une forte agitation sévit chez les Nandes au Kivu ; des Twas se soulèvent contre les Lubakats. Il y a quelques jours, un camion d’armes a été intercepté à Lubumbashi, etc. Toutes ces tensions sont exacerbées par la crise économique. Avec Kabila, aucun progrès ne semble plus possible pour le pays : soit on stagne, soit on s’enfonce.

L’opposition ne semble pas assez forte pour imposer une solution. Peut-on éviter une longue agonie du régime, qui serait catastrophique pour le Congo ?

On a déjà consommé une année, avec la rallonge octroyée à Joseph Kabila par l’Accord de la Saint-Sylvestre, obtenu sous l’égide des évêques catholiques. Mais, contrairement à ce qui s’est passé sous Mobutu, il y a maintenant un élément qui bloque le chef de l’Etat : la Constitution. Kabila compte sur sa Garde républicaine, une armée dans l’armée. On va vers une explosion pour faire partir Kabila, avant la mise en place d’autres structures. C’est Kabila qui est responsable du blocage, à cause de sa détermination à garder le pouvoir coûte que coûte. Dès qu’on visera à le sortir du champ du pouvoir, la situation s’éclaircira.

Mais rien n’unit l’opposition, hormis le rejet de Kabila.

Comme du côté Kabila, l’opposition est constituée d’individus qui veulent le pouvoir et l’argent. Sa présence est nécessaire mais la solution ne viendra pas de ses membres. C’est le mal du Congo : le chef dit “j’y suis, j’y reste”. Ce n’est pas l’idéologie qui a uni l’UDPS, c’est l’aura d’Etienne Tshisekedi. L’opposition ne tient aujourd’hui que sur le rejet de Kabila. Et encore ! Mais c’est parce qu’à chaque fois les élections sont confisquées par le régime en place, alors qu’elles seules ont la capacité de renouveler la représentation politique. Faute d’élections régulières, les acteurs deviennent assujettis à l’individu Président qui tient l’Etat. Une longue agonie du régime Kabila équivaudrait à faire de la Monusco une institution permanente. L’opinion congolaise croit que la communauté internationale constitue une partie du problème du pays.

Alors comment débloquer la marche du pays, enlisé ?

Le scrutin dont le pays a besoin de toute urgence, c’est celui pour la Présidence qui, comme en 2006, débloquerait les autres élections. Mais Kabila ne veut pas : il ne va pas organiser son enterrement !

Comment sort-on du cercle vicieux ?

Les scrutins de 2006 et la Constitution actuelle – obtenus après 16 ans de transition ! – ont été très importants. Il faut se battre sur les principes. On avait le cadre, Kabila l’a détruit. La faute de la communauté internationale et des évêques qui ont donné leur onction à l’Accord de la Saint-Sylvestre est de n’avoir pas tenu Joseph Kabila pour responsable de l’absence d’élections. Il ne fallait pas lui permettre de rester ; on voyait depuis 2013 qu’il voulait se prolonger au pouvoir.

Peut-être parce que tout le monde craignait une conflagration…

On n’a fait que la reporter. En attendant, on enracine le mal.

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