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DOSSIER DE L’HISTOIRE : « Etienne Tshisekedi n’a jamais été cité dans le complot des pendus de la Pentecôte » (Rapport de la CNS)

Dès l’annonce du rapatriement depuis la Belgique de la dépouille mortelle de feu l’ancien premier ministre honoraire Etienne Tshisekedi Wa Mulumba suivi de ses funérailles, « une vraie-fausse polémique » s’est emparée des milieux congolais de l’intérieur du pays comme de la diaspora sur ce que fut la personnalité de l’ancien opposant radical.

Mais aussi et surtout de son « supposé » rôle qu’il aurait joué dans la mort des quatre pendus de la Pentecôtes  sur la place de l’actuel Stade des Martyrs, endroit dans lequel ses obsèques nationale et populaire ont été célébrées avec faste. Ce qui a donné la voix aux « falsificateurs » de crier à « opprobre » sur la mémoire des anciens politiques assassinés en cet emplacement.

Dans le souci de rétablir l’HISTOIRE et face à la polémique entretenue sciemment par certains milieux  pour des raisons connues d’eux seuls, la Rédaction de WWW.AFRIWAVE.COM a relu ce rapport en vue de replacer les faits dans leur vrai contexte.

Il ressort du rapport de la Commission des Assassinats de la Conférence nationale Souveraine (CNS) que feu Etienne Tshisekedi que l’on veut tenter d’incriminer n’a jamais été cité dans cette affaire, ce qui revient à dire qu’il n’a jamais pris part à cet odieux complot dit  des « Pendus de la Pentecôte » même s’il en a justifié au nom de la collégialité du gouvernement auquel il appartenait à l’époque

Selon ledit rapport, « La responsabilité principale incombe au commanditaire de ces assassinats politiques, le chef de l’Etat, monsieur Mobutu, pour avoir, sur dénonciation intéressée d’un officier en quête de promotion, le colonel Efomi, monté un scénario macabre dans le but de faire peur aux politiciens. Machiavel n’aurait pas conseillé meilleure intrigue au Prince.

La responsabilité du feu général Bobozo, qui a coordonné la machination et l’arrestation, est également établie. Le colonel Efomi et le général Bangala sont également responsables comme exécutants du plan machiavélique. Le Tribunal militaire d’exception est responsable collectivement dans l’exécution d’un ordre illégal ».

Dans le rapport ci-dessous, on revient sur l’Affaire des « Pendus de la Pentecôte », telle que revisitée par la Commission des assassinats de la Conférence Nationale Souveraine (CNS).

La Rédaction WWW.AFRIWAVE.COM

 [DOCUMENT]

Période allant de 1965 à 1971

Contexte Général

Le 24 novembre 1965, le processus démocratique est brusquement arrêté par le coup d’Etat militaire du Haut-commandement militaire dirigé par le général Mobutu.

Bien qu’ayant promis de remettre le pouvoir aux civils après cinq ans, celui-ci entreprend d’imposer un régime dictatorial qui se perpétuera pendant trois décennies.

Les cinq premières années sont employées à jeter les bases du système autocratique, d’une République privatisée que son auteur tente de légitimer, en même temps qu’il élimine les oppositions politiques et civiles.

A. La recherche de légitimité

En vue de gommer ses origines illégales, puisque issu d’un coup de force, le régime cherche à acquérir une légitimité politique et constitutionnelle.

Au plan politique, le nationalisme étant l’idéologie la plus populaire, l’adoption des thèmes y afférents a pour but de donner une certaine assise au régime militaire. La récupération du mythe Lumumba, proclamé Héros National, les nationalisations des secteurs-clés de l’Economie : Union Minière du Haut-Katanga, eau et électricité, assurances, transports, etc… tous ces éléments entrent dans cette quête de popularité.

Toujours au plan politique, le vide créé par l’interdiction des partis traditionnels est comblé par le Mouvement Populaire de la Révolution, parti unique de fait et qui sera institutionnalisé en 1970. Le Manifeste de la N’Sele qui a servi de base idéologique au Parti unique dans ses débuts, regroupait les idées nationalistes qui ont pu séduire à un moment donné l’élite intellectuelle : la restauration de l’autorité de l’Etat et le respect des libertés démocratiques.

