Courrier au sujet du renouvellement des sanctions ciblées visant les responsables d’abus en République démocratique du Congo
Objet : Renouvellement des sanctions ciblées en République démocratique du Congo
Monsieur le Ministre/Madame la Ministre,
Nous vous écrivons pour exhorter votre gouvernement à soutenir le renouvellement et l’élargissement des sanctions ciblées de l’Union européenne à l’encontre d’officiels de haut rang de la République démocratique du Congo responsables de la répression violente et d’autres violations graves des droits humains dans le pays. Nous croyons comprendre qu’une décision au sujet du renouvellement des sanctions contre 16 individus congolais, imposées en décembre 2016 et mai 2017, sera prise lors de la séance du Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne prévue le 11 décembre 2018.
Les sanctions ciblées de l’UE – ainsi que celles imposées par les États-Unis et le Conseil de sécurité de l’ONU, la menace de nouvelles sanctions contre des collaborateurs du président congolais Joseph Kabila et les fortes pressions exercées par les dirigeants angolais, sud-africains et d’autres dirigeants de la région – ont manifestement joué un rôle crucial pour convaincre le président Kabila de s’engager à organiser des élections pour son successeur. Cette mesure faisait suite à près de quatre ans de répression contre ceux s’opposant à ses tentatives de rester en fonction au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats en décembre 2016.
Pourtant, moins d’un mois avant les élections prévues, la répression se poursuit, les responsables des exactions commises par le passé n’ont pas eu a répondre de leurs actes et l’environnement propice à la tenue d’élections crédibles est inexistant.
Parmi les individus visés par les sanctions de l’UE, nombreux sont ceux qui n’occupent plus la même fonction : certains ont été promus à des postes plus élevés, d’autres ont été mutés à des postes d’importance comparable, et d’autres encore continuent de jouer un rôle dans la stratégie plus globale de répression, mais de manière moins officielle, comme l’indique l’annexe ci-dessous. Aucun des 16 individus n’a fait l’objet d’une enquête ni n’a été traduit en justice pour son implication présumée dans de graves violations des droits humains. Dans ce contexte, la levée des sanctions signifierait que l’UE tolère l’impunité et encourage purement et simplement les hauts responsables et autres proches de Kabila à poursuivre leur répression violente.
De nombreux activistes et leaders de l’opposition restent préoccupés par le fait que le vote prévu pour le 23 décembre sera en réalité un simulacre d’élections dans lesquelles le candidat soutenu par Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary – lui-même sanctionné par l’UE
– sera favorisé de manière injuste. Outre la répression en cours, ils évoquent l’indépendance insuffisante des tribunaux et de la commission électorale, l’utilisation d’agents et de ressources de l’État pour faire campagne en faveur de Shadary, l’inégalité d’accès aux médias et des irrégularités dans le fichier électoral avec potentiellement pour résultat jusqu’à six millions d’« électeurs fantômes », selon un audit de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Certains dirigeants de l’opposition ont été arbitrairement exclus de la liste des candidats et le gouvernement a recours à une machine à voter controversée que beaucoup craignent de voir faciliter la fraude.
Compte-tenu de ces enjeux, il semble que la RD Congo se dirige vers des élections chaotiques, répressives et frauduleuses. Un nouveau report de dernière minute est aussi à craindre, les responsables électoraux invoquant des contraintes logistiques ou autres. Les deux scénarios pourraient provoquer une montée de violences et d’instabilité aux conséquences potentiellement graves dans toute la région. Aucun des deux scénarios ne résoudrait les problèmes plus profonds du pays que sont la mauvaise gouvernance, l’insécurité généralisée sur une grande partie du territoire, la corruption à grande échelle et l’impunité systématique pour les crimes graves.
Un leadership vigoureux et une pression soutenue de la part de l’UE, aux côtés d’autres acteurs régionaux et internationaux, sont plus nécessaires que jamais. L’UE devrait insister sur la nécessité de veiller à ce que tous les Congolais puissent exercer leurs libertés de réunion et d’expression pacifiques, de voter librement, et de garantir la transparence et la confiance dans les procédures de vote et de dépouillement.
