En moins de trois ans mois, le XVIIe Sommet de la Francophonie s’ouvrira à Erevan, du 11 au 12 octobre 2018. À l’issue de celui-ci, les chefs d’État et de gouvernement membres devront, soit renouveler le mandat de l’actuelle secrétaire générale, soit désigner un nouveau, pour les quatre prochaines années.
La secrétaire générale sortante fait face à une concurrente de taille, que certains considèrent déjà comme gagnante, parce qu’ayant le soutien de la France. En effet, l’annonce de la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo, par le président français, que d’aucuns n’ont pas vu venir, a autant surpris bon nombre de chefs d’État africains, qu’elle n’a laissée aucune marge de manœuvre à ceux qui avaient l’intention de présenter également des candidats.
Il est certes vrai qu’Emmanuel Macron a publiquement annoncé son soutien à Louise Mushikiwabo, mais il est très important de clarifier que ce n’est pas la France qui présente officiellement une candidature, c’est bien le Rwanda. Et donc, si Mme Mushikiwabo ne réussit pas à se faire élire, ce ne sera aucunement considéré comme un échec de la France.
Par contre, si Michaëlle Jean ne réussit pas à se faire réélire, cela pourrait être considéré comme un échec sanglant du Canada et un affront pour sa diplomatie qui n’a pas su bien négocier le renouvellement de sa candidate, dans une organisation où il contribue, avec ses trois provinces membres, à plus de 50 millions de dollars annuellement, soit environ un tiers du budget total de l’Organisation. Le Canada ne se laissera donc pas humilier de la sorte, sans conséquences. Car un tel échec pourrait, d’une façon ou d’une autre, retentir dans le débat politique national, à une année des élections fédérales.
Quelles sont les chances de Louise Mushikiwabo ?
Depuis l’annonce de sa candidature au poste de secrétaire général, on ne connaît pas grand-chose sur le programme et la vision de Louise Mushikiwabo pour la Francophonie de demain. Toutefois, on sait et il est de notoriété publique que cette candidature n’est pas issue de la volonté première du Rwanda, ni même de l’Afrique. Elle aurait été concoctée, en coulisse, sur les bords de la Seine.
Le magazine panafricain Jeune Afrique qui a été mis au parfum, le premier, de la candidature rwandaise, a révélé les dessous de cette manigance. On y apprend que l’idée de la candidature rwandaise a germé au cours d’une rencontre, en février dernier à Bruxelles, en marge du sommet sur le G5 Sahel, entre le président de la Commission de l’Union africaine et le président français accompagné de son ministre des Affaires étrangères et son conseiller Afrique.
Cette révélation de Jeune Afrique vient confirmer quelque peu les préoccupations que nous exprimions déjà dans nos précédentes publications à l’effet que Louise Mushikiwabo n’avait pas une vision claire de ce qu’elle voudrait faire, tant pour le rayonnement de la langue française dans le monde, que pour la promotion des valeurs communes fondées sur le respect des droits de la personne, les principes démocratiques, les libertés fondamentaux et l’État de droit, tels que décrit dans la Déclaration de Bamako. Pas plus qu’elle n’a des projets spécifiques et novateurs pour la Francophonie. Si elle venait à être désignée, ce serait par la seule volonté de la France.
S’agissant de l’accord dégagé par les chefs d’État africains au sommet de Nouakchott, d’appuyer Mme Mushikiwabo, il y a lieu de faire une observation suivante : l’appui du bloc africain à la candidature rwandaise n’est qu’une déclaration de principe à prendre avec des pincettes, puisqu’aucun chef d’État ne s’est exprimé publiquement à ce sujet. Et, connaissant bien le culte du silence de chefs d’État africains, personne ne serait prête à gager un centime que cette résolution tiendra bon jusqu’à Erevan. Les Africains choisiront en fonction de leurs intérêts nationaux.
Selon toute vraisemblance, on aurait appris que l’inscription de ce sujet à l’ordre du jour du sommet africain de Nouakchott, par la maîtresse de céans, elle-même candidate à ce poste, a laissé planer un malaise perceptible dans le chef de certains dirigeants africains non-membres de l’OIF. Il en était de même de certains dirigeants africains membres de l’OIF, qui ne se sentaient pas à l’aise de commenter sur cette candidature.
Toutefois, répondant à la question d’un journaliste de RFI : « Est-ce que, selon vous, la candidature de la ministre des Affaires étrangères du Rwanda a ses chances ? », l’ancien président de l’Union africaine et président guinéen Alpha Condé n’a pas mâché ses mots :
» Ça c’est une autre chose. Déjà qu’il y a beaucoup de controverses. Mais nous avons défendu un principe : l’Afrique doit parler d’une seule voix. Maintenant, évidemment, tous les États africains ne sont pas membres de la Francophonie. Donc, il n’y a pas 50 États africains dans la Francophonie. Cela veut dire qu’on n’est pas majoritaire au point de vue de voix de la Francophonie. Donc, cela dépendra de comment les autres pays vont se comporter. »
Cette réaction de l’ancien président de l’Union africaine, bien qu’enjolivée dans un langage diplomatique extrêmement policé, résume bien le sentiment général ressenti par beaucoup d’Africains sur cette candidature, présentée hors des terres africaines.