Fort de la caution momentanée du peuple et d’une certaine élite intellectuelle, le nouveau pouvoir va se doter d’une Constitution devant le sortir de l’illégalité.

Le vide constitutionnel fut, à son tour, comblé par l’adoption de la Constitution de 1967. Celle-ci légalisait l’autocratie pratiquée depuis le 24 novembre 1965, comme elle            allait le faire de la dictature, à travers ses multiples révisions.

Malgré la légitimité qu’il s’était acquise, le Chef de l’Eta, pour mieux asseoir son système dictatorial, va éliminer toute opposition réelle ou potentielle à son absolutisme.

B. Elimination des oppositions

L’opposition, à ce stage, est focalisée dans l’ancienne classe politique évincée du pouvoir, dans la jeunesse estudiantine et dans le mouvement ouvrier.

1.         Opposition politique

L’élimination de l’opposition politique débute dès le 24 novembre 1965 par l’interdiction des partis politiques et de toute activité du même genre.

Suit ensuite l’éloignement des leaders politiques de la Première République :

– Kasa-Vubu, ancien Président de la République, fut relégué dans son village où il mourut, faute des soins.

– Moïse Tshombe : ancien Premier ministre élu démocratiquement, s’exile. Condamné à mort par contumace, il fut enlevé et mourut mystérieusement dans sa prison algérienne le 30 juin 1969.

– De nombreux leaders s’exilèrent ou furent écartés, y compris les fidèles compagnons du groupe de Binza : Adoula, Bomboko, Nendaka, Ndele, Kamitatu, etc.

– Les pendaisons de la Pentecôte, l’assassinat de Lubaya André et de Mulele Pierre ainsi que tant d’autres anonymes ne visent qu’un même but : éliminer les leaders politiques les plus en vue, pour rester « L’homme Seul ».

2. D’autres catégories de la classe politique se sont montrées réticentes aux méthodes et pratiques de la Deuxième République naissante. Elles seront en bute contre l’autocratie toute puissance. Il s’agit de l’Eglise Catholique, des Etudiants et des Syndicats.

La contestation de la Jeunesse estudiantine a commencé, comme d’habitude, par des revendications matérielles tout au long de 1966 et 1967, pour devenir politiques, après la création du Mouvement Populaire de la Révolution et surtout au moment du voyage du Vice-Président Américain, Monsieur Hubert Humphrey, en janvier 1968. La contestation atteint son point culminant le 4 juin 1969.

Quant aux travailleurs qui avaient accueilli favorablement le Coup d’Etat du 24 novembre 1965, ils sont vite déçus par la politique de régression sociale du Pouvoir, une politique de blocage des salaires et d’atteinte au droit de grève.

Pour endiguer le mouvement ouvrier, le Gouvernement impose aux Syndicats de fusionner en organisation unique incorporée au Mouvement Populaire de la Révolution : l’Union Nationale des Travailleurs Congolais (U.N.T.C.). Désormais, le syndicat jouera le rôle de « deuxième pilier » du pouvoir, ou plutôt, de gendarme dans la classe ouvrière, cependant que ses dirigeants étaient récupérés dans l’appareil de l’Etat et du Parti, comme responsables politiques.

En 1970, l’institutionnalisation du Mouvement Populaire de la Révolution, comme parti unique et l’élection du Président au suffrage universel, marquent l’acquisition de la légitimité par le Pouvoir issu du Coup d’Etat.

C. Le Contexte International

En Afrique, comme dans le monde, le régime né du Coup d’Etat du 24 novembre 1965 jouit d’un préjugé favorable et du soutien de l’Occident.

Après la longue crise congolaise, l’Armée semble restaurer la paix et l’Etat par des mesures fortes, en même temps qu’elle rassure la haute finance internationale en garantissant l’ordre intérieur propice au développement de ses intérêts.

La neutralité positive de Mobutu dans la guerre d’indépendance en Angola, lui assure la sympathie des alliés du Portugal. Le nouveau pouvoir peut alors jouer à la diplomatie de grandeur que témoignent l’accueil du 4ème Sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine « O.U.A » en septembre 1967 et la tournée du Vice-président des Etats-Unis d’Amérique, Monsieur Hubert Humphrey, en 1968.

Jouissant ainsi du préjugé favorable en Afrique et du soutien de l’Occident, dû à son anticommunisme foncier, le général Mobutu a pu se débarrasser dans l’impunité et le silence quasi absolu des pays étrangers, de toute opposition réelle ou supposée à son absolutisme.

II. Etude des dossiers

Votre Commission en a examiné cinq considérés comme les « dossiers phares ». Il s’agit de :

1. Dossier des pendus de la Pentecôte.

2. L’assassinat de Pierre Mulele.

3. L’assassinat d’André Lubaya.

4. L’affaire Moïse Tshombe.

5. Le massacre des Etudiants de Kinshasa.

Dossier N°1 : Les Pendus de la Pentecôte

1. Les victimes :

1. Emmanuel Bamba : ancien compagnon de lutte de Simon Kimbangu. Prisonnier comme lui à Elisabethville,  ministre des Finances et de la Fonction Publique sous la première République, Sénateur.

2. Evariste Kimba : Ex- ministre des Affaires Etrangères du Gouvernement sécessionniste du Katanga. Ancien Premier Ministre désigné sous la Première  République.

3. Alexandre Mahamba : Ancien Ministre des Affaires foncières dans les Gouvernement Lumumba et Adoula.

4. Jérôme Anany : ancien Ministre de la Défense Nationale dans le Gouvernement   Adoula

2. Les plaignants : 

Pour cette rubrique, il faut entendre les différentes manières dont la Conférence Nationale Souveraine a été saisie du cas des conjurés de la Pentecôte. Il s’agit de :

1. La lettre du 29 mai 1992 et le témoignage écrit du 7 juillet 1992 du Professeur Bamba Emmanuel Kamalandwa ;

2. La lettre fort détaillée du 8 juillet des enfants Bamba Nkimbi Yavanga Marcel et Bamba di Bamba Dilungeni, Nioka-Nda Samuel sur les circonstances de la mort des 4 conjurés ;

3. La déclaration écrite du 10 mai 1992 de Madame Claude Kimba, fille du feu Evariste Kimba ;

4. La requête et le vœu écrits non datés présentés au nom de la famille Mahamba par la veuve Mahamba Monique où elle rapporte les derniers propos que lui aurait tenus son défunt époux à partir du cachot ;

5. La lettre du 08 juillet 1992 de Monsieur Anany Mandambo au président de la Commission des assassinats et violations de Droits de l’homme à charge de monsieur Efomi Efeken’Aongo et toutes les personnes ayant participé à la pendaison de Anany Jérôme, son grand-père.

Les plaignants proclament l’innocence des suppliciés et réclament :

– La révision du procès ;

– La réhabilitation des condamnés ;

– L’exhumation des restes de leurs corps pour des funérailles dignes ;

– L’indemnisation à la hauteur du préjudice subi.

3. Les faits incriminés

Le 02 juin 1966, Bamba Emmanuel, Mahamba Alexandre, Kimba Evariste et Anany Jérôme, sont pendus à la Grand’Place de Pont Cabu à Kinshasa (actuel Pont Kasa-Vubu).

Ils étaient mis à mort en exécution d’un jugement rendu par un tribunal militaire d’exception créé par ordonnance n° 66-338 du 30 mai 1966 dont le siège était composé des officier supérieurs Ingila, Malila et Nkulufa.