La reconduction des sanctions ciblées de l’UE contre les hauts responsables congolais impliqués dans la répression violente de ces dernières années montrerait que les réactions contre une telle répression persisteront jusqu’à ce que les abus cessent et soient dûment traités. L’UE devrait également envisager d’étendre les sanctions ciblées afin de renforcer la pression sur Joseph Kabila et d’autres hauts responsables pour un environnement propice à la tenue d’élections crédibles
Au minimum, l’UE devrait faire pression sur les autorités congolaises afin qu’elles prennent les mesures suivantes :
Une pression coordonnée de la part des États membres de l’UE est nécessaire de toute urgence pour que le président Kabila et d’autres hauts responsables prennent les mesures nécessaires indiquées ci-dessus.
L’UE devrait également veiller à ce que les observateurs indépendants et les témoins des partis politiques disposent des ressources nécessaires pour être pleinement formés, équipés et déployés dans tout le pays afin de rendre compte de manière indépendante des résultats des élections, des irrégularités et des allégations de fraude ou de violence.
Enfin, l’Union européenne devrait clairement indiquer qu’elle n’acceptera pas d’élections non conformes aux normes internationales, qu’elle n’approuvera pas un processus frauduleux et que toute répression et tout abus de ce type auront de réelles conséquences.
Je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous des informations détaillées sur la récente campagne de répression du gouvernement et sur d’autres violations documentées par Human Rights Watch dans lesquelles certains hauts responsables sanctionnés continuent d’être impliqués. N’hésitez pas à nous contacter si vous avez des questions, ou si vous souhaitez vous entretenir avec nous à ce sujet, de manière plus détaillée.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre/Madame la Ministre, l’expression de nos salutations distinguées.
Bénédicte Jeannerod Ida Sawyer
Directrice France Directrice adjointe de la division Afrique
Human Rights Watch Human Rights Watch
Annexe : Répression et abus exercés par le gouvernement en RD Congo
Human Rights Watch a précédemment diffusé les profils des sept individus sanctionnés par l’UE en décembre 2016 et des neuf autres sanctionnés par l’UE en mai 2017. Ils peuvent être consultés en suivant les liens :
Veuillez trouver ci-dessous un aperçu de la campagne de répression gouvernementale la plus récente et d’autres violations graves dans lesquelles des individus sanctionnés ou des forces placées sous leur commandement ont joué un rôle.
Les membres des forces de sécurité – notamment la police, l’armée, les services de renseignement de l’armée et les membres de la Garde républicaine, chargés d’assurer la sécurité présidentielle – ont continué d’être impliqués dans la répression violente à l’encontre d’activistes pro-démocratie et dans d’autres violations graves des droits humains. Depuis janvier 2015, les forces de sécurité ont tué au total près de 300 personnes lors de manifestations politiques généralement pacifiques et arrêté environ 2 000 activistes pro-démocratie et dirigeants et partisans de l’opposition, dont la plupart ont été relâchés par la suite, souvent après avoir subi de mauvais traitements pendant des semaines ou des mois. Les forces de sécurité sont également responsables d’attaques contre des civils et d’autres violations graves des droits humains dans la région centrale du Kasaï et les provinces situées dans l’est du pays, de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, parfois dans le cadre d’une stratégie gouvernementale délibérée visant à orchestrer le chaos et à reporter la tenue des élections.
Les individus sanctionnés, dont les noms sont cités ci-dessous, continuent d’occuper des postes influents au sein des forces de sécurité et peuvent être tenus pour responsables de ces violations :
Amisi, Kahimbi, Kampete, Mundos et Numbi seraient également membres d’une organisation officieuse d’environ 20 hauts responsables de la sécurité et autres responsables chargés d’appliquer les stratégies définies par un groupe plus restreint de conseillers. Eux-mêmes étaient chargés de veiller à ce que le régime de Kabila se maintienne au pouvoir et éradique toute opposition, dissidence ou menace à leur autorité, selon des sources bien placées, y compris au sein des services de sécurité et de renseignement.
Répression à l’encontre d’activistes pro-démocratie, de membres de l’opposition politique et de manifestants pacifiques
Les forces de sécurité congolaises ont tué au moins 62 personnes et en ont arrêté des centaines d’autres, lors des manifestations qui se sont déroulées à travers le pays, entre le 19 et le 22 décembre 2016, après que Kabila refusé de quitter ses fonctions au terme de la limite de deux mandats, imposée par la Constitution. Des soldats de la Garde républicaine ont procédé à des perquisitions de domicile en domicile dans deux communes de la capitale, Kinshasa, en vue d’arrêter des dizaines de manifestants présumés.
Juste avant les manifestations de décembre, et alors que s’intensifiait la pression nationale et internationale sur Kabila, des officiers supérieurs des forces de sécurité congolaises avaient mobilisé au moins 200 – mais probablement davantage – anciens combattants rebelles du M23 en provenance de l’Ouganda et du Rwanda voisins pour protéger Kabila et aider à enrayer les manifestations contre lui. Une fois en RD Congo, les combattants du M23 ont été déployés à l’intérieur de Kinshasa, ainsi que dans les villes de Goma et Lubumbashi, dans l’est et le sud du pays. Après avoir reçu de nouveaux uniformes et de nouvelles armes, ils ont été intégrés au sein de la police, de l’armée et de la garde républicaine. Des officiers des forces de sécurité congolaises – parmi lesquels les généraux Kahimbi, Amisi et Mundos – se sont occupés de leur prise en charge, en les rémunérant généreusement et en leur fournissant de la nourriture et un hébergement. Pour protéger le président et disperser les manifestations, les combattants du M23 ont reçu l’ordre explicite de recourir à la violence meurtrière, y compris en tirant à bout portant si nécessaire.
Précédemment, le 13 décembre 2016, lors d’un sit-in pacifique, les forces de sécurité ont arrêté le représentant du mouvement citoyen Filimbi à Kinshasa, Carbone Beni, ainsi que d’autres activistes. Beni a été remis en liberté après 29 jours de détention secrète.
Gloria Sengha, une autre activiste du mouvement citoyen LUCHA, a été arrêtée à Kinshasa le 16 décembre 2016. Les yeux bandés, elle a été jetée dans une voiture et passée à tabac, et ses possessions ont été confisquées. D’abord mise au secret par la Garde républicaine puis par les services de renseignement, elle n’a reçu qu’une quantité insuffisante d’eau et de nourriture jusqu’à sa remise en liberté le 27 décembre. Un autre activiste, Bobo Mpolesha, a été arrêté le 7 janvier 2017 à Kinshasa et conduit dans une prison du renseignement militaire, où il été battu. Il a été remis en liberté deux semaines plus tard.
Le 11 avril 2017, les forces de sécurité congolaises ont tiré des gaz lacrymogènes et arrêté plus de 80 personnes dans le but de disperser ou d’empêcher de petites manifestations à travers le pays. Les partis d’opposition avaient appelé à un rassemblement contre l’absence de mise en œuvre de l’accord de Saint-Sylvestre, conclu grâce à la médiation de l’Église catholique à la fin de 2016 et visant à mettre fin à la crise électorale. La veille, au moins 40 personnes avaient été arrêtées à Kinshasa.
Plus tard au cours du même mois, le 27 avril, la police a arrêté brièvement à Kinshasa 24 activistes de LUCHA et de « Il est temps », déshabillant de force deux femmes qui se sont retrouvées à moitié nues. Une semaine plus tard, le 5 mai, la police a arrêté pendant plusieurs heures 13 autres activistes des deux mouvements, après qu’ils ont remis un document à la mairie de Kinshasa, dans lesquels ils plaidaient pour de meilleures opportunités économiques pour les jeunes.
Rossy Mukendi, activiste du mouvement citoyen Collectif 2016, a été détenu pendant 29 jours par les services de renseignement militaires à Kinshasa, sans pouvoir entrer en contact avec sa famille ni avec un avocat, après avoir dénoncé avec 13 autres activistes l’état insalubre de la voie publique au cours d’une marche pacifique, le 17 mai 2017.
Le 23 juin 2017, à Kinshasa, des officiers des services de renseignements de l’armée ont arrêté et détenu le jeune activiste pro-démocratie, Jean-Marie Kalonji, et son avocate, Sylva Mbikayi Kabanga, en l’absence d’inculpation et avec interdiction d’avoir accès à leurs familles et à un conseil juridique. Tous deux ont été remis en liberté le 18 juillet 2017.
Fin novembre 2017, les soldats de la Garde républicaine ont arrêté le député national Gérard Mulumba, ancien membre du parti au pouvoir, ainsi que son collaborateur Isaac Kabundi. Passé à tabac et incarcéré dans de mauvaises conditions, l’état de santé de Mulumba s’est rapidement détérioré. Il a ensuite été condamné à une peine de prison de 18 mois pour « insulte au chef de l’Etat ».
Le 23 décembre 2017 à Kinshasa, des hommes non identifiés ont enlevé l’activiste du mouvement citoyen Filimbi, Palmer Kabeya. Il a d’abord été détenu dans un centre du renseignement militaire avant d’être transféré à l’Agence nationale de renseignements (ANR) et puis la prison centrale. Kabeya a été relâché en septembre 2018, tandis que ses quatre collègues – arrêtés séparément le 31 décembre 2017 – ont été condamnés à une peine d’un an de prison, qui expirera le 30 décembre 2018.
Au cours de trois manifestations distinctes menées par l’Église catholique en décembre 2017, janvier et février 2018 à Kinshasa et dans d’autres villes, l’armée, la police et la Garde républicaine ont eu recours à une force excessive, notamment des gaz lacrymogènes et des balles réelles, contre des manifestants pacifiques se trouvant dans des églises catholiques ou à leurs abords. Les dirigeants de l’Église catholique en RD Congo avaient appelé à des marches pacifiques pour faire pression sur les dirigeants congolais et les contraindre de respecter l’accord de la Saint-Sylvestre négocié par l’Église catholique. Les forces de sécurité ont tué au moins 18 personnes au cours de ces manifestations, notamment l’éminent activiste pro-démocratie, Rossy Mukendi. Plus de 80 personnes ont été blessées, dont beaucoup de personnes par balles.
Les 21 janvier et 25 février 2018, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes dans trois maternités de Kinshasa, où des manifestants s’étaient réfugiés, mettant en danger les vies de nouveau-nés. Human Rights Watch a établi que des membres des forces de sécurité en civil avaient également tiré sur des manifestants pacifiques. Une vidéo tournée dans le quartier de Kintambo, à Kinshasa, le 21 janvier, montre au moins quatre hommes en civil armés de fusils d’assaut patrouillant dans les rues. L’un d’eux semble tirer sur un groupe de manifestants au loin. Deux anciens agents des forces de sécurité et un responsable actuel ont déclaré à Human Rights Watch avoir identifié au moins un individu figurant sur la vidéo, un officier de la Garde républicaine.
À l’approche des manifestations du 25 février, des représentants du Parti populaire pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti au pouvoir, ont recruté des centaines de jeunes au sein du parti et en dehors pour attaquer des manifestants pacifiques à Kinshasa. Les jeunes du PPRD ont été rejoints le 25 février par d’autres jeunes liés au club Vita, l’un des principaux clubs de football de Kinshasa, dont le président est le général Gabriel Amisi. Human Rights Watch s’est entretenu de ces efforts de recrutement avec cinq membres actuels de la ligue de la jeunesse du parti au pouvoir, ainsi qu’avec un ex-dirigeant.
Début août 2018, les forces de sécurité congolaises ont fait usage de grenades lacrymogènes et de balles réelles pour disperser des rassemblements de l’opposition politique lors du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle, faisant au moins deux morts – dont un enfant – et sept blessés par balles. Les officiers des forces de sécurité ont également restreint le mouvement des dirigeants de l’opposition, arrêté des dizaines de leurs partisans et empêché l’un des candidats à la présidence, Moïse Katumbi, d’entrer dans le pays pour y déposer sa candidature.
La police congolaise a procédé à l’arrestation arbitraire de près de 90 activistes pro-démocratie et blessé une vingtaine d’autres au cours d’une manifestation pacifique organisée le 3 septembre 2018. Les manifestants appelaient la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à purger les listes électorales, à l’issue d’un audit de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui a établi que plus de 16% des électeurs inscrits l’avaient été en l’absence d’empreintes digitales, soulevant des inquiétudes quant à des électeurs potentiellement « fictifs ». Ils ont également appelé la CENI à renoncer à l’utilisation – sans précédent en RD Congo –, d’une machine à voter controversée, susceptible d’ouvrir la voie à des fraudes électorales.
Le 19 octobre, la police a arrêté cinq journalistes du quotidien congolais Africa News pendant plusieurs heures, après la publication d’un article sur les malversations du général Kanyama dans une école de police.
En novembre, la police a arrêté sans motif valable le journaliste congolais Peter Tiani et 17 jeunes activistes pro-démocratie à Kinshasa. Plusieurs d’entre eux ont été passés à tabac lors de leur arrestation et en détention. Dans la ville orientale de Goma, des assaillants non identifiés ont enlevé et torturé pendant trois jours un activiste du mouvement de la jeunesse LUCHA, Trésor Kambere, avant de le relâcher. La police de Goma a arrêté quatre autres jeunes activistes lors d’une petite manifestation pacifique réclamant la libération de Kambere. Les activistes arrêtés en novembre ont été remis en liberté, mais Tiani est toujours en détention.
Abus commis par les forces de sécurité dans le cadre des conflits armés
La situation humanitaire en RD Congo s’est gravement détériorée au cours des dernières années. Le pays est confronté à l’une des crises de déplacement de populations les plus complexes et difficiles au monde et 7,7 millions de Congolais sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë. Cela est en grande partie la résultante de conflits de longue date ou émergents dans de nombreuses régions du pays. La crise électorale nationale a souvent empêché la résolution du conflit ou activement contribué à l’alimenter.
Ainsi, plus de 140 groupes armés opèrent actuellement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l’est du Congo, et nombre d’entre eux continuent d’attaquer des civils. Certains sont en lutte contre le gouvernement, tandis que de nombreux autres ont été créés et sont soutenus par de hauts responsables militaires et gouvernementaux. La plupart de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, notamment des massacres ethniques, des viols, le recrutement forcé d’enfants et le pillage, et ont parfois coopéré avec les forces de sécurité congolaises.
Certaines des pires violences ont été perpétrées dans le territoire de Beni, dans le Nord-Kivu, où des combattants ont tué plus d’un millier de civils depuis le début d’une série de massacres en octobre 2014, dont au moins 235 rien que depuis le début de cette année. À la tête des opérations de l’armée congolaise contre l’un des principaux groupes sévissant à Beni, les Forces démocratiques alliées (ADF), le général Mundos a également mis sur pied un nouveau groupe armé impliqué dans certains des massacres, selon le Groupe d’experts de l’ONU.
Entre août 2016 et septembre 2017, des violences impliquant des forces de sécurité congolaises, y compris les troupes placées sous le commandement du colonel Eric Ruhorimbere, des milices appuyées par le gouvernement et des groupes armés locaux ont fait 5 000 morts dans la province du Kasaï, au centre du pays. Six cents écoles ont été attaquées ou détruites et 1,4 million de personnes ont été déplacées de leurs foyers, dont 30 000 réfugiés qui se sont enfuis en Angola. Près de 90 fosses communes ont été découvertes dans la région, la plupart d’entre elles contenant les corps de civils et d’activistes tués par les forces de sécurité gouvernementales, qui ont fait un usage excessif de la force contre de prétendus membres de milices ou sympathisants.
