La politique a toujours été l’art du possible, de renoncement et du compromis. Hier ennemis aujourd’hui partenaires, c’est la politique ce n’est pas du droit. Pour y arriver on se rencontre, on parle, on coalise, le tout dans le but d’atteindre des objectifs assignés c’est-à-dire la conquête et l’exercice du pouvoir.
L’accord entre le Front Commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le Changement (CACH) du 6 mars 2019 suscite une polémique qui parfois déroute. Il est vrai que l’ampleur des discussions sur cette question rassure quant au bon fonctionnement de la surveillance populaire et donne l’alerte sur un probable disfonctionnement des institutions de la République, cependant il est difficile de prouver que cet accord constitue un dérapage. C’est ma préoccupation dans ces discussions.
Avant de répondre à cette question de dérapage, je trouve important de rappeler que la République Démocratique du Congo est entrain de sortir d’une situation de crise multisectorielle depuis son indépendance vers un Etat démocratique qui reste un idéal. La route vers la démocratie n’est jamais linéaire, elle est parsemée d’embûches. On appelle cette route, démocratisation, quand le monopole du pouvoir de décision est entre les mains du parti ou de la personne qui démocratise. Cette route change de nom et devient « Codémocratisation » lorsque le pouvoir de décision est partagé entre deux ou plusieurs partis.
Avec la victoire du CACH aux présidentielles et du FCC aux législatives du 30 décembre 2018, la RD Congo est dans le cas de figure de coalition et de « Codémocratisation ».
Du même auteur : RDC : Voici comment le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo obtiendra sa Majorité Parlementaire [TRIBUNE] https://www.afriwave.com/2019/03/01/rdc-voici-comment-le-president-felix-antoine-tshisekedi-tshilombo-obtiendra-sa-majorite-parlementaire-tribune/
Sur injonction des électeurs, CACH et FCC doivent s’entendre, s’ils veulent gouverner ensemble. On appelle cette entente en science politique coalition gouvernementale.
Coalition, gouvernance commune
Une coalition politique est une association de partis politiques qui concourent à réaliser des objectifs communs. Il y a une coalition préélectorale qui se forme avant les élections pour soutenir un candidat qui portera le programme de la coalition c’est le cas de FCC, CACH, LAMUKA, etc. On vise à améliorer les perspectives électorales. Cette coalition peut survivre après les élections et aboutir à une coalition gouvernementale.
Il y a aussi la coalition postélectorale imposée souvent par les suffrages exprimés dans le parlement. Ici la coalition est la fusion des différents partis distincts pour atteindre la majorité parlementaire afin gouverner l’Etat sur base d’un programme de gouvernement négocié. Cette deuxième forme de coalition est imposée par les suffrages des électeurs.
Enfin il y a la coalition conjoncturelle, de courte durée axée sur le vote ou le rejet d’un projet de loi. Nous allons assister certainement à ce type de coalition quand il sera question de voter la loi sur la suppression des élections des gouverneurs des provinces. Il n’est pas impossible de voir Lamuka s’associer à FCC ou à CACH.
Pour échapper à la coalition, le parti politique doit gagner les élections présidentielles et obtenir la majorité des sièges au parlement. Si on perd un de ces deux postes, on est automatiquement candidat à la coalition. Par ce fait, on adhère affaibli à une coalition, et on ne peut prétendre gouverner seul. Cette incapacité de pouvoir gouverner seul provient du fait que les électeurs ont dispersé les suffrages au parlement à plusieurs partis et aucun d’entre eux n’en atteint la majorité. Dans ce cas, on est obligé de s’associer à d’autres groupes d’acteurs politiques ayant reçu aussi les accréditations des électeurs de manière à constituer une majorité pour pouvoir gérer l’Etat. Le gouvernement qui sortira de ce parlement est le gouvernement de coalition composé des membres de différents partis qui ont accepté de coopérer. Cela étant, la coalition CACH – FCC s’inscrit donc dans cette logique.
Accord FCC – CACH du 06 mars 2019 trahison ou dérapage
Pourquoi ce compromis politique est-il qualifié de trahison ? Qui a-t-on trahi ? Quel dommage social cet accord inflige- t-il au peuple congolais ?
Je reprends deux remarques qui résument un peu la révolte des antis coalition FCC et CACH.
La première remarque se résume au fait que le FCC et le CACH étant des plateformes électorales informelles, elles ne peuvent ordonner au Président de la République Félix Tshisekedi de nommer un formateur. Il est vrai que le FCC et le CACH sont des plateformes informelles, mais leurs animateurs sont des partis politiques ayant des personnalités juridiques. Donc les actes de ces plateformes sont en réalité posés par des partis politiques.
Il y a lieu de faire la différence entre le contenu et le contenant. En politique le contenant peut être informel avec un contenu légal. Il faut considérer FCC, CACH, Lamuka comme des cadres de concertation, des enveloppes qui contiennent des institutions politiques dotées des personnalités juridiques en l’occurrence les partis politiques. Monsieur Jean Marc Kabund qui a signé l’accord de coalition, l’a fait bien sûr au nom de l’UDPS dont il est le président intérimaire, cela n’a rien d’illégal. L’avis qui est donné dans ce cadre de concertation est un avis des partis politiques qui n’ont fait qu’exercer leur droit. En plus, ce cadre informel prépare les acteurs de la coalition à poser des actes légaux dans l’hémicycle.
La deuxième remarque dénonce l’accord secret qui existerait entre le FCC et le CACH. Et pourtant cet accord a matérialisé ce que tout le monde savait, c’est-à-dire, la volonté de coaliser entre le FCC et le CACH. Le Président Kabila l’avait dit lors de son discours à la nation du 29 décembre 2018 et le président Félix Tshisekedi le confirme dans son discours d’investiture du 24 janvier 2019.
Pour aboutir à une coalition, il y a un processus de mise ensemble qu’il faudra suivre. Ce processus n’est pas identique partout mais obéit à des principes tangibles qui sont :
- L’identification de l’objectif à réaliser : conquête du pouvoir par voie électorale.
- La reconnaissance réciproque des limites par des acteurs à la coalition : faute de majorité au parlement, on n’est pas en mesure d’accomplir seul le projet de gérer l’Etat. Cela implique la reconnaissance de l’apport de l’autre.
- La séduction réciproque, chaque acteur fait des yeux doux à l’autre à travers des déclarations publiques d’admiration.
- La constitution de cadre concertation où s’opère l’échange d’idées, c’est les cas de LAMUKA, CACH, FCC, etc.
- La négociation, elle peut aboutir à un accord, celui-ci va stipuler la volonté de travailler ensemble et les objectifs communs à réaliser.
- La publication de l’accord.
A l’issue des élections du 30 décembre 2018, le CACH et le FCC sont respectivement limités : le premier à la présidence de la République et le deuxième a la majorité au parlement, deux institutions majeures du pays occupées par des adversaires. L’issue des élections les contraint à collaborer et ils ne s’y opposent pas et ont tous déclaré vouloir travailler ensemble. Ainsi l’accord du 6 mars signé par le CACH et le FCC est un acte de coalition, une étape dans le processus de vouloir travailler ensemble.
Le FCC et le CACH ont ils le pouvoir d’identifier la majorité parlementaire ?
L’accord du 6 mars 2019 entre le FCC et le CACH révèle que la majorité parlementaire a été identifiée par CACH et se trouve du côté du FCC. N’ayant pas assisté à ces assises, je suppose que Monsieur Jean Marc Kabund, président intérimaire de l’UDPS, un des acteurs de la collation CACH a constaté avant tout, la loyauté postélectorale des élus FCC envers le Président Honoraire Joseph Kabila. Le président intérimaire de l’UDPS s’est rendu compte que plus de 250 députés élus qui avaient préalablement fait allégeance à Joseph Kabila avant les élections de décembre 2018 se réclament toujours de FCC. Il a donc identifié la majorité parlementaire du côté de FCC. Dans l’état actuel, Monsieur Kabund est la personnalité politique la mieux indiquée pour identifier la majorité parlementaire, car il en dispute le contrôle avec le FCC et ne pourra en contester la véracité.
C’est le chemin le plus court et le moins couteux d’avoir confié à Monsieur Kabund la mission d’identifier la majorité. Cette démarche est efficace dans la mesure où le Président Félix Tshisekedi a fait identifier la majorité parlementaire de la manière la plus rapide possible, deux jours seulement et sans financement.
Cette majorité parlementaire, le public congolais l’avait déjà identifiée au lendemain de la proclamation des résultats par la CENI quand on a vu plusieurs députés élus FCC faire allégeance au Président Kabila dans sa ferme de Kingakati. Situation tout à fait normale. Joseph Kabila a été autorité morale avant les élections et le demeure après et on ne peut le lui reprocher. De la même manière des dizaines des partis politiques font allégeances à Moise Katumbi, Martin Fayulu Madidi et Jean-Pierre Bemba avant et après les élections.
