Homélie de Mgr Donatien Bafuidinsoni, évêque auxiliaire de Kinshasa le 12 janvier 2018 lors de la messe en mémoire des victimes de la répression violente et sanglante de la marche pacifique du 31 décembre 2017 à Kinshasa. Une marche qui a été organisée par le Comité Laïc de Coordination, CLC, en vue de réclamer l’application intégrale, effective et de bonne foi de l’Accord global et Inclusif du Centre Interdiocésain, communément appelé « Accord de la Saint Sylvestre ».
Lectures : 2 Cor 4, 14-5, 1 ; Mt 5, 1-12
Eminence,
Excellences,
Chers frères et sœurs,
Nous sommes réunis pour prier et présenter à Dieu nos frères et sœurs morts le 31 décembre 2017. Nous prions aussi pour tous les blessés et tous ceux qui ont subi toutes sortes de traumatismes, ce jour-là. Nous sommes venus prier avec les familles éprouvées, en communion avec toute l’Eglise catholique de Kinshasa et de notre pays, en deuil.
Que Dieu soit notre consolation et notre force dans cette épreuve.
Avec nos morts et pour nos morts, nous sommes réunis pour proclamer notre foi en la résurrection. Nous sommes venus dire qu’au dernier jour, eux et nous tous, nous ressusciterons avec Jésus. Car, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus vous ressuscitera, vous nos frères et sœurs morts par la volonté mortifère de ceux qui sont sensés assurer votre sécurité ; « Il nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus, et nous placera près de lui avec vous » (2 Cor 4, 14).
Vous êtes venus de Dieu et à Dieu vous retournez. Il vous a donné la vie, il l’a reprise. Que son nom soit glorifié. Nous sommes venus vous remettre à Dieu, nous sommes venus vous dire « Adieu », parce que vous appartenez à Dieu, pas aux hommes. Pour nous qui croyons, avec la mort, la vie n’est pas détruite ; elle est transformée. Dès lors, « ne craignons pas ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ; craignons plutôt celui qui peut faire périr l’âme et le corps dans la géhenne » (cf. Mt 10, 28).
Au demeurant, « dans notre vie comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur » (Rom 14, 8). « En effet, le corps, qui est notre demeure sur la terre, doit être détruit, mais Dieu construit pour nous dans les cieux une demeure éternelle qui n’est pas l’œuvre des hommes » (2 Cor 5, 1).
Les insensés vous croyaient perdus, anéantis, alors que la vie des innocents et des justes est entre les mains du Seigneur. Quand vous hériterez de la gloire, eux, les insensés, auront la honte en partage et mourront par défaut de raison (cf. Prov 3, 35 ; 10, 21).
Bienheureux êtes-vous si vous êtes des hommes de paix. Nous hériterons de la gloire de Dieu, du Royaume de Dieu si nous vivons en hommes qui ont soif et faim de la paix et de la justice. Nous hériterons du Royaume de Dieu si nous ne nous laissons pas berner par l’illusion que procure une richesse périssable, si nous ne nous installons pas dans un état de sécurité fallacieuse, illusoire en cherchant le fondement de notre vie là où il ne serait pas, c’est-à-dire dans la possession. Nous hériterons du Royaume de Dieu si nous nous faisons pauvres parce qu’ayant placé toute notre espérance en Dieu seul, parce que notre regard sur ce monde est libre pour Dieu, parce que nous ne succombons pas à l’illusion que la possession et un bien-être éphémère peuvent tout assurer, encore moins acheter l’immortalité.
Dans l’histoire de la RDC, le 31 décembre 2017 sera désormais connu et remémoré comme le jour des martyrs de l’accord de la Saint-Sylvestre 2016. Car, nos frères et sœurs sont morts parce qu’ils ont choisi de rappeler aux uns et aux autres que pacta sunt servanda… engagement, observance, respect, par lesquels l’on reconnaît si les signataires sont ou ne sont pas des hommes d’honneur, s’ils peuvent ou ne pas être crédibles.
A nos morts martyrs de l’accord de la Saint-Sylvestre, je voudrais dire mon respect et chanter leur courage que les générations futures n’oublieront jamais. Aujourd’hui, vos voix se sont tues. Mais aujourd’hui, par nos voix vous parlez et vous parlerez. Aujourd’hui, votre sang versé a été lavé par les eaux de pluies qui ont inondé la ville de Kinshasa, en causant, hélas, d’autres morts devant lesquels nous nous inclinons. Aujourd’hui, votre sang coule et coulera dans les veines de tous les congolais épris de paix et de justice.