Il était reproché aux condamnés l’infraction d’atteinte à la Sûreté intérieure de l’Etat par le fait qu’ils auraient tenté de renverser le régime du Coup d’Etat Militaire du 24 novembre 1965 et projetaient d’assassiner le général Mobutu, le Général Mulamba et le Général Bobozo. Non convaincus de la pertinence des faits infractionnels imputés à ces dignes fils du pays et de la légalité de la procédure suivie, le peuple zaïrois et plus particulièrement les membres des familles des condamnés ont profité de l’opportunité offerte par le Conférence Nationale Souveraine pour dénoncer ces cas de violation des droits de l’homme.

L’analyse de ce dossier par votre Commission des Assassinats et Violations des Droits de l’Homme a conduit aux constatations ci-après :

4. Analyse des faits

  1. Les témoins

Votre Commission a eu à entendre :

– Le Colonel Efomi, à l’époque des faits, commandant de l’Unité côtière à Matadi et principal dénonciateur du complot.

– Le professeur Bamba Kamalandwa Emmanuel, neveu et  confident du feu Bamba Emmanuel.

– Monsieur Jean-Jacques Kande, Haut-commissaire à l’Information.

– Monsieur Nsinga Udju Joseph, alors Secrétaire d’Etat à la Justice.

– Monsieur Kamitatu Cléophas, co-accusé, jugé après pendaison des quatre, condamné à 5 ans de prison et banni à Bulambemba.

– Monsieur Bolya Paul, co-accusé et détenu au Camp Kokolo en même temps que les quatre.

– Madame Lukunga Bamba, nièce du feu Bamba, âgée de 11 ans au moment des faits.

b) La dénonciation

Comme il l’avait déclaré dans son droit de réponse devant la plénière de la Conférence Nationale Souveraine, le Colonel Efomi a confirmé à votre Commission avoir dénoncé Bamba dans un rapport adressé au Premier Ministre et au Président de la République.

c) Quant à l’initiative du complot

La version de Monsieur Efomi est en contradiction avec celle des victimes.

Selon le Colonel Efomi, c’est alors qu’il était commandant de l’Unité Côtière de Matadi qu’il fut approché  par le sénateur Bamba Emmanuel, lequel lui aurait confié son désir d’obtenir un changement dans la direction du pays et aurait sollicité l’appui logistique des jeunes officiers de confiance.

Cette version des faits, appuyée par le général Bangala est démentie par les déclarations des victimes faites au procès. Nous citons :

– Mahamba : « les hommes qui sont ici ont été entraînés et ne sont pas responsables. Pour eux et pour moi, je demande l’acquittement ».

– Bamba : « c’étaient des militaires qui avaient pris l’initiative de l’affaire… La chose était montée par eux-mêmes, c’est d’autant plus vrai qu’il nous était matériellement impossible d’agir. Nous n’avions pas d’armes » (cfr. Dossier du CRIPS CONGO 1966, pp. 431-444). Il déclare avoir été contacté par des inconnus qui le mirent en présence du colonel Efomi.

Par ailleurs, dans son témoignage à la Commission, le professeur Bamba Kamalandwa a rapporté une confidence de son oncle : « J’ai un problème très délicat qu’un certain major Efomi m’a soumis à Matadi lui-a-t-il confié. Efomi est un officier… il est venu me voir à l’hôtel Métropole à Matadi. Pour Efomi, les jeunes officiers de l’Armée n’approuvent pas le coup d’Etat décidé par le Haut-Commandement, car le pays risque de sombrer dans une dictature».

En outre, dans sa déposition devant votre Commission, le colonel Efomi a spontanément avoué s’être rappelé la promesse que le président Mobutu lui avait faite à Luluabourg, promesse de lui confier des fonctions civiles. Il s’en est survenu tout juste au moment où il lui adressait son rapport de dénonciation. En effet, plus tard, monsieur Efomi sera nommé Administrateur Général de la Sûreté et puis Ambassadeur.

L’initiative a été donc prise par les militaires comme le démontre la suite des événements.

d) L’arrestation

Après la dénonciation, le colonel Efomi, suivant toujours sa déposition devant votre Commission, est invité à Kinshasa où le président de la république le charge de reprendre contact avec Bamba, de faire semblant d’accepter son projet de coup d’Etat et de suivre l’évolution de la situation.

A cette fin, le président autorise la formation d’une équipe de jeunes officiers placés sous le commandement du général Bangala, gouverneur de la ville de Kinshasa, sous le prétexte d’apporter un appui logistique aux politiciens comploteurs. Il s’agissait des colonels Tokpui et Kwima, des majors Mwarabu et Tshikeva.

Les militaires entraînèrent les infortunés civils à des réunions, dans une maison privée à Bongolo et à N’Sele.

Mais, constatant un certain relâchement, le général Bobozo, à qui les officiers rendaient régulièrement compte, ordonne de faire diligence. C’est ainsi que le général Bangala convoqua la dernière réunion, tenue à sa résidence officielle le dimanche 29 mai 1966. Il alla jusqu’à prendre les infortunés à leurs domiciles. Madame Lukunga Bamba affirme, en effet, avoir vu le colonel Bangala dans sa voiture officielle au domicile de son oncle, dans la soirée du dimanche 29 mai 1966. Emmanuel Bamba qui se trouvait déjà en pyjama dans sa chambre à coucher, fut obligé de suivre le colonel, sur insistance de ce dernier.

Au cours de cette réunion, les politiciens furent pressés par les militaires de dresser une liste des membres du futur gouvernement. C’est en ce moment-là que des soldats de la Garde présidentielle cachés derrière un réfrigérateur surgirent pour arrêter tout le monde et le conduire au camp Kokolo, où, chose étrange, tous les militaires furent immédiatement libérés.

A ces quatre politiciens arrêtés, vinrent se joindre d’autres dont les noms avaient figuré sur la liste du gouvernement, échafaudés à la demande des officiers. Il s’agit entre autres des messieurs Kamitatu, Bolya, Delvaux, Mirhuo et Kapwasa.

e) Le jugement

Au camp Kokolo, les quatre détenus furent soumis aux tortures, comme l’ont attesté les témoins. Monsieur Jean-Jacques Kande a déclaré à votre Commission avoir été convoqué nuitamment par le général Mobutu qui lui présente les quatre hommes ligotés et en très mauvais état, suite aux tortures.

Alors que les suspects n’avaient pas encore été jugés, le Haut-Commissaire à l’Information annonçait : « Ils seront jugés par un tribunal militaire et pour haute trahison. Ils risquent la peine de mort ; ils pourraient être pendus en place publique ». Interrogé sur sa déclaration, monsieur Jean-Jacques Kande nous a répondu qu’il avait parlé au conditionnel.

Le juge-président finira par conclure : « Messieurs, nous sommes ici devant le Conseil de guerre, ce n’est pas pour discussion. Nous sommes ici, c’est pour punir quelqu’un, donc le tribunal militaire ne demande pas beaucoup de temps. Maintenant, en tant que président, nous allons à côté pour mettre les choses au point. »

Ces délibérations prirent cinq minutes et le verdict tombe sec : la peine capitale pour les 4 inculpés. Le Haut-Commandement exigea l’application immédiate de la sentence que confirme le Conseil des ministres réunit à deux reprises dans la nuit du 1er et du 2 juin. Le chef de l’Etat refusa d’accorder la grâce, malgré les nombreuses interventions en faveur des condamnés. Ces derniers furent pendus le 2 juin, devant une foule évaluée à 300.000 personnes.

5. Avis et considérations

  1. Point de vue juridique

Les pouvoirs spéciaux dont s’était arrogé le président de la République au lendemain du coup d’Etat militaire en vertu de l’ordonnance-loi n° 7 du 30 novembre 1965, avaient cessé d’exister à la publication de celle n° 66/92 bis du 7 mars 1966 qui lui conférait le pouvoir législatif.

Cependant, cette dernière prérogative n’avait pas supprimé systématiquement les textes légaux tels que les Codes pénal et de procédure pénale, d’application devant les juridictions de droit commun et ceux applicables devant les juridictions militaires ordinaires. Même en laissant au Tribunal militaire d’exception le soin de régler lui-même sa procédure, on s’aperçoit rapidement que les magistrats qui avaient composé le siège, avaient recouru à ces textes légaux.