En mars 2017, deux experts de l’ONU, Michael Sharp, de nationalité américaine, et Zaida Catalán, de double nationalité suédoise et chilienne, ont été sommairement exécutés par un groupe d’hommes armés alors qu’ils enquêtaient sur de graves violations des droits humains dans la région du Kasaï. Les enquêtes conduites par Human Rights Watch et un rapport de RFI suggèrent la responsabilité du gouvernement dans ce double meurtre. Un procès entaché de graves irrégularités a débuté en juin 2017 en RD Congo. Plusieurs responsables des forces de sécurité haut placés ont déclaré à Human Rights Watch que les violences au Kasaï font partie d’une stratégie gouvernementale délibérément orchestrée pour justifier le report des élections.
Entre décembre 2017 et mars 2018, la violence s’est intensifiée dans certaines parties de la province de l’Ituri, dans le nord-est de la RD Congo, où des miliciens ont lancé des attaques meurtrières contre des villages, tuant au moins 260 civils, violant et mutilant de nombreux autres, incendiant des centaines de maisons, et provoquant le déplacement d’environ 350 000 personnes. Trois des assaillants ont déclaré à Human Rights Watch que des responsables locaux du gouvernement avaient orchestré ces massacres de masse.
L’Agence nationale de renseignements (ANR) a continué de jouer un rôle crucial dans la répression des activistes et de l’opposition, notamment par le biais des actions du directeur, Kalev Mutondo, et du chef du département de la sécurité intérieure, Roger Kibelisa. Sanctionnés par l’UE, ces deux individus continuent d’assumer leurs fonctions.
Mutondo reste l’un des principaux artisans des efforts du gouvernement pour réprimer la dissidence politique. Il serait également membre du groupe restreint de conseillers de Kabila chargé de concevoir des stratégies visant à le maintenir au pouvoir. Il peut donc être tenu pour responsable des violations précitées, commises par des membres des forces de sécurité, outre celles commises par l’ANR et décrites en détail ci-dessous. Human Rights Watch s’est entretenu du rôle de Mutondo avec plus d’une douzaine de responsables gouvernementaux, de membres de la coalition de la majorité acquise à Kabila et de responsables des forces de sécurité.
Des dizaines de prisonniers politiques et d’activistes ont été arrêtés, détenus dans des conditions inhumaines et souvent maltraités ou torturés dans le centre de détention dit « 3Z », le bâtiment de l’ANR à Kinshasa où se trouve le bureau de Kibelisa. Les familles des détenus, les avocats et les défenseurs des droits humains se voient régulièrement refuser l’accès à ce centre. D’autres ont été arrêtés au siège de l’ANR à Kinshasa, où se trouve le bureau de Mutondo.
Le 22 novembre 2017, Christian Lumu Lukusa, responsable des relations extérieures de la ligue de la jeunesse du parti d’opposition Union pour la démocratie et le progrès social (UPDS), a été enlevé par des inconnus alors qu’il se rendait à l’université de Kinshasa. Il a ensuite été détenu pendant quatre jours dans un poste de police situé à côté de l’inspection de la police provinciale, avant d’être transféré vers le centre de détention 3Z de l’ANR le 25 novembre. Lukusa a reçu des visites occasionnelles de sa famille mais s’est vu refuser l’accès à un avocat. Plus d’une année après son arrestation, le 28 novembre 2018, Lukusa a été transféré à une prison militaire. Les raisons de son arrestation restent inconnues. Il souffre actuellement de douleurs à la poitrine, et d’autres douleurs au moment d’uriner, après avoir contracté une pleurésie six mois avant son arrestation, selon sa famille.
Cinq membres du mouvement citoyen Filimbi – Carbone Beni, Grâce Tshunza, Cédric Kalonji, Palmer Kabeya et Mino Bompomi – ont fait l’objet d’arrestations arbitraires en décembre 2017, alors qu’ils mobilisaient des résidents de Kinshasa en vue de manifestations à l’échelle nationale. Un témoin a déclaré à Human Rights Watch que des agents des services de renseignement et des policiers ont passé à tabac les activistes après les avoir arrêtés parce qu’ils « se sont soulevés contre le chef de l’État » et qu’ils « mourraient à cause de [leur] obstination ». La police a ensuite présenté ces activistes aux journalistes comme des « terroristes perturbant l’ordre public ». Des policiers et des agents des services de renseignement les ont interrogés jusqu’à la tombée de la nuit dans un commissariat de police à Kinshasa. Le témoin a expliqué que chaque fois que les détenus « donnaient une réponse qui ne les satisfaisait pas », la police les rouait de coups. Les autorités leur ont alors annoncé qu’ils seraient remis aux services de renseignement et tués. Carbone Beni et les autres activistes ont ensuite été transférés au 3Z.
En janvier 2018, Carbone Beni a passé quelques jours dans un centre médical de l’ANR pour soigner les blessures qu’il avait subies lors de son arrestation. Le 1er mai 2018, il a été conduit dans une clinique locale de Kinshasa, où des médecins lui ont diagnostiqué une hernie et une appendicite. Le 2 mai, il a été transféré dans un hôpital pour y être opéré. Un tribunal congolais a condamné Beni, Tshunza, Kalonji et Bompomi à un an de prison en septembre pour outrage au chef de l’État et avoir porté atteinte à la sécurité de l’État, et à deux mois de prison pour publication et distribution de documents subversifs, tandis que Kabeya a été acquitté puis remis en liberté.
Parallèlement, sept activistes du mouvement citoyen Les Congolais Debout (LCD) ont été arrêtés le 11 septembre 2018 par des gardes de sécurité de l’Université de Kinshasa. Ils étaient en train de sensibiliser la population à l’entrée principale de l’université à l’utilisation de machines à voter controversées, et que beaucoup considèrent comme susceptible de faciliter la fraude électorale en décembre 2018. Initialement détenus au siège de l’inspection de la police provinciale, ces activistes ont été transférés au centre de détention 3Z de l’ANR le 12 septembre. Ils sont incarcérés en l’absence d’inculpation et n’avaient pas accès à leurs familles ni à un avocat au moment de la rédaction de cette annexe.
Kris Berwouts, un chercheur belge renommé travaillant sur la RD Congo, a été arrêté le 7 octobre à son arrivée à Kinshasa. Il a été placé en détention, notamment au siège de l’ANR, jusqu’à son expulsion le 10 octobre. Au cours de cette période, il a été détenu en l’absence d’inculpation et privé des médicaments nécessaires au traitement de son diabète et de son hypertension. « L’objectif était clairement de me neutraliser en tant que chercheur indépendant », a-t-il déclaré plus tard.
III. Abus impliquant des responsables gouvernementaux passés et actuels sous sanctions
Un ministre en fonction et deux ex-ministres figuraient également parmi les individus sanctionnés par l’UE :
En tant que ministres de l’intérieur et de la sécurité, Shadary et Boshab ont joué un rôle important dans la répression de ces dernières années, selon de nombreux responsables qui se sont entretenus avec Human Rights Watch. À ce titre, ils étaient officiellement responsables de la police et des services de sécurité, y compris de l’ANR, et supervisaient les gouverneurs de province. Ces entités ont à plusieurs reprises interdit ou réprimé les manifestations menées par l’opposition, emprisonné des activistes et des opposants, fermé des organes de presse et bloqué la liberté de mouvement des dirigeants de l’opposition.
Originaire de la province du Kasaï, Boshab aurait également joué un rôle considérable dans l’instrumentalisation de l’autorité coutumière et l’escalade des conflits locaux dans la région du Kasaï, épicentre des meurtres de masse perpétrés en 2016 et 2017. Selon un rapport rendu public en août 2017 par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, des représentants du gouvernement congolais ont activement fomenté, fourni et parfois même commandité des attaques menées par des milices locales contre des civils dans la province du Kasaï afin d’y réprimer le soulèvement de la milice dénommée « Kamuina Nsapu. » Shadary aurait également joué un rôle crucial dans les violences au Kasaï, notamment en supervisant les services de sécurité et de renseignement en tant que ministre de l’Intérieur et de la Sécurité lorsque les experts de l’ONU ont été assassinés et lors de la dissimulation par le gouvernement qui a suivi.
