A quatre ans près, il traversait bonnement le siècle dont il aura connu et raconté les histoires de son pays le Congo dans toutes ses méandres de l’époque coloniale belge à la RDC de Joseph Kabila en passant par le Zaïre de Mobutu. Lui c’est le bien nommé Joseph Mbungu Nkandamana dont la deuxième partie du nom en langue luba ne signifie autre que « celui qui résiste ».
Prolifique lorsqu’il s’agissait de parler politique dont il maitrisait les anecdotes, les codes et journaliste dans l’âme ; l’homme était imposant de sa voix comme de taille. Affaibli par la maladie et le poids de l’âge, le colosse s’est pourtant lentement éteint loin de son Congo natal au matin du samedi 12 mai 2018 dans sa 96ème année d’âge à l’Hôpital Brugmann de Bruxelles. Ce sont deux messages laconiques postés sur les réseaux sociaux tôt le matin du même samedi 12 mai 2018 qui annonçait son décès.
D’abord celui de la famille biologique par son petit-fils Christian Kasongo-Mwema Le Mutoni (JR) sur son compte Facebook : « Le moment tant redouté, est arrivé…Joseph MBUNGU NKANDAMANA, mon Grand-père, a rejoint les ancêtres. Partir à 96 ans faut le faire, il a vu grandir ses enfants, ses petits-enfants et ses arrières petits-enfants. Il a vécu pleinement et en bonne santé, on peut sans crainte dire qu’il a BIEN vécu ! Alors Rendons grâce à Dieu de l’avoir eu auprès de nous aussi longtemps, en célébrant sa vie. Rest In Power LE MUKANDIER ! Sincères condoléances chère famille ! JR. (Comme il aimait m’appeler) ».
Puis celui d’un proche ami et confident, l’Abbé Gilbert Yamba du Groupe Epiphanie réunissant les prêtres congolais de Belgique vers 6h00’ du matin : « Je vous informe que le doyen de la Communauté congolaise de Belgique notre papa Mbungu Joseph vient de nous quitter ce matin ».
Qui était Papa Joseph Mbungu Nkandamana ?
Un bref résumé de la couverture de son dernier livre L’INDÉPENDANCE DU CONGO BELGE ET L’AVÈNEMENT DE LUMUMBA préfacé de Benoit Verhaegen et paru aux Editions de L’Harmattan le 01/02/2008 nous en dit un peu plus : « Joseph Mbungu est l’un des derniers témoins-acteurs de la colonisation belge au Congo et de l’indépendance en 1960, qu’il décrit en se basant sur la documentation publiée à l’époque et des articles de son périodique Présence Congolaise. La vie de la capitale, les élections, les congrès de 1958 à 1960, les nouvelles institutions, la formation du premier gouvernement dirigé par Lumumba et la Force Publique sont les temps forts de ce livre-témoignage ».
Natif de Kwango dans l’ancienne province de Bandundu en 1923, Joseph Mbungu Nkandamana a résidé en Belgique où se trouve installé une grande partie de sa famille. Cet ancien témoin de son époque laisse derrière lui une longue histoire jalonnée des récits. Avec un papa travailleur à Dima pour la Compagnie du Kasaï et une mère au foyer, comme tous les enfants de bonne famille ; Joseph Mbungu fait ses études primaires à Dima avant de partir pour l’internat à Leverville (Lusanga) à l’âge de de 8 ans.
Un destin de leader déjà en 1935, à peine âgé de 12 ans il devient moniteur (enseignant) dans l’enseignement à Bandundu, ville située à la confluence des rivières Kwilu et Kasaï. D’après son propre récit, il se fait remarquer par le Père missionnaire Gustave Van Tilborg qui lui permet d’accéder aux études moyennes à l’Ecole des Moniteurs de Leverville à la mission des Huileries du Congo-belge.
A 18 ans, il termine ses études et le 15 janvier 1942 il est enrôlé dans la Force publique où il est affecté au Groupe (bataillon) de Chasseurs Motorisés commandé par Émile Janssens.
D’abord travailleur à l’aumônerie auprès du père Alain Humpers, il sera remarqué par celui qui deviendra le Général Janssens dont il sera quelque temps après secrétaire particulier, ce qui créera pas mal de jalousie auprès des subordonnés blancs de l’époque. Ce à quoi le Général Janssens coupe court en affirmant : « Je le préfère à vous les blancs, car vous pouvez être des traîtres alors que lui ne connaît pas les étrangers et il ne pourra dès lors trahir ». Surnommé « le fils du commandant » par la communauté belge blanche, il restera secrétaire de Janssens de janvier à septembre 1942. Fonction qu’il exercera concomitamment avec celles de moniteur (enseignant) magasinier, vendeur à la cantine, intendant et tenancier de bar…grâce au lien de confiance tisée.
