RDC : Mgr Fridolin Ambongo : « L’Église congolaise a payé cher l’alternance démocratique »

Recueillis par Marie Malzac

Entretien. Défenseur de longue date du peuple contre l’oppression politique en République démocratique du Congo, l’archevêque installé en novembre 2018 est de passage en France pour la Nuit des témoins, organisée par l’Aide à l’Église en détresse. Il en appelle à la communauté internationale pour lutter contre l’influence persistante de Joseph Kabila.

La Croix : Après 17 ans de règne de Joseph Kabila, son opposant Félix Tshisekedi est aujourd’hui le président du Congo. Pourquoi les évêques congolais considèrent-ils sa victoire comme peu crédible ?

Mgr Fridolin Ambongo : Le peuple a longtemps attendu l’alternance politique et s’est battu pour cela. L’accord de la Saint-Sylvestre a été signé entre l’opposition et Joseph Kabila le 31 décembre 2016, sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco). Ce texte prévoyait la mise en place d’une transition politique jusqu’à la tenue des prochaines élections présidentielle, législatives et communales en 2017. Finalement, les élections n’ont pas eu lieu à la date prévue. Après les évêques, ce sont les laïcs qui se sont levés. De décembre 2017 à février 2018, le Comité laïc de coordination (CLC) a organisé de grandes mobilisations pour demander l’alternance démocratique. Il y a eu des morts, des lieux de culte ont été saccagés, des prêtres humiliés. L’Église a payé le prix fort pour que des élections puissent avoir lieu. Finalement, en décembre, le peuple a voté en faveur d’une rupture avec le régime de Kabila. Hélas, le scrutin a été entaché par la tricherie. D’après ce qu’ont rapporté les 40 000 observateurs déployés par l’Église catholique pour l’élection, Martin Fayulu, un autre opposant de l’ancien président, a recueilli 60 % des suffrages. Mais c’est Félix Tshisekedi qui a été déclaré officiellement vainqueur, car Kabila a œuvré en ce sens. L’issue finale de l’élection demeure une grande frustration pour le peuple.

Et quelle est aujourd’hui la ligne de conduite de Cenco ?

Mgr F. A. : Comme nous l’avons toujours dit, ce résultat est un déni de vérité. Et nous sommes convaincus que l’on ne peut fonder l’avenir d’une nation sur le mensonge. C’est d’ailleurs le message que je viens de porter au département d’État, à Washington, et que je vais répéter au Quai d’Orsay, où je dois être reçu cette semaine. Malgré tout, maintenant que Félix Tshisekedi est au pouvoir, et même s’il a été imposé par Kabila, nous voulons composer avec lui. Nous pensons que, même du mal, il est possible de tirer le bien. Et de son côté, le nouveau président doit aussi donner des gages pour tenter de corriger ce mal initial. Les premiers signaux sont bons, mais l’ancien président tire toujours les ficelles.

Quels conseils donnez-vous au nouveau président ?

Mgr F. A. : Il ne faut pas qu’il se sépare de ceux avec qui il a toujours milité : Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba et, bien sûr, Martin Fayulu. Ils sont des opposants historiques et des personnages clé de la vie politique au Congo. S’il trouve les mécanismes pour les associer à son exercice du pouvoir, il gagnera en crédibilité. Mais le jeu est risqué… S’il penche trop du côté du peuple, Kabila risque de ne pas le laisser faire. C’est le sens de mon appel à la communauté internationale, et en particulier aux États-Unis et à la France. Il faut aider Félix Tshisekedi en affaiblissant Kabila mais aussi en offrant une protection au nouveau président.

Ebola, conflits sanglants, exode de populations, crise politique durable. Tous les maux se sont-ils donné rendez-vous au Congo ?

Mgr F. A. : Il est vrai que notre pays semble concentrer tous les malheurs du monde. Et ce en dépit de ses grandes richesses naturelles. Mais tous ces problèmes sont interconnectés. Ebola, par exemple, peut s’étendre dans les régions où règne l’insécurité, car il est impossible d’y faire de la prévention. Et tous ces problèmes trouvent leur source dans la faillite de l’État. Dans cette situation dramatique, l’Église catholique a toujours pallié ces défaillances. Ainsi, 50 % des structures sanitaires en dépendent. Ce pourcentage est encore plus élevé en brousse. Sans l’Église, la situation serait encore plus dramatique.

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Un archevêque engagé

1960. Naissance à Boto, dans le nord de la RD-Congo.

1980. Entrée chez les frères mineurs capucins.

1988. Ordination sacerdotale.

1991-1995. Après ses études à Kinshasa, doctorat à Rome. De retour au Congo, il est enseignant pendant dix ans.

2005-2016. Évêque de Bokungu-Ikela.

2008-2016. Président de la Commission Justice et Paix.

Juin 2016. Vice-président de la Conférence nationale épiscopale du Congo (Cenco). À ce titre, il est l’un des principaux artisans de l’accord de la Saint-Sylvestre, en décembre 2016.

2016-2018. Archevêque de Mbandaka-Bikoro.

6 février 2018. Évêque coadjuteur de Kinshasa.Article à lire sur : Mgr Fridolin Ambongo : « L’Église congolaise a payé cher l’alternance démocratique » https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/Mgr-Fridolin-Ambongo-LEglise-congolaise-paye-cher-lalternance-democratique-2019-03-26-1201011391

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