« Délestage » : Un comédien/auteur éblouissant, David-Minor Ilunga. Un humour décapant sur les clichés Belgique/RDC ****

Par Christian Jade

David-Minor Ilunga a une habileté « jazzy » à enfiler des anecdotes drôles ou tragiques, une incroyable présence scénique et un sens de l’accroche dès la première phrase : « Bagnole menottes poste de police. Ça a commencé comme ça, m’dame. Ton nom. Ton nom. Tu finiras bien par le cracher ton nom. Qu’est-ce que tu faisais près de cette bagnole ? » comme une parodie des flics de « Starsky and Hutch ». Et deux scènes d’anthologie, inoubliables, l’une à Matonge/Ixelles, où le narrateur s’est fait arrêter, l’autre à Kinshasa avec son « article 15 de la Constitution populaire » : Débrouillez-vous !

Tout commence dans un commissariat de Matonge : « Matonge c’est Ixelles en fait. Mais colonisé par les frères de Mobutu ». Deux flics, l’un brave, l’autre implacable, accusent le narrateur de djihadisme parce qu’il porte un canif. « Une arme blanche, dans un lieu public, c’est suspect. Alors t’imagines une arme blanche entre les mains d’un black, c’est carrément classé rouge. Tu vois ce que je veux dire ? ».

Puis on assiste à une trêve miraculeuse : l’heure du foot. « Suivre un match de la coupe d’Europe de foot, entre deux flics, menottes aux poignets ?! J’en reviens toujours pas. C’était génial !… Même encadré par ces deux flics, je prenais mon pied. J’ai horreur de suivre un match tout seul, m’dame ».  Tout y est, en quelques répliques : la logique policière, tournée en dérision, l’humour du faible qui se moque du fort, David contre Goliath qui aurait un faible…pour le ballon rond. Hilarant et par le sens de la repartie interne -c’est un solo à personnages multiples – et la manière de l’acteur de faire vibrer et bouger tout le corps, en accord avec ces formules percutantes.

Il ne « récite » pas son texte, il le vit, corps et âme, comme un clown raconterait une bonne blague …triste comme les toutes bonnes blagues ! Lukaku, Witsel, Nainggolan, ils en sont fous, les flics ! Mais la défaite de la Belgique change l’humeur conciliante : interrogatoire dur et renvoi vers un centre fermé avec pour seule interlocutrice une avocate/zombie.

Autre raccourci saisissant de racisme « inconscient ». Dans un bar de Matonge, un supporter blanc lâche, dans son admiration pour les noirs de l’équipe belge : « Vive les colonies hein ! Vive le Congo-Belge ! Il avait pas remarqué que j’étais deux pas derrière lui, m’sieur. Et il avait l’air tellement heureux de sa sortie que j’ai pas osé le regarder pour pas que sa joie débande ».

Une colère sèche, contenue

David-Minor Ilunga – © Yves Kerstius

Cette façon de « boxer » son sujet, avec des formules percutantes donne une dynamique souple à la prestation. Mais quand on passe de la tragi-comédie caricaturale de Matonge/Uccle (où sont tapis les profiteurs du régime congolais) à la situation à Kinshasa l’amertume, la révolte pointent, l’humour se fait violent, assassin.

Sur sa propre famille. « Vous savez, m’sieur, le Congo – Léopold II – le caoutchouc rouge – l’invention du pneu en Europe. Belle affaire. Très florissante. Et le grand-père du grand-père de mon grand-père faisait partie des tontons flingueurs de la force publique ». Qui, à ce titre, exécute un homme accusé de ne pas avoir produit assez de caoutchouc. Personne n’en sort indemne : tous bourreaux ou complices, « historiques », de bourreaux. Fini de rire, là, on est dans la colère sèche, contenue. Et quand on aborde la tragédie des enfants de Kinshasa qui jouent avec les câbles électriques, c’est de l’émotion pure, tenue à distance par un faux cynisme : « Chez moi au pays, la mort est un état civil qui nous colle à la peau et on s’en moque. Comme ces gamins qui jouent au foot avec elle dans le quartier, pieds nus, esquissant leurs plus beaux dribbles, leurs plus belles passes et leurs plus beaux buts en chevauchant des câbles électriques nus et béants au sol et on s’en moque ». Digne, dans son humour macabre, de Jonathan Swift qui, dans « Une modeste proposition », recommandait aux parents irlandais de donner la chair de leurs enfants à manger aux Anglais, pour… « survivre ».

« Rire de tout ce qui me persécute » : une « kinoiserie » succulente

David-Minor Ilunga – © Yves Kerstius

Plus analytique le narrateur, dans son centre fermé, quand il réplique à son  » avocate  » belge bidon, censée le défendre : « Comment ça pas de plan ? On a toujours un plan, m’dame. Seulement c’est pas des plans de cinquante ans comme vous autres. Ça se résume à l’instant : survie-survie et survie. C’est comme ça quand on vit dans une société de délestage, m’dame ». Un résumé du « dialogue » Nord/Sud.

Il est rare que je cite autant de texte dans mes critiques. Mais ce style alerte, tour à tour drôle, percutant, assassin et amer m’a ému. Une découverte. Comme la prestation d’acteur de l’auteur, David-Minor Ilunga, « bête de scène » comme on disait de Johnny, d’une aisance totale dans la satire   légère ou le règlement de comptes doux-amer.

Une « kinoiserie » savoureuse ainsi définie : « ma nouvelle confession de foi : « Me foutre des malheurs du bled, la RDC ». Et oui ! Je suis fatigué de pleurer sur le pays qui va mal, je vais plutôt suivre son exemple à lui (le bled) : rire de tout ce qui me persécute ».

David-Minor Ilunga, est une des perles de la collection de Roland Mahauden, increvable dénicheur de talents en RDC depuis 20 ans. Son texte a été écrit en Belgique, au Poche, lors d’une résidence d’écriture…belge, FWB.

« Délestage » de et par David-Minor Ilunga au Théâtre de Poche jusqu’au 23 décembre

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