L’opposante rwandaise Diane Rwigara, critique du président Paul Kagame, a été acquittée jeudi par un tribunal de Kigali d’incitation à l’insurrection et falsification de documents, des charges qui lui ont valu d’être emprisonnée pendant plus d’un an et dénoncées comme politiques par l’intéressée.
Par Pascal Priestley avec AFP
« Les charges retenues par l’accusation sont sans fondement ». La salle d’audience, remplie et dans laquelle ont pris place des membres de la famille Rwigara, explose de joie, ce 6 décembre, à la lecture de la décision des trois juges.
Avec Diane Rwigara, ses cinq coaccusés dont sa mère Adeline, sont également acquittés. 22 ans de prison avaient été requis par le ministère public contre l’opposante et sa mère.
« Incitation à l’insurrection », droit à la liberté d’expression
Le tribunal a estimé que les critiques de Diane Rwigara contre le gouvernement, notamment lors de conférences de presse, ne constituait pas une « incitation à l’insurrection » car elles s’inscrivent dans le cadre de son droit à la liberté d’expression garantie par la Constitution rwandaise et les lois internationales.
Les juges ont également estimé que l’accusation n’avait pas prouvé que, comme elle en était accusée, Diane Rwigara avait falsifié des signatures dans le dossier présenté à la commission électorale en vue de sa participation à l’élection présidentielle de 2017.
Le rejet de cette candidature avait été critiqué par des gouvernements occidentaux et des groupes de défense des droits de l’Homme.
Diane et sa mère ont été remises en liberté sous caution début octobre. La sœur avait recouvré la liberté un an auparavant, les charges pesant contre elle ayant été abandonnées. Les réquisitions du parquet n’en avaient été moins lourdes.
Depuis son arrestation, l’ancienne candidate dénonçait des poursuites montées selon elle de toutes pièces par le régime pour la réduire au silence.
Un président élu … à 99 % des voix
Le président rwandais Paul Kagame est aux commandes du Rwanda depuis que le FPR a renversé en juillet 1994 le gouvernement extrémiste hutu à l’origine du génocide qui a causé 800.000 morts entre avril et juillet 1994 dans la minorité tutsi et dans une moindre mesure parmi les hutus « modérés ».
Il a été réélu le 4 août 2017 pour un nouveau mandat de sept ans avec près de 99% des voix. Une réforme de la Constitution adoptée par référendum fin 2015 (à « 98 % des suffrages ») lui ouvre la voie à un règne jusqu’en 2034.
Régulièrement accusé de bafouer la démocratie et de museler toute opposition, il bénéficie parallèlement d’une compréhension particulière de milieux intellectuels et d’affaires occidentaux qui le créditent du développement d’un pays exsangue au sortir du génocide de 1994.
Le vrai bilan est plus controversé. 24 ans après la tragédie, le Rwanda se situe au 158ème rang mondial en terme d‘indice de développement humain (IDH), à côté de la Mauritanie ou Haïti. Un tiers du budget de l’État est couvert par l’aide internationale. 40 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté.
Terre bénie pour les investissements, au 41ème rang du classement « Doing business »qui mesure les opportunités d’affaires, le Rwanda n’en est pas moins considéré par beaucoup comme un modèle pour l’Afrique. Le président français Emmanuel Macron a favorisé en octobre dernier l’élection à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie de Louise Mushikiwabo, ministre et proche de Paul Kagame, ce dernier ayant pourtant converti son pays à l’anglophonie.
Malgré ces soutiens, les critiques par des organisations internationales du régime de Kigali se sont multipliées ces dernières années pour ses atteintes à la démocratie et la liberté d’expression, répression, meurtres d’opposants, tortures , au point de refroidir quelque peu son fidèle allié américain.