Un autre élément, non négligeable, qui peut s’avérer déterminant dans le choix possible du prochain secrétaire général de la Francophonie, est celui de la contribution financière des États au bon fonctionnement de l’Organisation. En effet, tous les États membres doivent s’acquitter, en temps opportun, de l’obligation qui leur incombe d’apporter leur contribution financière au budget de l’Organisation. Sur ce point, le Rwanda n’est pas non plus un élève modèle de la Francophonie. En effet, depuis quelques années, il ne s’est pas acquitté, dans les temps requis, de ses obligations financières envers l’Organisation, et ce, pour une modique somme renégociée.
Ceci étant, il ne faut pas se faire d’illusions quant à l’issue de cette désignation. Ce qui est certain, c’est que le poids politique et financier de certains États membres pèsera certainement lourd et fera pencher la balance en faveur de telle ou telle autre candidate.
Ceci dit, on ne sait pas encore de quel côté vont se pencher les autres contributeurs majeurs de l’Organisation, notamment la Suisse, la Belgique – Wallonie-Bruxelles, le Luxembourg et la Principauté de Monaco. Leurs voix pourront être déterminantes pour concilier les points de vue diamétralement opposés entre le président Macron et le premier ministre Trudeau, sur la prochaine locatrice du 19-21 avenue Bosquet à Paris.
Quelles sont les chances pour Michaëlle Jean ?
Le Canada, le Québec et le Nouveau Brunswick ont une mission assurément délicate de convaincre les États membres de la nécessité et du bien-fondé de renouveler le mandat de Michaëlle Jean pour assurer la continuité des actions entreprises durant les quatre dernières années.
Au regard des faits exposés ci-dessus, une seule certitude, c’est que, ça va jouer dur à Erevan. Les deux candidates, Louise Mushikiwabo et Michaëlle jean, ont leurs chances intactes. Alors que certains laissent à Mme Mushikiwabo le bénéfice du doute, d’autres croient que le bilan de Mme Jean plaide activement en faveur de sa reconduction.
De toute façon, depuis la création du poste de secrétaire général en 1997, lors du VIIe Sommet d’Hanoï, il n’y a jamais eu une élection au sens propre du terme. Le secrétaire général a toujours été désigné par consensus. Il a été ainsi en novembre 2014 et il en sera ainsi en octobre 2018. Tout dépendra bien évidemment de comment le président Macron et le premier ministre Trudeau, deux dirigeants de plus importants pays contributeurs au budget de la Francophonie, vont gérer leurs ambitions, tout en veillant au meilleur intérêt de l’Organisation.
C’est donc le positionnement stratégique de ces deux leaders clés de l’OIF qui va influer sur le choix final. En effet, Emmanuel Macron et Justin Trudeau se sont déjà rencontrés, en tête-à-tête, d’abord à Paris, puis à Ottawa. Au menu de leurs discussions, il était question, entre autres, de la Francophonie. Mais apparemment, pour des raisons évidentes que nous n’avons pas l’intention de développer, les deux sont restés campés sur leurs positions respectives et ne se sont pas entendus sur le choix du prochain secrétaire général.
Pour l’intérêt supérieur de l’Organisation, il serait souhaitable que l’un d’entre eux fasse machine arrière. Eu égard aux mandats ambitieux qui sont ceux de l’OIF et qui sont au cœur des principales priorités de son action, objectivement parlant, Louise Mushikiwabo n’apportera pas une plus-value, pas plus qu’elle ne fera autant pour le rayonnement de la langue française et la promotion des valeurs communes, que ne l’a fait la secrétaire générale sortante.
De son côté, si elle venait à être reconduite à son poste, ce qui semble probable, Michaëlle Jean ne doit pas s’enfermer dans ses certitudes, en croyant que tout a été merveilleux durant son premier mandat. Elle devra reconnaître que, contrairement au premier, le deuxième mandat a été obtenu dans la douleur et le déchirement. En conséquence, elle devra opérer un changement significatif pour contenter ceux qui exigent une plus grande transparence dans la gestion et l’administration. Surtout, elle devra s’efforcer de se rapprocher également de certains chefs d’État, notamment africains, qui sont restés distants depuis sa désignation en novembre 2014. Ainsi, elle pourra faire taire l’avalanche de critiques dont elle a été l’objet et qui ont pourries ses quatre années passées à l’OIF.
Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue