Pendant près de deux heures, le Chef de l’Etat Joseph Kabila s’est livré à l’exercice du bilan de ses 17 ans de règne. Manifestement, le Raïs s’octroie la plus grande mention. Mis à part le fait, dit-il, de ne pas avoir réussi à transformer l’homme congolais, il a affiché une telle autosatisfaction que ses propos appellent recadrage.
Si Kabila a peint un tableau plutôt reluisant de la situation sécuritaire du pays, du secteur socio-économique et relevé une évolution dans la pratique électorale sous son leadership, les réalités sur terrain le contredisent de manière cinglante. Ce qui fait dire à plus d’un que le président de la République est déconnecté des réalités de son pays. Il vivrait sur une autre planète, ironise le président national de l’UNC. Non, Joseph Kabila choisit très clairement de présenter ainsi son bilan.
Sinon, comment comprendre que le Congolais censé être mieux informé que n’importe quel autre Congolais, ne se rende pas compte de la perte du pouvoir d’achat des Congolais moyens et ceux au plus bas de l’échelle sociale, du fait de la dépréciation de la monnaie nationale.
La précarité de la situation sécuritaire dans certaines provinces (même s’il ne s’agit que des provinces du Nord et du Sud-Kivu principalement, a-t-il minimisé), l’insalubrité grandissante, à Kinshasa particulièrement, le recul sur les plans électoral et des libertés individuelles et publiques, etc. L’autorité morale de la majorité présidentielle ignore superbement tout cela. Il voit tout en rose. Il s’obstine à tout voir en rose.
Au-delà de ce qui a été dit, il faut relever que Joseph Kabila défie tout le monde : la communauté internationale, l’église catholique (vu ses nombreuses allusions à celle-ci, l’opposition politique, par-dessus tout le peuple congolais.
Il y a lieu de reconnaître aussi que le 26 janvier, Kabila était au meilleur de sa forme…humoristique. Ses 5 ans de silence auront le mérite d’avoir transformé cet homme impénétrable en « vanneur » de talent.
Des promesses faites en 2001 non tenues
Aucun ne remord, aucune excuse sur sa responsabilité plus qu’évidente, notamment dans le retard pris dans l’organisation des élections prévues préalablement en 2016, mais aussi en ce qui concerne la situation socio-économique comme promis dans le cadre de son discours d’investiture du 26 janvier 2001.
Il avait en effet promis de mobiliser toutes les forces vives de la Nation dans la production afin d’améliorer, par le travail, les conditions de vie de ses concitoyens et de pourvoir à une éducation et à des soins médicaux qualitatifs et accessibles à tous. On peut noter quelques rares avancées dans certains secteurs, mais pas plus.
Il avait par ailleurs promis de renforcer l’Etat de droit, de consolider la démocratie et la bonne gouvernance, de garantir les droits de l’Homme et la justice, afin que tout Congolais jouisse de la liberté, de l’égalité, de la dignité, de la protection de sa personne et de ses biens.
17 ans après, rien de tout cela. Les dernières répressions sanglantes du 31 décembre 2017 et du 21 janvier dernier, la justice à double vitesse, des salaires de misère ne permettant pas aux braves fonctionnaires de l’Etat de nouer les deux bouts de la semaine de la paie, en disent long sur ce que devrait être son véritable bilan.
Quand l’artisan de la paix dégaine
Au lieu d’apaiser, Joseph Kabila a davantage crispé le climat politique. Tous ses adversaires en ont eu chacun pour son compte. L’église catholique, cette église millénaire et réputée pour ses interventions salutaires sur le plan social, ainsi que le Cardinal Monsengwo, sans être cité nommément, ont essuyé de nombreuses critiques de la part du Chef. A propos de leur implication dans les marches des chrétiens pour réclamer l’application effective et intégrale de l’accord de la Saint-Sylvestre. L’église ne devrait pas s’occuper de la politique, a-t-il soutenu.
La vérité, c’est que JKK redoute l’engagement citoyen de l’église et se sent donc comme livré à la vindicte populaire par les princes de l’église ayant, plus que jamais, pris la tête de la contestation. L’ombre de Laurent (Monsengwo Ndlr) a tellement plané sur sa conférence de presse qu’il a, feignant faire une de ses blagues à son auditoire, évoqué le mot qui fait débat actuellement : « médiocre ».
Kabila dénigre les journalistes et s’approprie la constitution
C’est donc un Joseph Kabila bien préparé face à une presse remplie d’applaudisseurs et des rieurs, rapporte actualite.cd. « Beaucoup de journalistes si pas tous étaient informés et invités à quelques heures de la fameuse conférence de presse. Les services de communication de la présidence ont d’abord brouillé les pistes. Aux uns, il a été rapporté que c’est une conférence de presse avec le directeur de cabinet du chef de l’Etat. Aux autres, il a été dit qu’il s’agirait d’un simple briefing à l’intention des journalistes », révèle le confrère.
Et fort de cet avantage, Kabila n’a pas hésité à critiquer ou mieux à humilier ouvertement la presse. « Journalistes médiocres », a-t-il qualifié le parterre de journalistes venus assister à son show pour n’avoir pas posé des questions entre autres liées à l’affaire Panama Papers qui a égratigné des membres de sa famille biologique. Finalement pour ne pas dire grand-chose lui-même à ce sujet.
Des journalistes médiocres aussi parce que, peut-on comprendre, usant de leur liberté d’expression qu’il leur a ‘’accordée du fait de sa noblesse de cœur », publient des écrits injurieux contre sa personne, après une nuit passée dans des bistrots.
Des bistrots où passaient le plus clair de leur temps ses pourfendeurs, aujourd’hui grands défenseurs de la constitution qui l’avaient, selon lui, combattue dans le cadre du référendum de 2005. Ces propos passent pour un manque de respect à l’égard des journalistes, des opposants et d’une bonne partie du peuple congolais qui ne réclament que l’application de l’accord de la Saint-Sylvestre et le respect de la constitution.
Le bouc émissaire
Croyant remettre la Monusco à sa place et certainement sous le coup de l’émotion, le Raïs a perdu de vue que sans la mission onusienne, la RDC ne serait pas venue à bout du M23 et d’autres forces négatives. Surtout avec la complicité de certains officiers généraux plusieurs fois dénoncée, thèse très souvent rejetée par Kinshasa.
JKK a aussi oublié l’appui logistique de la Monusco dans le processus électoral de 2011 et celui en cours. Certes la Monusco n’a pas pour vocation de rester indéfiniment en RDC, mais le fait qu’elle dénonce les violations des droits de l’Homme et le non-respect des engagements sur le plan politique ne doit pas constituer un motif de remise en cause de leur présence sur le sol congolais.
Aveu d’incompétence ou arrogante ignorance ?
Fort de son humour, le président Kabila estime que son échec aurait été de ne pouvoir transformer l’homme zaïrois. Mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’en 17 ans il a aimé baigner dans le Zaïrois qu’il vilipende aujourd’hui. Et ce, au propre comme au figuré !
Son entourage, sa politique nationale et internationale, … Ne trouvez-vous pas des similitudes avec l’époque du Maréchal, Roi du Zaïre ? Indexer l’étranger comme source de nos malheurs, réprimer les manifestations, emprisonner les opposants, assujettissement de la population, culte de la personne, partage de postes et non du pouvoir, crise sociale, … Et j’en passe.
Malheureusement, l’environnement et les pratiques sont restés zaïrois. Comment peut-on, alors, espérer transformer des Zaïrois en Congolais tout en les maintenant dans un environnement sociopolitique zaïrois ? Il faudra peut-être attendre que JKK ait obtenu sa toute première pièce d’identité congolaise pour répondre à cette question.
La Belgique mise en cause
Quant à l’ancienne métropole qu’il accuse d’avoir mis en péril la démocratie avec l’assassinat de Patrice Emery Lumumba, JKK exige d’elle qu’elle arrête de comploter contre la RDC.
Entre-temps, il a décidé de lui rendre coup pour coup, au nom du principe de réciprocité dans les relations diplomatiques. C’est tout le sens de la mesure projetée de fermer la Maison Schengen et l’Agence belge de développement en représailles à la décision du gouvernement belge de réorienter son aide humanitaire vers les ONG.
Quel gâchis !
Relevons deux choses : si la Belgique a arrêté l’élan démocratique pris par le Congo en éliminant physiquement Lumumba en 1961, qu’avons-nous fait, nous-mêmes, pendant toutes ces années d’indépendance ? Oui, après des décennies de passage à vide, de tergiversations, le pays s’était à nouveau engagé dans la voie de la démocratie, avant que ce gouvernement ne rompe le pacte républicain de Sun City. La Belgique, la Belgique. Pff ! Mais ça fait 57 ans ! Non, c’est un raccourci, un faux-fuyant.
Aussi, s’il y a complot, qu’on dise contre qui il est ourdi. Le peuple, le pays ou des dirigeants pris individuellement ? Si la Belgique n’émettait aucune critique sur la marche du pays, parlerait-il de complot ? Sûrement pas.
Il s’agit simplement d’une posture pour faire face aux nombreuses pressions exercées sur lui et continuer à défier ceux qui, comme l’église catholique encore et toujours au chevet des populations abusées, réclament l’alternance. Jusqu’où irait-il dans ce bras de fer qu’il engage contre tous ? Wait and see.
JPD Libaku
Article à lire sur : Souriez, Le Chef Rompt Le Silence ! http://capsud.net/2018/01/29/souriez-chef-rompt-silence/