Y’aura-t-il vraiment des élections au Congo ? Quand ? Et après ? [ANALYSE]

Peter Verlinden, Eric Steffens

Après une expérience de près de 30 ans au Congo, d’abord au sein de la coopération au développement belge, puis en tant qu’observateur, il y a de quoi être cynique. Et la semaine dernière, la venue d’élections libres tant attendues a encore renforcé ce sentiment. Où allons-nous, alors que ces élections ont été une fois de plus reportées, d’une semaine seulement et alors que le clan Kabila étale son pouvoir sans vergogne et que l’opposition apparemment impuissante a perdu sa voix ?

D’abord les « faits »

Les élections en République Démocratique du Congo ont déjà pris deux ans de retard. Elles auraient dû avoir lieu à la fin de l’année 2016. Ce report d’une semaine ne constitue donc qu’un chapitre de plus d’une histoire laborieuse.

Mais il y a plus

La principale raison officielle de ce report est l’incendie d’un entrepôt de la Commission électorale indépendante dans la nuit du 12 au 13 décembre. Près de 80% de l’équipement qui devait être utilisé dans la capitale Kinshasa pour l’élection présidentielle a été détruit. Environ 8.000 machines à voter ont été détruites.

Les ordinateurs de réserve qui devront venir d’autres régions du pays, devront être reprogrammés pour être utilisés dans l’arrondissement électoral de Kinshasa et de nouveaux bulletins de vote devront être imprimés pour pouvoir enregistrer le vote des électeurs. Tout cela prendra plus de temps que prévu et cela explique le report, a déclaré le président de la Commission électorale.

Toutefois on ne dispose d’aucunes images des restes calcinés des ordinateurs et un homme qui affirme être responsable de la sécurité de l’entrepôt a témoigné dans La Libre Belgique que quelques heures avant l’incendie, lui et ses hommes ont reçu l’ordre de quitter leurs postes, et ont été remplacés par … des membres de la Garde présidentielle.

D’autres éléments semblent indiquer qu’il s’agit bien d’un incendie criminel : un Tweet envoyé par un collaborateur du président Kabila, plusieurs heures avant les faits accuse le candidat de l’opposition Fayulu d’être implqiué dans l’incendie, le fait que cet entrepôt qui se situe dans un endroit stratégique et difficilement accessible sans contrôles, enfin le fait qu’il y ait eu des foyers distincts, distants de dizaines de mètres…

Mais il y a plus encore

Des témoignages proviennent de l’intérieur du pays via des groupes WhatsApp selon lesquels la Commission électorale n’aurait toujours pas terminé ses préparatifs pratiques en vue du scrutin : il y a un manque d’ordinateurs, un manque d’isoloirs et trop peu ou pas de personnel. Parallèlement, la Commission électorale montre fièrement la formation de ses « agents »  comme elle les appelle, une semaine seulement avant la date initialement prévue des élections.

Mais il y a encore beaucoup plus

Des images qui circulent sur les médias sociaux, qui sont très difficiles à vérifier, ainsi que les témoignages directs d’organisations locales de défense des droits de l’homme, témoignent d’une présence militaire et policière renforcée un peu partout dans le pays.

Le ministre de la Justice Alexis Thambwe n’a même pas tenté de réfuter ces rumeurs. Il parle de la nécessaire « protection du processus électoral » ». Certaines sources ajoutent explicitement que du personnel militaire étranger est également déployé, en particulier en provenance du Rwanda. L’ancienne ambassadrice du Congo à Bruxelles, alors opposante à Mobutu et aujourd’hui au régime actuel à Kinshasa, Justine M’Poyo Kasavubu, fille du premier président du Congo, qualifie cette présence rwandaise dans son pays « d’occupation ».

Dans un long entretien accordé à la chaîne France 24, elle évoque «  la dépendance du régime de Kabila vis-à-vis du régime de Kagame au Rwanda » comme la principale explication de l’échec du processus électoral. Elle n’est pas la seule opposante à en parler. Bien sûr, il s’agit de l’exploitation des matières premières, en particulier dans l’est du Congo.

C’est un secret de polichinelle que le précieux coltan congolais, est en grande partie acheminé clandestinement vers le Rwanda, qui est devenu le plus grand exportateur de coltan au monde, même s’il ne possède que des réserves minimales de minéraux précieux dans son propre sous-sol. Ce commerce lucratif ne doit en aucun cas être perturbé, explique Justine Kasa-Vubu, et le régime de Kabila doit donc rester au pouvoir à tout prix, même par l’intermédiaire d’un homme de paille, le « dauphin » de Joseph Kabila, le candidat Emmanuel Ramazani Shadary.

Des observateurs internationaux se sont intéressés depuis des années aux énormes intérêts économiques du clan Kabila.

Rumeurs et certitudes

Aussi incertaine que puisse être la rumeur, certaines de ces révélations subsisteront. 

Les événements des dernières semaines ont montré que les principaux candidats de l’opposition ont été régulièrement gênés dans leur campagne par des forces de police de toutes sortes : des avions n’ont pas été autorisés à atterrir, des réunions ont été interdites. Pas partout, mais suffisamment systématique pour être suspect. Il y a eu également des décès suspects. Certainement une douzaine, probablement plus.

Dans le même temps, les partisans de l’actuel président Kabila et de son entourage ont également été sévèrement attaqués par des militants des opposants. 

Les médias, dont la plupart sont contrôlés par le régime de Kabila, et certainement la radio-télévision publique RTNC, ont traité le candidat de Kabila et ses associés avec beaucoup plus d’égards que les candidats de l’opposition. En tout cas, ce n’était pas une campagne électorale pure et équilibrée, bien au contraire.

Et le pire reste encore à venir

Si ces élections devaient avoir lieu effectivement le 30 décembre, il y a très peu de chance pour qu’elles se déroulent selon les critères internationaux.

Si les problèmes techniques devaient être résolus, cela resterait un vote sans beaucoup de contrôle externe.

Même si l’Église catholique a formé 40 000 observateurs indépendants, pour les plus de 75 000 bureaux de vote, c’est bien sûr loin d’être suffisant, même si c’est plus que lors des élections précédentes.

Bien que les partis politiques aient officiellement accrédité plus de 700 000 témoins, la question demeure de savoir s’ils se présenteront réellement pour effectuer une longue journée de surveillance efficace. Les deux élections précédentes ont montré que ces témoins n’avaient pas été payés et étaient plus sensibles à la corruption. Il n’y a pratiquement pas d’observateurs internationaux : les occidentaux ne sont pas les bienvenus et les africains seront à peine 200.

De plus, il y a encore d’énormes incertitudes quant à l’utilisation de ce qu’on appelle les « machines à voter », en fait un écran tactile sur lequel les candidats apparaissent et qui, après le choix, imprime une note avec l’homme/femme choisi. Cette note est ensuite déposée dans l’urne. L’électeur doit voter trois fois : pour un candidat à la présidence, pour un candidat au Parlement et pour un candidat provincial.

Selon des données récentes, environ 25% des Congolais ne savent ni lire ni écrire, et c’est le chiffre officiel. La situation est peut-être beaucoup plus dramatique. Surtout à l’intérieur du pays, presque personne n’a jamais travaillé avec un ordinateur. Ici, le risque de manipulation est vraiment réel…

L’opposition craint également que les ordinateurs de vote ne soient préprogrammés pour convertir automatiquement chaque vote en un vote pour Shadary Ramazani, le dauphin de Kabila. Et/ou qu’il y a déjà des piles de bulletins de vote pré-imprimés prêts à être mis dans les urnes avec bien sûr le même nom dessus. Encore une fois, ce sont des vidéos diffusées sur les médias sociaux qui donnent l’information.

Conséquences

Et si le cap des élections est franchi, ce n’est qu’à ce moment-là qu’arrivera le véritable moment de vérité : l’annonce du nom du vainqueur de l’élection présidentielle.

La Commission électorale promet qu’elle l’annoncera après seulement deux jours, donc le jour de l’an. Cela se ferait sur la base de l’enregistrement électronique des votes par les ordinateurs, après quoi les bulletins de vote dans les urnes serviraient de contrôle.

Il est à craindre que la présence militaire et policière accrue ne montre alors sa véritable nature et ne soit utilisée pour réprimer rapidement toute protestation, comme elle l’a fait en 2011. Aucun observateur international ne peut imaginer qu’un opposant au régime Kabila soit « autorisé » à remporter les élections. Les intérêts économiques du clan Kabila sont trop importants pour cela. Ils doivent être sauvegardés, et cela ne peut être réalisé que par son fidèle allié Ramazani Shadary. S’il « gagne », les partisans de l’opposition protesteront sans aucun doute.

 Et pourtant

Si l’un des deux meilleurs candidats de l’opposition, Félix Tshisekedi ou Martin Fayulu, réussissait selon les résultats officiels, la lutte pour un nouveau Congo,  « le changement », serait encore loin d’être terminé.

Depuis 17 ans, Joseph Kabila et son entourage ont occupé progressivement tous les postes clés de la société congolaise. Politiques, mais aussi militaires, policiers et économiques. Ce mouvement s’est accéléré depuis sa réélection frauduleuse en 2011, reconnue par l’Occident, dont la Belgique. Ce fut le « point de non-retour » : le moment où Joseph Kabila a su qu’il pouvait désormais suivre sa propre voie, que ses « alliés »  occidentaux ne l’arrêteraient plus.

A l’instar de Mobutu, qui a disposé de plus de 30 ans pour le faire, Joseph Kabila et sa famille ont construit un réseau de fidèles qui contrôlent toute la société, jusqu’aux plus petits villages. Des témoins confirment qu’au sommet de l’armée, il y a beaucoup « d’étrangers », encore une fois principalement des Rwandais.

Remplacer ce réseau par des esprits libres travaillant dans l’intérêt de la population et non pour servir les intérêts d’une petite clique sera un grand défi pour un nouveau président congolais.

Lorsque Mobutu est « tombé » et que le père Kabila est arrivé au pouvoir, en mai 1997, de nombreux soi-disant « mobutistes » fidèles des services de sécurité et d’information n’ont pas hésité à servir rapidement leur nouveau maître. Mobutu et Kabila, et finalement son fils Kabila, n’étaient finalement pas très différents à cet égard : chacun voulait et veut prendre le contrôle total de l’Etat et réduire au silence les Congolais, serviteurs volontaires de l’autorité.

Si un nouveau président avait l’intention d’adopter une approche complètement différente, comme les candidats de l’opposition ne cessent de le répéter, pour faire du Congo un pays de liberté et d’auto-développement, où chaque vote compte, y compris le vote critique, cela signifierait un revirement complet, y compris dans les esprits. Ce serait un processus à long terme, une révolution mentale, pour chaque gouverneur, jusqu’au plus bas niveau, et pour chaque citoyen, jusqu’au plus haut niveau.

Ce n’est qu’alors qu’un nouveau Congo pourrait voir le jour, dans la liberté et l’indépendance, 60 ans après l’indépendance.

La première étape consisterait à organiser des élections libres et équitables le 30 décembre.
Même cette première étape semble déjà être un rêve.

Article à lire sur : Y aura-t-il vraiment des élections au Congo ? Quand ? Et après ? https://www.vrt.be/vrtnws/fr/2018/12/23/y-aura-t-il-vraiment-des-elections-au-congo-et-apres/?fbclid=IwAR2v0a13JyhM0_fP9K413M4sWcSI2tkHZrs_vGVRFzWlyHrzeEKkm-orFME

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