C’est une photo qui marquera l’histoire, celle d’un Jean De Dieu Nguz a Karl-i-Bond méconnaissable. Devenu presque squelettique assis à côté du sénateur pro-Kabila Modeste Mutinga Mutuishayi. Avec l’éditeur-propriétaire du Journal Le Potentiel paraissant à Kinshasa, Nguz livre ce qui se son grand dernier entretien de presse depuis l’Afrique du Sud où il se trouve en convalescence après une attaque cardiaque qui avait failli l’emporter à Kinshasa. Dans cet ultime entretien paru dans l’édition du 09 novembre 2002, l’ancien homme politique Nguz ne semble endosser rien même s’il demande pardon aux congolais pour certains faits lui reprochaient. Face au démon du tribalisme qui semble gangrener le pays jusqu’aujourdhui, Jean de Dieu Nguz plaide pour un esprit de réconciliation. Il mourra finalement le 27 juillet 2003 alors que le pays se rengageait sur la voie de la démocratisation et du retour de la paix après le dialogue inter congolais de Sun City en Afrique du Sud même.
La Rédaction
Nguz Karl-I-Bond « Je salue le courage et les convictions politiques d’Etienne Tshisekedi »
Nguz Karl-i-Bond continue sa longue convalescence. Victime d’une hémorragie cérébrale aggravée par l’infarctus du myocarde, l’ancien Premier ministre de Mobutu, tombé dans un coma profond à Kinshasa, a été accepté le 25 mai 1994 à l’Hôpital Militaire des grands blessés en Afrique du Sud. Pendant trois mois, l’ancien président national de l’Uferi (l’Union des Fédéralistes et Républicains Indépendants, son parti politique ; NDLR) avait perdu toutes ses facultés motrices : la mémoire, la parole. Une paralysie générale l’avait rendu totalement dépendant.
Il a fallu 18 mois de réapprentissage de la parole et de la marche. Nguz Karl-I-Bond que nous avons rencontré dans son appartement luxueux de la «Résidence Rocklands» du quartier Sea Point à Cape Town remercie le Seigneur de «lui avoir retourné sa mémoire». Même s’il a perdu son débit habituel et qu’il lui faut quelques instants pour construire son discours, Karl-i-Bond qui «se dit venir de loin», a sensiblement récupéré ses réflexes d’homme politique.
Le Potentiel : Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, ambassadeur, président national (de l’Uferi) … autant de fonctions que vous avez exercées. Quel est le poste qui vous a le plus marqué et auquel vous vous identifiez aujourd’hui?
Nguz Karl-I-Bond : J’ai occupé toutes les fonctions sauf celle de Président de la République. Et même si je l’étais devenu, le ministère des Affaires étrangères reste l’une des fonctions les plus prestigieuses d’une carrière politique. « J’aime toujours me présenter comme ministre des Affaires étrangères honoraire ».
Le Potentiel : Quel est aujourd’hui votre bilan de santé?
Nguz Karl-I-Bond : Mon cher frère, je vous remercie d’être venu me rendre visite. II y a trois ans, je ne pouvais pas vous reconnaître, j’avais perdu la mémoire, la parole. Je n’entendais rien. Je me suis retrouvé dans un hôpital en Afrique du Sud. On me dira que j’y étais déjà depuis plusieurs mois sans que je sois capable de me rappeler ce qui s’était passé. Aujourd’hui que j’ai retrouvé toutes mes facultés, je dois louer le Seigneur qui m’a retourné ma mémoire et remercier les médecins sud-africains qui m’ont ramené à la vie.
Le Potentiel : Une certaine opinion congolaise soutient que vous avez été empoisonné par Mobutu.
Nguz Karl-I-Bond : Non …, Non … Sinon Mobutu aurait pu tuer tous ceux qui le contredisaient. Les médecins estiment que je m’étais laissé aller dans une intense activité politique sans répit pendant plusieurs années. La période de la Conférence nationale et de la transition ont été très difficiles à gérer. J’en ai reçu des contrecoups.
Le Potentiel : On vous attribue la responsabilité du massacre des chrétiens le 16 février 1992 à Kinshasa. Avant cette répression, vous aviez suspendu «avec force» les travaux de la Conférence Nationale Souveraine.
Nguz Karl-I-Bond : Vous savez que j’appartenais à une famille politique. Je n’étais pas commandant suprême des Forces armées congolaises. J’étais chef de gouvernement mais les forces de sécurité et de l’ordre dépendaient du Président de la République.
Le Potentiel : Vous avez néanmoins initié l’épuration ethnique au Katanga. Les statistiques concordantes indiquent plus ou moins 550.000 morts.
Nguz Karl-I-Bond : Pendant ma carrière politique, j’ai certes commis des fautes. L’épuration des Kasaïens du Katanga n’a pas été mon œuvre personnelle. Le Président Mobutu et Kyungu Wa Kumwanza portent des lourdes responsabilités sur cette question. J’ai néanmoins appris avec grande satisfaction que Kyungu a été chassé de l’Uferi. Mais Lukonzola qui dirige actuellement notre parti ne peut prétendre aujourd’hui être le seul dirigeant de celle grande formation politique. Il a l’obligation d’associer le Dr Muketa à la gestion politique du Parti.
Le Potentiel : Vous n’êtes donc pas concerné par l’épuration ethnique des Kasaïens au Katanga.
NGUZ Karl-I-Bond : J’ai longuement abordé cette question avec des grands chefs coutumiers du Kasaï en vue d’une réconciliation avec leurs frères du Katanga. Avec le grand chef Kalamba (le père), nous avions, avant ma maladie, convenu d’organiser officiellement cette cérémonie autour du feu conformément à nos coutumes. Je me rappelle qu’il m’avait demandé de situer mon village qui est à moins de 10 km de Luiza au Kasaï Occidental. Nous avons le même sang et nos peuples frontaliers parlent la même langue. Emery Kalamba, successeur du grand chef, a fait la même démarche. Il est venu me rendre visite ici en Afrique du Sud. Tout doit être mis en œuvre pour réaliser cette réconciliation avant les grandes échéances politiques. L’analyse de toutes les péripéties de cette macabre épuration démontre qu’il s’agissait d’une stratégie qui consistait à éviter, pour des raisons électoralistes, le rapprochement entre les Baluba du Kasaï et du Katanga qui ont pourtant les mêmes origines. Ce que je dis vient du fond de mon cœur. C’est une vérité: le jour où les Katangais et les Kasaïens se mettront ensemble pour les mêmes objectifs politiques et économiques, le pays se relèvera. Je demande 5 fois pardon aux familles des victimes, à mes frères du Kasaï et à tout le peuple congolais pour ce qui est arrivé au Katanga. Nous devons bannir les démons de la haine pour une vraie réconciliation.
Le Potentiel : Depuis votre hospitalisation, Mobutu a été chassé, Laurent Kabila qui l’avait succédé a été assassiné, Joseph Kabila est aujourd’hui au pouvoir, le pays est envahi par des armées étrangères et divisé par la rébellion. Qu’en pensez-vous?
Nguz Karl-I-Bond : