Par la voix de Radio France Internationale (RFI), l’opinion nationale et internationale a appris la tenue, à Abuja au Nigeria, du 26 au 28 février 2018, d’une conférence internationale réunissant des hommes politiques, des experts scientifiques et des investisseurs du monde entier avec pour but de mettre en œuvre un plan de sauvetage de l’ensemble de la région du lac Tchad confrontée à la sécheresse et à l’insécurité.
Selon RFI, l’objectif premier de la conférence est de créer une conscience globale sur les défis socio-économiques et environnementaux de la région. Le second objectif est d’élaborer un plan d’action détaillé pour préserver le lac de la disparition.
Parmi les options de restauration de ce lac qui a perdu 90% de sa superficie en l’espace de 40 ans, un colossal projet de transfert d’eau du fleuve Congo vers le lac Tchad est envisagé. Le coût de ce projet de transfert massif d’eau est évalué à 10 milliards de dollars. RFI indique dans son reportage que le projet soulève beaucoup de questions notamment en termes de conséquences écologiques.
D’entrée de jeu, il faut relever que la question du transfert d’eau du fleuve Congo vers le lac Tchad n’est pas nouvelle. Nous l’avons indiqué dans l’ouvrage que nous avons publié en 2010 intitulé « L’eau, principale ressource économique et enjeu stratégique majeur pour la RDC au 21ème siècle ».
Cette question de transfert d’eau remonte aux années 70. Elle s’était posée suite à la grave sécheresse qui avait sévit au Sahel africain et qui avait brutalement fait passer la superficie du lac de 22.000 km2 à environ 8.000 km2 en un laps de temps très court. A la même époque, les précipitations semblaient augmenter dans la zone de la forêt tropicale humide de l’Afrique et notamment dans le bassin versant du fleuve Congo. Notons que la superficie originelle du lac Tchad est de 25.000 km2.
Pour résoudre le problème, il était question d’opérer un transfert massif d’eau des régions excédentaires du bassin versant du fleuve Congo vers les zones déficitaires du Sahel, entre les affluents nord du fleuve Congo et le bassin versant du Chari, principal tributaire du lac Tchad. Ce projet fût baptisé du nom de « Transaqua ». L’intérêt de ce projet s’émoussa très rapidement face aux effets induits du premier choc pétrolier et de la crise financière qui frappa certains pays africains suite à l’augmentation de la facture pétrolière. Les ressources nécessaires au financement du projet faisaient défaut.
Dans l’entretemps, le lac Tchad a continué à voir sa superficie se réduire. Cette évolution a un impact négatif sur les activités socio-économiques et le niveau de vie des populations riveraines dépendantes du lac d’autant plus que l’activité de 80% de ces populations tourne autour de la pêche, de l’élevage et de l’agriculture de décrue. A la suite de cette évolution, il s’observe un phénomène de migration des populations de la région du lac Tchad vers d’autres zones à la recherche de meilleures conditions climatiques et de pâturage pour l’élevage.
Voilà la problématique originelle de la question de la crise du lac Tchad à laquelle s’ajoute, aujourd’hui, une équation nouvelle née suite à l’émergence du groupe armé Boko Haram qui opère dans cette région.
Tout en partageant la préoccupation qui anime les pays riverains du lac Tchad compte tenu du rythme moyen d’assèchement du lac qui est de 2,25% de sa superficie par an, nous devons relever que la question du transfert d’eau du fleuve Congo vers le lac Tchad intéresse au plus haut point la RDC et les Congolais. Il est tout à fait normal que les experts de ce pays s’expriment sur le sujet et donnent leur point de vue sur cette question.
Car, comme nous l’indiquons dans un nouvel ouvrage que nous venons de publier en janvier 2018 intitulé « Document des stratégies pour la transformation des ressources naturelles de la RDC en richesse économique », le fleuve Congo est le principal levier pour le développement à long terme de la RDC.
En effet, à travers le fleuve Congo, la RDC dispose de nombreuses opportunités de développement notamment par l’implantation des aménagements hydroélectriques, l’irrigation des cultures et le développement des investissements productifs. Ce fleuve constitue également une source d’eau potable pour la population, un boulevard naturel qui facilite les échanges commerciaux internes et la première route nationale de desserte agricole. Ainsi, la question du transfert des eaux du fleuve Congo vers d’autres bassins hydrographiques est étroitement liée aux perspectives de développement du pays. Cet aspect des choses est à considérer avec le plus grand sérieux et il appartient à la RDC de le mettre sur la table.
Cette tribune nous offre l’occasion de mettre l’accent sur certaines propositions concrètes que nous avons déjà formulées dans nos précédents ouvrages, comme celle de la création d’un grand Ministère de l’Eau qui serait chargé à la fois de la gestion du service public de l’eau et de la gestion des ressources en eau, celle de la création de l’Agence Nationale de gestion du fleuve Congo en tant qu’organisme de bassin chargé de la gestion intégrée de l’eau du fleuve Congo sur le territoire national et celle de la mise en œuvre d’une diplomatie active dans le secteur de l’eau (hydro-diplomatie) préservant les intérêts stratégiques du pays dans ce secteur.
S’agissant des propositions sur la question spécifique du transfert d’eau, deux volets sont à considérer absolument : (i) l’impact environnemental et les autres variantes à part le transfert d’eau en amont du site d’Inga et (ii) le volet technico-économique du projet à mettre en œuvre.
L’analyse de l’impact environnemental des projets de transfert massif d’eau s’effectue aussi bien au niveau du bassin donateur que du bassin récepteur. Au niveau du bassin donateur, ces transferts peuvent ponctionner des volumes importants d’eau au point de déstabiliser les écosystèmes qui dépendent des cours d’eau donateurs.
Certains transferts peuvent même causer l’assèchement des cours d’eau donateurs et détruire purement et simplement leurs écosystèmes. Il en résulte, entre autres conséquences, la disparition de certaines activités économiques de base telles que la pêche.
Par ailleurs, des prélèvements importants en amont d’un cours d’eau peuvent occasionner la baisse des débits et affecter négativement certaines activités économiques liées à l’utilisation du cours d’eau donateur telles que le transport ou la production d’énergie hydroélectrique.
Au niveau du bassin récepteur, les transferts massifs entre bassins peuvent introduire des espèces animales ou végétales qui risquent de perturber gravement l’écosystème récepteur.
L’impact environnemental des projets de transfert massif d’eau doit par ailleurs être évalué au niveau des conséquences sur l’environnement occasionnées par des travaux de construction et d’implantation de grands ouvrages de captage et de transport d’eau sur de grandes distances (tunnels, pipelines, canaux de dérivation etc.). Ces travaux peuvent causer des dommages à l’environnement ou provoquer des déplacements des populations et la destruction de leurs cadres de vie.
En ce qui concerne le transfert massif d’eau du bassin du fleuve Congo vers d’autres bassins hydrographiques, les préoccupations majeures portent principalement sur les conséquences écologiques de ces transferts, les conséquences sur le débit du fleuve Congo, les conséquences cumulées des prélèvements et des changements climatiques qui perturbent le cycle de l’eau. Ces préoccupations sont légitimes d’autant plus que les connaissances sur le volume global des ressources en eau de la RDC sont insuffisantes.
Quant à l’analyse technico-économique des projets de transfert massif d’eau, elle s’effectue au niveau de la rationalité économique et de la viabilité de ces projets. En général, un projet de transfert d’eau est considéré comme économiquement viable si les coûts induits par les transferts sont inférieurs aux revenus générés par l’exploitation commerciale de l’eau dans le bassin récepteur sur l’ensemble de la durée de vie économique des investissements mis en place. Par ailleurs, les bénéfices économiques résultant du transfert d’eau doivent être évalués et partagés équitablement entre les régions d’origine et réceptrice. Ils ne doivent pas demeurer dans la seule région réceptrice.
Achille BONDO LANDU
Expert en Gestion Economique de l’eau