Si Jean-Marc Kabund, sur initiative du Président de la République Félix Tshisekedi et au nom du CACH a effectivement identifié la majorité du côté de FCC et l’a annoncé conjointement avec ce dernier, à mon avis il n’y a plus de raison de nommer un autre informateur pour refaire le même travail. On peut donc admettre que se rencontrer et identifier la majorité sont des étapes de la coalition et il n’y a pas lieu dans ce cas précis de contester la validité de cet accord et rien n’a été caché, nous le savions tous.
Cet accord ne crée aucun dommage social au contraire, il est efficace et fait de gagner du temps. Les critiques sur l’inconstitutionnalité de cet accord relève d’un juridisme dommageable, c’est un peu le côté malsain de la « trop démocratie », qui cautionne la lenteur administrative. La séparation entre la recherche de la totale démocratie et le populisme devient difficile.
Que cet accord suggère au Président de la République de nommer un formateur du gouvernement quoi de plus normal. C’est dans les prérogatives du Président de nommer un formateur et on le lui demande officiellement par les acteurs de la coalition.
Si on accepte l’élection du Président Félix Tshisekedi à la présidence de la République, on doit aussi accepter la victoire majoritaire du FCC au parlement. A ce sujet on doit vraiment avoir un « cœur démocratique ». C’est un langage que seuls les Congolais peuvent comprendre. Sinon on risque d’être acquis à l’idée de la démocratie, mais non à sa pratique.
Il ne faudra pas induire le Président Félix Tshisekedi en erreur, il a gagné les élections présidentielles mais il a perdu les législatives mais pas de manière définitive, il a toujours la possibilité de les gagner progressivement pendant sa législature, il doit donc toujours négocier et coopérer avec d’autres acteurs politiques en l’occurrence le FCC.
Faire croire que les partisans du FCC sont tous mauvais et ne pourront rien apporter dans la législature de Félix Tshisekedi n’est pas correcte. Je pense que ce qui compte à mon avis c’est avant tout la capacité managériale du Président Félix Tshisekedi, on l’a vu avec les fonctionnaires de l’administration des poste et téléphones qui ont multiplié les recettes de la téléphonie un mois seulement après l’investiture du nouveau Président. Il ne faudrait donc pas croire que le FCC est l’enfer.
Faudra-t-il disqualifier le FCC ?
La presse étrangère et certains milieux politiques congolais accusent l’ancien président Joseph Kabila et le FCC de conserver tout le pouvoir au point de rendre le Président Félix Tshisekedi, un président protocolaire. Une analyse erronée et incitatrice à la confrontation FCC-CACH que je déconseille.
Pourquoi le Président Joseph Kabila ferait-il aujourd’hui ce qu’il a refusé de faire il y a trois mois c’est-à-dire imposer Emmanuel Shadari ou le FCC au pouvoir.
Quel peut être l’agenda caché du FCC, quel contrat caché aurait signé le président de la République Félix Tshisekedi avec le FCC et comment se matérialiserait-il concrètement sur terrain. Telles sont des questions qu’il faudrait se poser avant toute analyse.
Je pense que c’est un mauvais procès. Le 24 janvier 2019 nous avons assisté à une passation de pouvoir la plus humaine de l’histoire de l’Afrique centrale, la presse africaine a de manière générale salué cet heureux événement et les éloges étaient plus adressés au Président sortant Joseph Kabila. Ce dernier est l’artisan incontestable de cette réussite, il pouvait refuser de céder et accepter n’importe quelle sanction comme ce fut le cas dans certains pays africains, mais il a fait le bon choix d’organiser les élections et d’accepter l’installation d’un autre Président.
Pour bien dire les choses et montrer à quel point Joseph Kabila a bien joué, voici l’évidence qui s’impose : « le Président Félix Tshisekedi a gagné les élections présidentielles de décembre 2018, mais on lui a offert la présidence de la République et il doit continuellement négocier pour contrôler le parlement ».
Cette évidence doit orienter le débat sur l’appréciation du comportement des acteurs politiques congolais dans la réalisation de leurs objectifs. Je dois préciser que la présidence lui est offerte dans la mesure où le Président Kabila a non seulement accepté l’élection de Félix Tshisekedi mais lui a aussi céder l’imperium, l’effectivité du pouvoir.
Gagner les élections et détenir l’effectivité du pouvoir sont deux choses différentes. On peut gagner les élections mais ne pas accéder au pouvoir. Etienne Tshisekedi a été élu à la primature à l’issue des élections à la conférence nationale souveraine en 1992 mais qu’il n’a jamais pu exercer par ce que le Président Mobutu n’en voulait pas.
