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Avec Martin Fayulu, l’Opposition congolaise a-t-elle ouvert un boulevard au dauphin de Joseph Kabila? [OPINION]

Par Isidore Kwandja Ngembo, politologue.

Malheureusement pour le peuple congolais, deux des sept participants à l’accord de Genève – Félix Tshisekedi et Vital Kamerhele- ont déjà mangé leur parole. Ce désaccord de l’opposition fera le jeu de la majorité au pouvoir qui travaille discrètement pour leur diviser afin ressortir la vieille recette traditionnelle qu’ils ont utilisé en 2006 et 2011 : « l’opposition a perdu parce qu’elle est allée en ordre dispersé, dans une élection à un tour ».

À cinq semaines des élections présidentielles en République démocratique du Congo (RDC), les sept principaux leaders de l’opposition politique, dont trois qui étaient recalés, ont, avec la facilitation de la Fondation Kofi Annan à Genève, désigné Martin Fayulu comme le candidat commun de l’opposition, pour tenter de succéder à Joseph Kabila, le 23 décembre prochain.

Aussitôt signé, le temps d’une soirée, alors même que l’encre n’avait pas encore complètement séché, l’accord de Genève est parti en fumée. Deux de participants, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, qui croyaient, à tort ou à raison, que ce seraient eux qui seraient désignés, ont finalement renié leur engagement et se sont retirés de l’accord de Genève pour, disent-ils, respecter la volonté de leurs électeurs. Alors que la veille, ils avaient en âme et conscience apposé leur signature au bas de cet accord pour adouber Martin Fayulu.

Quelques-unes des questions fondamentales qui taraudent tout observateur attentif de la situation politique congolaise et que se posent encore l’opinion publique : quels étaient les critères de sélection ; qui a sollicité la facilitation de la Fondation Kofi Annan ; qui a financé ces pourparlers, pour quel l’intérêt ; ont-ils élaboré en premier un projet de société commun ; qui seraient les gagnants ou les perdants de ce deal ?

Nombreux se demandent : qu’est-ce qui a milité en faveur de Martin Fayulu, un outsider très peu connu dans le Congo profond, au détriment de Félix Tshisekedi de l’UDPS, principal parti qui a combattu farouchement les dictatures de Mobutu, de Kabila père et fils, ou encore, dans une certaine mesure, de Vital Kamerhe de l’UNC, qui conserve un poids politique important dans la partie Est du pays ?

Pour tenter de comprendre et déceler les faiblesses fondamentales de cet accord, mort-né, qui n’a duré que le temps d’une journée, nous baserons notre argumentaire sur deux explications majeures qui relèvent de l’ordre du politique, d’une part et de l’ordre de théories scientifiques, d’autre part.

Aveuglement et crocs-en-jambe

En effet, en jetant leur dévolu sur Martin Fayulu pour batailler contre Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila, qui utilise à des fins de propagande des biens, des finances et du personnel de l’Etat, les ténors de l’opposition n’ont pas fait une bonne lecture de la situation réelle sur le terrain actuellement. Ils ont pris pour acquis que leurs militants allaient les suivre aveuglement.

De toute façon, ils n’ont donc pas pris en compte un certain nombre de facteurs mobilisateurs qui pouvaient faire gagner leur candidat et ainsi provoquer un changement politique fondamental au niveau institutionnel. Du coup, ils se sont privés d’un atout majeur que représente la masse populaire, notamment de l’UDPS d’Étienne Tshisekedi, d’illustre mémoire, qui a des assises solides sur l’ensemble du territoire congolais et qui pouvait contrebalancer quelque peu ce déséquilibre.

Les signataires de l’accord de Genève ont, soit fait preuve d’un aveuglement volontaire des forces politiques en présence sur l’échiquier national, soit qu’ils n’ont pas une bonne compréhension de la réalité politique actuelle, soit alors qu’ils ont sciemment choisi Martin Fayulu, un candidat qui ne fait pas le poids, sachant pertinemment bien que la base de l’UDPS, qui ne jure que par leur leader politique, n’allait pas du tout accepter une telle candidature, pour finalement compromettre les chances de Félix Tshisekedi dans cette course, lui qui dit vouloir aller aux élections avec ou sans machine à voter, le 23 décembre.