Cette mort atroce nous renvoie (à) l’image de notre propre société, de notre propre pays. Voilà pourquoi on voudrait à tout prix nier l’évidence, on voudrait cacher la vérité sur ces morts, depuis que nous avons été habitués à des mensonges systémiques, au déni de la réalité même lorsque ce sont les victimes qui s’expriment. Cette mort exhibe la faute de tous, de notre péché en pensée, en paroles, par actions et par omissions. Elle nous culpabilise par notre silence et pour notre silence. Les victimes qui sont mortes à cause de notre faute, de notre péché, de notre silence, de notre lâcheté ; ces morts nous accusent par leur innocence et la justesse de leur revendication pour une vraie démocratie dans notre pays. Voilà pourquoi nous sommes choqués, voilà pourquoi nous avons honte devant notre propre conscience et face au monde entier, parce que la mort de nos frères et sœurs nous met en face de nos injustices, de nos irresponsabilités, de notre violence brute ou de notre implacable brutalité. Une violence qui caractérise notre quotidien à travers nos paroles, nos faits et gestes, dans le désordre indescriptible qui caractérise notre vie en société.
Regardez ces jeunes, victimes innocentes, victimes de notre cupidité, de notre avarice, de notre soif de pouvoir, de la misère que nous semons, que nous créons autour de nous par nos injustices, de notre complicité à laisser perdurer une situation alarmante et destructrice, et qui cultive des antivaleurs porteuses de mort. Regardez ces jeunes, victimes de notre insécurité, de l’insécurité que crée notre pays plongé dans les ténèbres, de notre société mal éclairée, au propre comme au figuré ; une société mal dans sa peau, qui ne sait plus à qui faire confiance, et qui a même perdu confiance en elle-même. Une société qui se bat et se débat dans son propre péché et désorientation, et cherche désespérément la vraie Lumière face aux ténèbres qui envahissent nos cœurs et nos vies.
Nous sommes tristes et nous pleurons, parce nous avons perdu des frères, des sœurs. Mais, si nous avons perdu un frère, une sœur, nous avons gagné des héros, de vrais, parce qu’ils ont mêlé leur sang à celui de tous ceux qui sont morts pour l’alternance au pouvoir, gage de la démocratie et du respect de la constitution. Aujourd’hui, nous pleurons. Demain, nos larmes vont sécher. Mais, on reconnaîtra que nos yeux ont pleuré et nos yeux garderont les traces des larmes de nos frères et sœurs encore torturés et enfermés injustement dans des prisons ou dans des lieux tenus secrets. A travers vous, nos martyrs, à travers ceux qui sont en prison ou torturés, c’est Jésus qui est crucifié.
Bienheureux êtes-vous et serez-vous si vous êtes des hommes et des femmes qui luttent pour la justice. Nous hériterons du Royaume de Dieu si nous extirpons en nous la culture de non-respect du sacré, si nous extirpons en nous la culture du non-respect de la vie venue d’ailleurs afin de reconnaître en notre prochain l’homme créé à l’image de Dieu. Nous gagnerons la confiance des hommes et de Dieu si nous comprenons que ni le pouvoir, ni l’or ni l’argent ne procurent le bonheur, à moins de les mettre au service des autres, pour les autres et avec les autres. C’est à cette seule condition que nous sortirons de notre nullité qui n’a d’égale que notre incompétence ou notre niaiserie, avec pour seul talent la roublardise. Alors, et alors seulement, nous bâtirons un Congo plus beau qu’avant que nous léguerons avec fierté à notre postérité, pour toujours.
Heureux êtes-vous et heureux serez-vous si l’on vous persécute à cause de Jésus. Nous hériterons du Royaume de Dieu, si à cause de Jésus et avec Jésus, malgré les persécutions, nous demeurons miséricordieux, capables de dire « Seigneur, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font et ce qu’ils disent ». Ne perdons pas courage, que l’homme intérieur se renouvelle en nous de jour en jour. Attachons notre regard à ce qui ne se voit pas, car ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel (cf. 2 Cor 4, 13.18). Ainsi, ce jour-là quand sonnera le glas et comme au jour de notre Résurrection, ensemble avec nos morts, nous ferons monter une immense action de grâce pour la gloire de Dieu. Que la Vierge Marie, notre Dame de la Paix et Consolatrice des affligés, intercède pour notre pays. Amen.
Mgr Donat Bafuidinsoni, SJ., Evêque auxiliaire de Kinshasa
Cathédrale Notre Dame du Congo, le 12 Janvier 2018
Document à lire sur : Mgr Donatien Bafuidinsoni : « Cette mort atroce nous renvoie (à) l’image de notre propre société, de notre propre pays ». http://cenco.org/mgr-donatien-bafuidinsoni-cette-mort-atroce-nous-renvoie-a-limage-de-notre-propre-societe-de-notre-propre-pays/