Le Président Félix Tshisekedi gagne les élections présidentielles et obtient l’effectivité du pouvoir. Cela témoigne de la « bonne foi démocratique » du président sortant. Nous le jugeons par cet acte, qui a favorisé la passation pacifique du pouvoir. Il faut que ça soit claire, si le Président Félix Tshisekedi est à la présidence aujourd’hui c’est par ce que Joseph Kabila l’a voulu et le FCC l’a soutenu dans cette démarche. Il n’y a donc pas rivalité entre CACH et FCC.
Comme l’a souligné le journaliste congolais Christian Bosembe dans l’une de ses émissions télévisées, le succès du président Félix Tshisekedi ne doit pas nécessairement passer par l’arrestation du Président Joseph Kabila. Jusqu’à preuve du contraire on n’a pas encore assisté à une contestation du pouvoir de Félix par le FCC. Ce dernier est indiscutablement un des responsables de l’actuelle crise socioéconomique que traverse la République Démocratique du Congo. Mais depuis l’avènement de Félix Tshisekedi le FCC se montre retenu.
Quand on examine les actes posés par le Président Félix Tshisekedi alors qu’il travaille avec le gouvernement légué par le FCC on se rend compte qu’il a non seulement les pleins pouvoirs mais aussi le FCC lui apporte son soutien dans la mesure où il ne pose aucune obstruction aux décisions de Félix Tshisekedi. Le Président de la République nomme librement ses collaborateurs dans la haute sphère de la sécurité, il instruit la justice contre les infractions, il entreprend son programme de 100 jours avec les moyens de l’Etat, il libère les prisonniers politiques, il fait limoger le ministre et mandataires publics, il soumet à son appréciation toute sortie de fond, etc. On appelle cela l’imperium et cela n’est pas un attribut d’un président protocolaire. La non-contestation du FCC aux actions du Président de la République est un soutien incommensurable dont le Président de la République a besoin. Pourquoi alors chercher la guerre contre un partenaire qui ne vous attaque pas. Ne poussez pas le FCC à coaliser avec Lamuka.
L’échec de l’UDPS dans les élections sénatoriales de mars 2019 ne relève pas d’une stratégie de FCC mais bien au contraire de l’état migratoire et versatile des parlementaires congolais en général et de l’UDPS en particulier. Ceci montre la distance entre le discours sur l’état de droit et sa pratique. La corruption doit être condamnée sans complaisance et cela n’est pas seulement le devoir du Président de la République.
Comment est-il possible que juristes et politologues affirment que le cas de corruption qui touche les assemblées provinciales est un cas privé de l’UDPS que le Président de la République ramène dans l’espace public. Alors que Jean-Pierre Bemba condamné pour corruption à la CPI « affaire privé et à l’étranger » fut invalidé aux élections présidentielles « espace public congolais ».
Nous avons ici d’un côté les parlementaires provinciaux corrompus pas seulement ceux de l’UDPS et de l’autre côté, les sénateurs corrupteurs toutes tendances confondues selon les rapports de différentes personnalités politiques. Ce fait de corruption est un cas de disfonctionnement des institutions de la République dans la mesure où le mode d’accès au sénat est infractionnel – la corruption – un fléau dévastatrice qui conduit à la mort de l’Etat. Comment voulez-vous que le Président de la République garant du bon fonctionnement des institutions reste inactif au regard d’une telle déviance. Il convoque une réunion interinstitutionnelle et décide de suspendre l’installation du sénat et de reporter les élections des gouverneurs tout en recommandant au Procureur Général de la République de diligenter l’enquêter et au CENI de reprogrammer le calendrier électorale. Cette démarche n’est ni informelle ni anticonstitutionnelle.
Les institutions réunies autour du Président de la République sont des institutions de l’Etat et la présidence de la République étant elle-même aussi une institution de l’Etat, rien d’informel et d’illégal. Le fait de corruption menace le fonctionnement cohérent de l’Etat et engendre une crise, le Président de la République convoque une réunion et donne des recommandations pour sauver la République, il n y a aucune inconstitutionnalité. Le Chef de l’Etat a sauvegardé le bon fonctionnement des institutions du pays, ce qui est l’une de ses missions principales ; rester indifférent face à ce cancer de la corruption serait cautionné l’immoralité institutionnelle.
Dr Dinanga Cingoma, Leipzig le 22.3.2019