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Belgique : La ville wallonne de Charleroi dévoile sa plaque de la Rue Patrice Lumumba

Dans le cadre des festivités marquant les 60 ans de l’indépendance du Congo, c’est un semblant de réveil de conscience qui a gagné la Belgique francophone officielle pour se souvenir du visage de l’ancien premier ministre et héros national Patrice Emery Lumumba.

Ainsi de ce mois de mai jusqu’au 30 juin 2018, date de la proclamation de son indépendance ; des manifestations officielles vont jalonnées toute la période. La première d’entre-elles fut le dévoilement le jeudi 24 mai 2018 dans la salle du Conseil communal, de « La plaque de la Rue Patrice Lumumba » dans le district du Centre du pays de Charleroi. Et c’est la rue Paul Pastur qui a été débaptisée solennellement en présence des autorités politico-administratives de la ville ainsi que quelques membres de la famille Lumumba dont son fils Guy-Patrice Lumumba. Cette « rue portera désormais le nom de Patrice Lumumba, un combattant pour l’égalité et la justice, qui avait été nommé Premier ministre de la République Démocratique du Congo en 1960 lorsque le peuple avait pris son indépendance. Il a été assassiné un an plus tard » peut-on lire sur le site de Télé Sambre, la télévision régionale.

« Liberté d’Afrique, j’écris ton Nom », parole du tout premier premier ministre du Congo Indépendant que l’on peut lire sur cette plaque que désormais les passants dans cette rue verront, faisant ainsi que Charleroi devient la première ville de Belgique à donner à l’une de ses rues le nom de Patrice Lumumba.

Le ministre plénipotentiaire de la RDC Paul-Crispin Kakhosi Bin Bulongo, n’a pas manqué de rappeler la cause de la tragédie de Lumumba : « Le symbole est fort à plusieurs égards. Patrice Lumumba reste à jamais un jalon dans l’histoire de la RDC mais aussi de toute l’Afrique et du Monde entier. Charleroi est donc la première ville en Belgique qui panse les plaies de l’injustice véhiculée au fil de l’Histoire. Terre de charbon, Charleroi nous rappelle aussi que c’est notamment pour le contrôle des mines du Congo que Lumumba a été lâchement assassiné. Les Carolos sont des pionniers dans ce travail qui va bien au-delà du simple geste politique. Nous y voyons une preuve d’empathie envers les souffrances subies par les Congolais, pendant la colonisation et après celle-ci ».

Geneviève Kaninda, coordinatrice du collectif « Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations », n’a pas manqué de souligner le fait que « La lutte a porté, au fil des décennies, pour garder vivace la mémoire de Patrice Lumumba. Cette plaque de rue, c’est l’assurance que le fait historique sera étudié sous toutes ces facettes et plus uniquement du seul point de vue de l’ancienne Belgique coloniale. Nous soulignons la décision prise par Charleroi et nous ne pouvons que souhaiter que cet exemple donne du courage aux autres villes belges afin de rebaptiser l’une de leurs rues du nom de Patrice Lumumba ».

La même symbolique entamée le 24 mai 2018 à Charleroi se poursuivra à Bruxelles avec l’inauguration de la Place Patrice Emery Lumumba à Matonge à Bruxelles le 30 juin 2018 en plein cœur de Matonge, le quartier Africain de la commune d’Ixelles. Et ce sera autour de la ville de Mons, capitale de la province de Hainaut de dévoiler sa propre plaque dans le cadre des manifestations de ces 58 ans d’indépendance du Congo.

Né le 2 juillet 1925 à Onalua en territoire de Katako-Kombe au Sankuru) au Congo Belge (actuelle RDC), Patrice Emery Lumumba qui a passé le plus de son temps à Stanley ville (Kisangani) fut le premier à occuper le poste de premier ministre du Congo entre juin et septembre 1960. Il est mort assassiné le 17 janvier 1961 au Katanga.

Une tragédie qu’on aurait pu éviter ?

« Sans justice, il n’y a pas de dignité. Sans dignité, il n’y a pas de liberté… » disait Patrice Emery Lumumba dans l’un de ses multiples discours du début des années 1960.

Le  Rapport final des Travaux de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) en 1992 rappelle qu’alors que le plan international pour l’anéantir avait déjà été mis en place et au moment où ses bourreaux croyaient l’avoir anéanti et avec lui enterré à jamais la vérité, Patrice Emery Lumumba, pourtant au paroxysme de son calvaire, trouva encore la force de prononcer à leur adresse ces paroles contenues dans sa célèbre lettre à Pauline Opango  son épouse : « Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’Histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseigne aux Nations Unies, à Washington, à Paris ou à Bruxelles, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera du Nord au Sud du Sahara une Histoire de gloire et de dignité ».

Nul ne peut en douter aujourd’hui : la tragédie de Lumumba, c’est en tous points, la tragédie du Peuple congolais, du monde libre du colonialisme et des sociétés humaines. Mais aussi, l’héroïsme de Lumumba, c’est en tous points l’héroïsme du Peuple congolais.

Dans son mémorable discours d’indépendance en partie improvisé, prononcé le 30 juin 1960 au Palais de la Nation devant Baudouin 1er, Roi des belges, Patrice Lumumba déclarait à l’endroit du Peuple congolais et avec force : « Je vous demande de faire de ce 30 juin une date illustre que vous garderez gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’Histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté».

Et le Premier ministre du Congo libre de continuer : « Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun recevra la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre du rayonnement de l’Afrique toute entière. Nous allons mettre fin à l’oppression de la pensée libre et faire en sorte que tous les citoyens jouissent pleinement des libertés fondamentales prévues par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ».

Ce grand et noble dessein qu’il entendait réaliser pour son Peuple et pour l’Afrique toute entière, Lumumba ne l’atteindra jamais. En effet, au bout de 55 jours, du 30 juin au 05 septembre 1960, presque seul face à la machine infernale de l’impérialisme international et face à l’agitation déchaînée des thuriféraires locaux, le Premier ministre du Congo indépendant et libre succombera, mais sans se renier. Le groupe de Binza constitué de (Joseph Désiré Mobutu, Victor Nendaka, Justin Bomboko, Albert Ndele, Joseph Kithima, Joseph Nsinga respectivement chef de l’Etat, chef de la sécurité, ministre des Affaires étrangères, gouverneur de la Banque nationale, chef syndicaliste et ministre de l’intérieur) aidé du Lobby Katangais de Moïse Tchombé complotèrent pour neutraliser Patrice Lumumba.

Ce groupe néfaste à la base du coup d’Etat militaire de Mobutu le 24 novembre 1965 poursuivra son projet en pourchassant les lumumbistes jusque dans leur République Populaire du Congo dirigé par Christophe Gbenye depuis Stanley ville (Kisangani) en 1964. Mobutu se retournera ensuite contre Tchombé avant de prendre le pouvoir en 1965.

Du Premier ministre Lumumba, son incarnation du combat héroïque pour la dignité et pour la liberté de l’homme noir, son combat contre toute forme de domination étrangère, son combat contre l’aliénation mentale et contre la désagrégation de l’État congolais lui seront fatals.

Dans leur livre en néerlandais « Koning en Onderkoning = Roi des Rois » paru fin 2001 en Belgique, deux journalistes flamands Guy Polspoel et Pol Van Den Driessche livrent un nouvel éclairage sur l’assassinat de l’ex-Premier ministre congolais. Ils soulignent notamment que le Roi Baudouin 1er ainsi que la Cour royale étaient au courant du projet d’élimination physique de Lumumba, évoqué dans une lettre lue et annoncée par ses soins en octobre 1960.

La Commission d’enquête parlementaire belge

Ainsi, avec la mise sur pied d’une Commission d’enquête parlementaire en Belgique, quarante ans après son assassinat, Lumumba avait pris sa revanche sur ses « assassins » et sur l’impérialisme international. Initiée par le parlement belge, c’est elle qui leva en fin d’année 2001 un pan de voile sur les circonstances exactes de l’assassinat de Lumumba en établissant les implications des responsables politiques, des hauts fonctionnaires et des conseillers techniques de l’État de l’époque.

Les conclusions des travaux de cette commission ont été claires quant aux responsabilités morales de l’État belge et en non politiques de ses dirigeants, la nuance est somme toute. Elles ont aussi donné un peu plus de clarté sur l’une des pages les plus honteuses et les plus sinistres de la colonisation car le fantôme de Lumumba et ses compagnons Maurice Mpolo et Joseph Okito ont continué et continueront de hanter « le bon peuple belge ».

La publication du rapport officiel de près de mille pages de cette Commission le 05 février 2002 au Parlement en présence de François et Roland Lumumba, (10 et 3 ans au moment de l’assassinat de leur père le 17 janvier 1961) les deux fils du héros national et la présentation des « excuses officielles » de la Belgique fut un premier pas « d’amende honorable » de de la part de l’ancien colonisateur dans cette tragédie. Plus qu’une demande de pardon, c’est le juste retour des choses dans ce chapitre douloureux de l’histoire commune belgo-congolaise. Il ne reste qu’aux complices congolais encore en vie de faire leur part de chemin afin que la réconciliation nationale soit totale.

« À la lumière des critères appliqués aujourd’hui, certains membres du gouvernement d’alors et certains acteurs belges de l’époque portent une part irréfutable des responsabilités dans les évènements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba. Le gouvernement estime dès lors qu’il est indiqué et convenable de présenter à la famille de Patrice Lumumba et aux familles de messieurs M’Polo et Okito et au Peuple congolais ses profonds et sincères regrets et ses excuses pour la douleur qui leur a été infligé, de cette apathie et de cette indifférence » déclarait Louis Michel, ministre belge libéral des Affaires Étrangères dans son discours au Parlement en février 2002.

On disait Feu Pauline Opango, sa veuve qui se trouvait à Bruxelles en compagnie de ses deux fils ; émue de la déclaration du gouvernement belge. La réhabilitation de la mémoire de son mari et héros national congolais était pour elle est une victoire post-humaine de Patrice Lumumba estimait son fils François avant de conclure que « nous ne pourrons tourner la page sans pour autant oublier la mort de Lumumba, car, le devoir de mémoire nous l’impose ».

Et la suite ?

En dehors de ses excuses, le gouvernement belge avait décidé la création d’une Fondation Lumumba avec un fonds de 5 millions d’Euro destiné à l’éducation et à la culture de la paix devrait aider au développement de la démocratie, au renforcement de l’État de Droits et à la formation de la jeunesse au Congo-Zaïre. Ce qui était l’idéal poursuivi par le Premier ministre du Congo dont les idées sont plus que d’actualité plus de quatre décennies après l’indépendance de son pays. Presque 20 ans après, personne n’en parle et on ne sait de quoi en est devenu le projet ?

Il est clair et établi que la Belgique et les États-Unis d’Amérique portent toute la responsabilité dans cette tragédie car à leurs yeux, Patrice Lumumba vivant représentait « le refus rigoureux de la solution néocolonialiste. Celle-ci consistant, au fond, à acheter les nouveaux maîtres, les bourgeois des pays neufs comme le colonialisme classique achetait les chefs, les émirs, les sorciers. L’impérialisme a besoin d’une classe dirigeante qui soit assez consciente de sa situation précaire pour lier ses intérêts de classe à ceux des grandes sociétés occidentales ».

C’est d’ailleurs là la seule justification de l’ignoble coup d’État militaire de Mobutu le 24 novembre 1965 et de l’instauration de son régime dictatorial et sanguinaire trente-deux ans durant. Le professeur Albert Elungu Pene Elungu, philosophe, invité de la CNS avait trouvé les mots justes pour décrire ce pouvoir lorsqu’il déclarait « Ce régime autocratique nous avait été fatal dans ses conséquences : déchéance de l’homme, faillite de l’État, dérive de la Nation ».

De Lumumba en personne, Albert Elungu Pene Elungu disait : « Un crime fut commis, horrible : Le Premier ministre du premier gouvernement démocratiquement élu de la Nation indépendante fut assassiné, comme fut assassinée aussi par un coup d’État la Loi fondamentale (Constitution) qui aurait pu nous permettre de consolider l’Etat puissance publique, de construire la Nation, société historique moderne et nous épanouir en Peuple gardien de son autonomie, jaloux de son pouvoir d’autodétermination ».

Mieux vaut tard que jamais !

Le début de reconnaissance du combat et la réhabilitation de la figure de Lumumba bien que tardives valent leur pesant, surtout pour les jeunes générations qui ne l’ont pas connu. Car aussi curieux que cela puisse paraître, même Mobutu qui l’avait pourtant livré à ses assassins Katangais annonça le 30 juin 1966, et cela en grande pompe la réhabilitation du héros national et l’érection d’un gigantesque monument à sa mémoire sur la place de l’Échangeur de Limete à Kinshasa.

Ce vœu est resté pieux car le dictateur mourra en exil au Maroc le 07 septembre 1997 sans jamais poser au pinacle de l’Échangeur, la statue du héros disparu. Il aura fallu attendre le 17 janvier 2002 (soit 41 ans après son assassinat) pour voir enfin ce monument érigé dans un petit parc au pied de l’Échangeur de Limete sous Joseph Kabila.

Cette opération qui en fait est un savant calcul politique justifie la décision par le nouveau régime de l’érection d’un autre monument en l’honneur de Laurent Désiré Kabila sur son mausolée, place du Palais de la Nation à Kinshasa Gombe. La construction de ces deux monuments est également expliquée par le fait qu’à l’instar de Lumumba dont il se voulait le modèle, Laurent Désiré Kabila a été déclaré « héros national » par l’Assemblée Constitutionnelle-Parlement de Transition (ACL-PT) dont les membres étaient tous nommés par lui avant son assassinat.

Le dévoilement des plaques et autres places publiques en Belgique se situe dans la logique de l’aura de cet homme qui aura marqué son temps. De Pékin en Chine populaire à Varsovie en Pologne, de Moscou en Russie en passant par Accra au Ghana, de Brazzaville au Congo d’en face au Caire en Égypte ; le valeureux nom de Patrice Lumumba fait aujourd’hui partie d’une mythologie. Des écoles, des places publiques, des rues et des universités portent ce nom.

Qu’on le veuille ou non, la figure de l’ancien Premier ministre disparu continue de hanter la vie politique du Congo-Zaïre. L’ombre de Lumumba avait dominé la tenue des assises de la CNS au Palais du Peuple dans la commune de Lingwala à Kinshasa où on n’en finissait pas de l’enterrer et de le déterrer. La lutte armée menée par l’AFDL du 19 octobre 1996 au 17 mai 1997 n’avait eu pour leitmotiv que la libération de l’esclavage prônée par Patrice Lumumba. Mythe ambivalent devenu référence, « Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique tout entière avec sa volonté unitaire, ses désordres, sa force et son impuissance ».

Roger DIKU à Bruxelles

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