Il est important de noter toutefois que Martin Fayulu, comme la plupart d’entre eux, militent toujours pour l’abandon de la machine à voter, le nettoyage du fichier électoral et la décrispation politique. Des exigences qui sont, certes, fondées, pour crédibiliser les élections, mais qui sont techniquement impossibles à réaliser dans le peu de temps qui reste.

De plus, il faut noter que certains ténors, qui n’ont pas encore rangé les ambitions présidentielles, n’ont pas un aussi grand intérêt à ce que les élections aient lieu à la date du 23 décembre prochain. Ils ont assurément quelques idées derrière la tête, que les élections soient reportées jusqu’à ce que les préalables soient remplies, dans un jeu de conciliabule, pour permettre également la participation aux élections de tous ceux qui ont été recalés. En tout état de cause, la politique est un jeu partisan. Derrière chaque décision, il y a un calcul politique, parfois opportuniste.

Ne perdons pas de vue que bien qu’ils soient tous opposants au régime de Kabila, chacun se bat d’abord et avant tout pour sa survie politique. Et, les crocs-en-jambe sont malheureusement très fréquents dans ce jeu politique. Il y a donc eu probablement un jeu en coulisses, pour certains, visant à laisser échapper la possibilité pour l’opposition de gagner cette élection afin de se donner une nouvelle chance pour la fois prochaine. Notons au passage que nombreux d’entre eux ont été bien nourris aux mamelles opulentes de même régime Kabila.

La démocratie à la congolaise

Une autre explication, cette fois scientifique, qui peut justifier pourquoi l’accord de Genève ne pouvait de, toute façon, pas tenir longtemps. En effet, il y a des divergences d’opinions politiques et idéologiques sur un certain nombre de sujets qui divisent l’opposition politique congolaise.

En science politique, une idéologie est un ensemble défini d’idéaux éthiques, des principes, des doctrines, des mythes ou des symboles d’un mouvement social, d’une institution, d’une classe ou d’un groupe important qui explique comment la société devrait fonctionner et qui offre quelques types des politiques publiques pour atteindre l’objectif de comment la société devrait être organisée, ainsi que les moyens appropriés pour atteindre cet objectif. Ainsi donc, chaque idéologie politique s’identifie par les idées sur la meilleure forme de gouvernement et le meilleur système économique, soit de tendance capitaliste ou socialiste.

Mais qu’observe-t-on dans cette coalition de principaux leaders de l’opposition politique qui prétendent à la succession de Joseph Kabila ? C’est une coalition méli-mélo d’idéologies politiques et économiques diverses, qui aurait bien difficile à construire un projet de société commun.

En effet, si les intentions des ténors de l’opposition étaient bonnes pour maximiser leur chance afin de déloger le régime Kabila, elles reposaient bien évidemment sur de mauvaises prémisses. La coalition a souffert d’un manque de cohésion et de cohérence politique entre le but initial et le choix du candidat qui devaient lui permettre de gagner l’élection.

À moins de deux semaines du début de la campagne présidentielle, alors même que certains de ces ténors ne pourront pas se déplacer pour battre campagne en faveur leur candidat, le choix de Martin Fayulu, un illustre inconnu dans le Congo profond, semble hasardeux, dans la mesure où il ne pourra pas batailler à armes égales avec le candidat de la majorité, qui mobilise les ressources humaines et financières de l’État pour son élection.

Malheureusement pour le peuple congolais, ce désaccord de l’opposition fera le jeu de la majorité au pouvoir qui travaille discrètement pour leur diviser afin ressortir la vieille recette traditionnelle qu’ils ont utilisé en 2006 et 2011 : « opposition a perdu parce qu’elle est allée en ordre dispersé, dans une élection à un tour ».

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