Par conséquent, en optant pour la procédure pénale ordinaire comme le prouvent les références reprises au jugement, les juges avaient l’obligation de se conformer scrupuleusement aux normes de cette procédure ; il en est de même des dispositions du titre VIII du Livre II du code pénal telles que modifiées par l’ordonnance-loi n° 299  du 16 décembre 1963, auxquelles dispositions a renvoyé l’ordonnance-loi sus évoquées.

Mais, que s’est-il passé dans le cas d’espèce ?

Sur le plan de la procédure

Les conjurés n’avaient pas été cités à comparaître dans le délai légal de 8 jours francs ou tout au moins à bref délai sur base de l’ordonnance du juge et cela, au moment où la procédure de flagrance n’était pas encore instituée dans le système judiciaire zaïrois.

Dans la composition du siège, il n’y avait ni ministère public, ni greffier, le rôle de ceux-ci avait été rempli illégalement par chacun des assesseurs !

Le bénéfice du double degré de juridiction, consacré par la Constitution aux personnes condamnées, avait été retiré par l’ordonnance-loi ayant institué le tribunal militaire d’exception.

Le mode d’exécution des condamnés à mort tel que prévu en droit commun, n’avait pas été respecté.

Enfin, il avait été refusé aux condamnés d’introduire un recours en grâce, une autre violation des droits.

Quant au fond

De l’analyse qui précède, des sérieuses présomptions permettent d’attribuer aux autorités militaires, notamment le colonel Efomi, le général Bangala ainsi que leur commanditaire, la paternité de l’assassinat de Bamba et consorts.

En effet, les 4 conjurés ne disposaient d’aucune arme ni d’aucun appui extérieur ; dans ces conditions, eux comme n’importe qui n’aurait songé à réaliser un coup d’Etat. C’est pourquoi, votre commission s’est finalement ralliée à l’hypothèse d’un scénario dont l’objectif aurait été de faire tomber la tête de quelques opposants pour inspirer la peur et faire asseoir la dictature ; tous les militaires qui étaient mêlés dans cette entreprise étaient conscients de ce qu’ils ne sauront jamais passer sincèrement aux actes, ils auraient tout simplement exploité la naïveté de Bamba et de ses amis.

A supposer même que les conjurés aient avoué les faits, on doit retenir que l’aveu, considéré autrefois comme la reine des preuves, se trouve réduit aujourd’hui à un simple commencement de certitude car si aucun élément matériel ne vient le conforter, les juges doivent ne pas en tenir compte et l’écarter des débats.

Tous les militaires qui étaient surpris ensemble avec les politiciens civils n’avaient absolument pas été inquiétés, pas même Efomi et Bangala.

De tout ce qui précède, votre Commission estime que le prétendu complot n’avait été en réalité qu’une provocation, une tentative impossible et partante non punissable.

Même si par impossible les faits pouvaient tomber sous le coup de la loi, c’est l’article 194 du Code pénal, livre II tel que modifié qui aurait dû s’appliquer, dispositions pénales qui ne prévoient pas la peine de mort.

En prononçant cette dernière là où il ne fallait pas, les juges avaient fait une mauvaise application de la loi pénale qui est d’application restrictive car il n’y a pas de peine sans texte (nulla poena sine lege).

Nous sommes donc devant un cas d’assassinat politique où le but est d’effrayer la classe politique. Dans le « face à face » avec la presse, le 1/7/66, le président Mobutu dit : « le respect dû au chef, c’est quelque chose de sacré, et il fallait frapper pour exemple. Il fallait couper court à cela pour que les gens ne puissent plus recommencer ». (CR ISP.1966, p. 442)

Certaines personnes, notamment les familles des victimes ont soupçonné monsieur Kamitatu d’avoir trahi ses amis avec lesquels ils seraient réunis.

Le général Bangala a affirmé, devant votre Commission, que monsieur Kamitatu ne prenait pas part aux réunions.

Monsieur Bolya, arrêté aussi à l’époque, a déclaré avoir appris que monsieur Kamitatu se rendait à la dernière réunion du 29 mai 1966 lorsqu’un militaire lui signala en dialecte qu’il courait un piège.

Interrogé à ce sujet par votre Commission, monsieur Kamitatu nie avoir assisté à une seule de ces réunions. Il reconnaît qu’à l’occasion d’un entretien avec Kimba Evariste sur la politique générale, son interlocuteur l’aurait informé qu’un groupe de jeunes officiers voulaient renverser le régime Mobutu pour restituer le pouvoir aux civils. Il aurait conseillé à Kimba de se méfier des militaires et des blancs, surtout des belges.

Si donc, il a été impliqué, c’est uniquement parce que son nom figurait sur la liste que les suppliciés avaient confectionnés, à la demande des militaires.

6. Les responsabilités

La responsabilité principale incombe au commanditaire de ces assassinats politiques, le chef de l’Etat, monsieur Mobutu, pour avoir, sur dénonciation intéressée d’un officier en quête de promotion, le colonel Efomi, monté un scénario macabre dans le but de faire peur aux politiciens. Machiavel n’aurait pas conseillé meilleure intrigue au Prince.

La responsabilité du feu général Bobozo, qui a coordonné la machination et l’arrestation, est également établie.

Le colonel Efomi et le général Bangala sont également responsables comme exécutants du plan machiavélique.

Le Tribunal militaire d’exception est responsable collectivement dans l’exécution d’un ordre illégal.

7.  Recommandations

– Considérant que les enquêtes décidées par la Conférence nationale souveraine et confiée à la Commission des Assassinats et Violations des Droits de l’Homme ont abouti à établir que les faits qui étaient reprochés aux conjurés de la pentecôte ne reposent sur aucun fondement;

– Que c’est à tort que les intéressés avaient été condamnés à mort et exécutés pour des motifs qui, même s’ils étaient valables, n’auraient entraîné que des peines d’emprisonnement à temps à charge de leurs auteurs ;

– Considérant que devant l’absence de motif de la condamnation à mort des précités, on est en droit de croire que leur mort ainsi que le procès qui les y avaient conduits n’avaient été que des moyens savamment conçus pour intimider les opposants et faire asseoir le régime ;

– Considérant que pareille entreprise est constitutive du génocide, soit d’actes accomplis avec l’intention de détruire une classe d’individus et partant punissable par la loi ;

– Considérant que les corps des conjurés, importants hommes politiques avaient été inhumés sans aucune considération digne d’eux et à l’insu de leurs familles ;

– Considérant que la perte des intéressés a causé de graves préjudices tant pour la société zaïroise que pour les membres de leurs familles respectives, qu’il y a lieu à réparation :

            Votre Commission recommande à la Conférence Nationale Souveraine :

1) que le procès des « conjurés de la Pentecôte » soit révisé par une juridiction compétente pour vice de procédure et absence de motivation ;

2) que les auteurs et complices de la mort de Bamba Emmanuel, Kimba Evariste, Mahamba Alexandre et Anany Jérôme, soient traduits en justice ;

3) que les auteurs et complices soient interdits d’accéder aux fonctions politiques pendant au moins deux législatures ;

4) que les restes des corps des conjurés soient exhumés pour être inhumés avec honneur et dignité et cela à charge du pouvoir ;

5) qu’un monument soit érigé à leur mémoire en guise de leur réhabilitation ;

6) que l’appellation « les conjurés de Pentecôte » soit désormais remplacée par celle de « Martyrs de Pentecôte » ;

7) que l’appellation du stade Kamanyola, lieu de leur pendaison, soit désormais remplacée par celle des « Martyrs de Pentecôte ».

8) que les biens meubles et immeubles des intéressés qui auraient été arrachés illégalement soient restitués en nature ou en espèces aux membres de leurs familles respectives ;

9) qu’une juste et équitable indemnisation soit allouée aux membres de la famille de chacun de ces martyrs.

Thaddée Luaba Wa Ba Mabungi et Roger DIKU

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