Pendant son mandat de ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Shadary a également été responsable de l’usage excessif de la force par les forces de sécurité lors de la répression contre des membres de la secte politico-religieuse Bundu dia Kongo (BDK) dans les provinces de Kinshasa et du Kongo Central en janvier, février et août 2017, au cours desquelles au moins 90 personnes ont été tuées, selon une enquête de Human Rights Watch.
D’après un enregistrement vidéo authentifié par Human Rights Watch, lors d’une réunion à Kinshasa qui s’est tenue le 21 avril 2018, Shadary a déclaré aux nouvelles recrues de la Ligue des Jeunes du PPRD : « Si on t’insultes, il faut répliquer par l’insulte », ce que beaucoup d’entre elles ont pris comme un appel à faire usage de la force contre l’opposition. Human Rights Watch a établi que des responsables du parti au pouvoir et des forces de sécurité avaient précédemment recruté des membres de ligues de jeunes pour disperser des manifestations et provoquer des violences lors de marches antérieures, notamment en septembre 2015, septembre 2016 et décembre 2016.
Boshab et Shadary, qui sont toujours des membres influents du PPRD, pourraient porter une part de responsabilité dans la répression gouvernementale et dans d’autres exactions commises après leur départ du gouvernement.
Entre-temps, en tant que ministre de la Communication et des Médias, Mende a été le porte-parole de la politique répressive du gouvernement et figure également parmi les responsables de la répression des médias, d’arrestations de journalistes et de fermeture de médias.
Au moins quatre médias congolais proches de l’opposition sont toujours bloqués au moment de la rédaction du présent document, notamment la Radiotélévision Lubumbashi Jua, Lubumbashi (RTLJ), la Radiotélévision Nyota et la Télévision Mapendo et la Voix du Katanga.
L’organisation congolaise Journalistes en danger (JED) a enregistré un total de 121 violations de la liberté de la presse sur une période de 12 mois s’achevant début novembre 2018. D’après elle, les représentants gouvernementaux sont responsables dans plus de 75% des cas recensés, estimant que ces violations s’inscrivent dans le cadre « d’un système planifié de répression ».
Les critiques publiques de responsables gouvernementaux sont régulièrement suivies de harcèlement, de menaces et d’arrestations. Ainsi, du 6 au 7 décembre 2017, la station de Radiotélévision Kindu Maniema (RTKM) a été saccagée et ses journalistes arrêtés après qu’un auditeur eut accusé Shadary de corruption lors d’une émission à téléphone ouvert. Le propriétaire de la station a par la suite déclaré à JED que Shadary lui-même l’avait appelé pour se plaindre et menacé d’envoyer des policiers et des agents des services de renseignements « pour se venger ».
Le gouvernement a rejeté les demandes de visas ou révoqué ceux de plusieurs journalistes et chercheurs internationaux, les empêchant de continuer à travailler en RD Congo. Le 14 juin 2018, le gouvernement a publié un décret contraignant les médias en ligne à obtenir l’approbation préalable des autorités pour la publicité, entre autres nouvelles réglementations. Les médias en ligne ont 30 jours pour se conformer à ces nouvelles dispositions, dont il est à craindre qu’elles ne servent à les réprimer, alors qu’ils sont particulièrement actifs en RD Congo.
Shadary, Boshab et Mende continuent également, selon des sources bien placées, de jouer un rôle de premier plan en tant que membres du groupe officieux d’environ 20 responsables chargés de la mise en œuvre des stratégies visant à maintenir le régime au pouvoir, notamment au sein des services de sécurité et de renseignement.
Document à lire sur : Lettre au sujet des sanctions ciblées de l’UE à l’égard de la RD Congo https://www.hrw.org/fr/news/2018/12/03/lettre-au-sujet-des-sanctions-ciblees-de-lue-legard-de-la-rd-congo
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