Le XVIIème Sommet de la Francophonie tiendra ses assises du 11 au 12 octobre à Erevan. À cette occasion, les États et Gouvernements membres choisiront le Secrétaire général pour les quatre prochaines années. La Rwandaise Louise Mushikiwabo est la seule qui se porte candidate pour succéder à l’actuelle Secrétaire générale qui achève son mandat à la tête de cette Organisation.
Depuis l’annonce de sa candidature, le 23 mai dernier par le Président Emmanuel Macron pour sceller le pacte qu’il espère avec le Président Paul Kagame, Louise Mushikiwabo n’a pas été très explicite sur ses ambitions réelles pour la Francophonie. L’actuelle ministre rwandaise des Affaires étrangères n’en avait que pour le rapprochement entre son pays et la France qu’elle n’a pourtant cessé de vilipender avec virulence autrefois.
Ce n’est que tout récemment, dans un entretien accordé à l’Agence France Presse (AFP), qu’elle a exposé brièvement sa vision et ses priorités, si elle était choisie. Pêle-mêle, Mme Mushikiwabo a parlé de divers sujets qui lui tiendraient à cœur, entre autres de la promotion de la langue française, il le faut bien pour accéder à la fonction. Elle estime que la visibilité de la langue française peut être améliorée sur le plan international et que « l’OIF pourrait faire beaucoup plus pour peser sur la scène mondiale […] » et elle promet « d’apporter un vent de renouveau à la Francophonie » si elle était élue à la tête de cette Organisation.
Les quatre priorités de son programme d’actions pour les quatre années à venir sont détaillées brièvement sur son site Internet de campagne et sont essentiellement consacrées au rayonnement de la langue française, à la pertinence de la Francophonie, à l’emploi des jeunes, et à l’échange de bonnes pratiques.
Répondant à la question de l’AFP sur le déficit accablant de démocratie et le non-respect des droits de la personne et des libertés fondamentales dans son propre pays, la candidate du Rwanda s’est portée à la défense de son pays, en tentant de formuler ce qu’elle entend par démocratie :
« Toute la notion de démocratie et des droits, ce n’est pas toujours très clair et très précis ce qu’on veut dire par là. On a collé une étiquette au Rwanda par rapport à ces questions de liberté. Je suis très fière de la gestion politique du Rwanda. Je vois ce que, pas tout le monde, mais la majorité des Rwandais pensent. Ils sont contents du système démocratique qui est là… »
On est bien loin des termes de référence dans lesquels la Francophonie énonce les principes, balises, responsabilités et éléments fondamentaux en démocratie, consacrés entre autres dans la Déclaration de Bamako et dans combien de Conventions internationales que les États membres de l’OIF, dont le Rwanda, ont dûment signées et ratifiées.
Il est par ailleurs important de noter que de nombreux observateurs de l’OIF expriment leur très grande inquiétude et que certaines voix critiques s’élèvent pour exprimer leur crainte quant à l’avenir même de l’Organisation. C’est le cas notamment de l’universitaire Véronique Tadjo qui, dans une récente tribune publiée dans le site Internet du journal Le Monde, redoute la polarisation au sein de l’Organisation et le bras de fer possible qui s’annonce entre le Canada et le Rwanda pour le Secrétariat général de la Francophonie, et souligne que « la candidature de Louise Mushikiwabo ne se justifie pas dans le cadre d’une Francophonie rassembleuse ».
Louise Mushikiwabo en banalisant autant la démocratie, la défense des droits et les libertés, mais en insistant de manière si emphatique sur la promotion de la langue française, s’efforce de rejoindre la projection d’Emmanuel Macron pour « une nouvelle Francophonie » qui devrait se limiter au rayonnement, à l’enseignement et à l’usage du français dans le monde. L’action politique et la prévention des crises étant, dit-il, du ressort d’autres Organisations, pas de l’OIF.
C’est tout le contraire de la définition des objectifs inscrits dans l’article 1er de la Charte de la Francophonie qui fait de l’action politique l’un de ses piliers. Plus surprenant encore est de vouloir même miser sur une ministre rwandaise pour promouvoir avec conviction l’usage et le rayonnement de la langue française, quand dans son propre pays, sous le régime de Paul Kagame, le français est banni comme langue d’enseignement et de travail dans l’administration publique. De plus, elle n’est surtout pas celle qui fera siennes les valeurs universelles, autre objectif clairement inscrit dans la Charte de la Francophonie, et qui sont si chères à l’Organisation.
On aura aussi compris que parce le Rwanda, dont elle est ministre des Affaires étrangères, affiche hélas, un portrait peu reluisant au chapitre du respect des droits de la personne et des libertés fondamentales. Sinon, comment s’attendre à ce que Louise Mushikiwabo, qui ne réalise pas encore que son pays ait des défis considérables à relever dans le domaine des droits de la personne, puisse s’engager résolument en faveur d’actions d’accompagnement des États dans leurs efforts de consolidation des processus démocratiques et des institutions garantes de l’État de droit ?
Malgré tout le soutien d’Emmanuel Macron à la candidature rwandaise comme partie de l’opération visiblement pour construire une relation de coopération et faire baisser la tension diplomatique qui perdure depuis 1994 entre les deux pays, le Rwanda n’a, quant à lui, pas bougé d’un iota. Il n’y a toujours pas des signaux clairs en provenance de Kigali qui permettraient de croire au dégel possible des relations entre les deux pays ou à une volonté d’adhérer aux valeurs de la Francophonie.
Nous n’avons aucune raison de douter des bonnes intentions d’Emmanuel Macron et des efforts qui sont faits par la France pour normaliser ses relations avec le Rwanda. Toutefois, on ne peut s’empêcher de se questionner sur la sincérité des uns et des autres, dans une telle démarche qui apparait clairement être à sens unique. À l’heure actuelle, la France ne dispose toujours pas d’ambassadeur accrédité au Rwanda, alors qu’inversement, ce dernier en a un en France.
Il convient de souligner par ailleurs que l’idée d’Emmanuel Macron de présenter la candidature de Louise Mushikiwabo, Paul Kagame affirmant n’avoir jamais démarché en ce sens, non seulement crée beaucoup de remous dans le gotha politique français et international, mais également au sein de nombreuses associations de défense des droits humains, parmi lesquelles Reporters Sans Frontières (RSF) qui a d’ailleurs fait une sortie médiatique remarquée pour dénoncer les restrictions à la liberté de la presse et d’expression au Rwanda, Human Rights Watch, Amnistie internationale et combien d’enquêtes journalistiques qui dans leurs rapports dévoilent le côté sombre d’un régime brutal, répressif et dictatorial.
Le soutien de la France à la Rwandaise, au détriment de la Canadienne d’origine haïtienne a, au niveau national français, fait grincer les dents et vociférer certains ex-haut gradés de l’armée française qui se sont sentis trahis. Au niveau international, le Canada, le Québec, le Nouveau Brunswick maintiennent leur soutien au renouvellement du mandat de Michaëlle Jean et l’ont déclaré devant les instances de la Francophonie. De manière générale dans le monde francophone, c’est l’embarras, sur fond d’incertitude quant à l’avenir de l’Organisation.
Il y a tout à parier que c’est le choix de la raison qui devra primer sur les intérêts obscurs des uns et des autres, que les chefs d’État et de gouvernement sauront privilégier l’intérêt supérieur de l’Organisation contre tout autre mobile politicien ou stratégique, et que finalement, au nom de ce même intérêt supérieur de l’Organisation, Emmanuel Macron et Justin Trudeau sauront trouver un terrain d’entente pour désigner la personnalité qui serait plus encline à porter aisément les actions et missions qui font de l’OIF un acteur désormais incontournable et respecté à l’échelle mondiale.
Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue
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