En septembre 1942, son bataillon est engagé dans les campagnes en Afrique de l’Est durant la 2e guerre mondiale, Joseph Mbungu sera chargé de liquider le camp après le départ des troupes. Ceci en dressant un inventaire complet du matériel restant et de le faire parvenir à l’Etat-Major en date 15 septembre 1942. Un mois plus tard, Joseph Mbungu est engagé comme clerc des Pères Jésuites au Collège Albert (devenu Boboto) où il restera en fonction jusqu’au 31 décembre 1958.
Après la guerre et démobilisé, il rencontrera fortuitement le Général Janssens au Collège. Ce dernier le saluera avec ce trait d’esprit : « Vous avez raté une belle promenade ». En effet, son ex-bataillon d’affectation avait participé à de nombreuses campagnes notamment en Égypte, en Syrie, en Palestine jusqu’en Birmanie, où un poste médical avait été engagé dans la guerre du Pacifique en soutien à l’armée Américaine.
Une nouvelle vie de journaliste
C’est à partir de 1954 que joseph Mbungu commence une nouvelle carrière de journaliste pour « Présence Congolaise », un complément au magazine belge « Courrier d’Afrique » au sein d’un groupe d’une vingtaine des correspondants.
En 1958, « Présence Congolaise » devient indépendant et Joseph Mbungu en prend la direction comme le Président. Durant deux ans, « Présence congolaise » sera la tribune du nationalisme dit « modéré », ses bureaux installés dans le quartier de Dendale (actuelle commune Kasa-Vubu) près de la commune de Kalamu en plein cœur de son Quartier d’ambiance dit Matonge. Entre 1959 et 1960, il est ainsi en contact avec les personnalités congolaises de premier plan comme Joseph Kasa-Vubu, Joseph Ileo, Cyrille Adoula, Alphonse Nguvulu…
En octobre 1958, avec notamment Patrice Lumumba, il cofonde le Mouvement National Congolais (MNC). Avec les différends et la dissension au sein du parti et le M.N.C, le parti politique sera scindé en deux tendances : celle de Lumumba contre celle Kalonji Ditunga dit Mulopue ayant sa zone d’influence au-delà de la Province Orientale pour le MNC/Lumumba alors que celui de Kalonji restant confiné à la région Luba du Sud-Kasaï. S’étant montré critique envers Lumumba, Joseph Mbungu s’était alors rapproché de Kalonji en se repliant sur la région Luba du Sud-Kasaï.Aux premières élections de mai 1960, Lumumba obtiendra 33 sièges tandis que Kalonji s’en sortira avec seulement 8 sièges.
Pour terminer ce papier souvenir, une anecdote personnelle sur ce grand homme au propre comme au figuré : « Nous sommes en 1992 à la Conférence Nationale Souveraine (CNS) tout au début de ma petite carrière de journaliste face à ce géant qui en avait déjà des années. Et la scène se déroule au Centre de Presse de ces assises que présidait feu l’éditeur de l’Hebdomadaire KYA du Bas Zaïre Sassa Kasa Yi Kiboba en présence d’un autre Editeur, Joseph Mbungu qui y représentait son Journal « Présence Africaine ». Les journalistes Reporters à ce forum rouspétaient bruyamment concernant leur perdiem non payé que Joseph Mbungu de sa voix imposante voulu prendre cause pour soutenir son collègue éditeur. La clameur de colère des journalistes s’accentua davantage et on entendit de la foule à son encontre des propos comme « Editeur Hiboux » du surnom de ces forces de répression sous Mobutu qui faisaient taire les opposants et les médias. En lieu et place de se démonter face à ces jeunes confrères qui avaient l’âge de ses petits-fils déjà nombreux à l’époque, Joseph Mbungu tonna de sa voix grisaille que tout le monde se tût comme des bébés. Pour mémoire, cette scène se passe en présence de son beau-fils, Tharcisse Kasongo Mwema Yamba Yamba qui se trouvait à la CNS sous le quota de l’Office Zaïrois de Radiotélévision (OZRT) » …
Son virus de communication et de journalisme, Joseph Mbungu l’aura transmis à ses enfants dont tonton Dieudonné Mbungu Kalimasi, un des grands techniciens à la Ratelesco du côté des studios de Notre Dame de Fatima à la Gombe, sa fille Hubertine Mbungu Mwema ; épouse à la ville d’un autre journaliste Henri-Tharcisse Kasongo Mwema, elle fut l’initiatrice du Journal Télévisé au féminin sur l’OZRT et présentatrice de l’émission chrétienne « Heure du Seigneur ». Mais aussi Jeanne Mbungu, une jeune femme journaliste talentueuse sortie de l’école de journalisme de Kinshasa ISTI-Gombe partie trop tôt de l’autre côté dans le séjour des morts.
Homme de foi chrétienne catholique, Joseph Mbungu aura aussi transmis la même conviction à sa famille toute entière. Adieu donc et repose enfin en paix de toute ton œuvre grand monsieur Nkandamana, autrement le « Résistant » mais qui n’a pas tenir face au destin de tous les communs : la mort. Ta famille m’avait adopté par ton beau-fils Tharcisse-Henry Kasongo et son épouse Hubertine Mbungu et de cela je men souviendrai pour le reste de ma vie.
Roger DIKU à Bruxelles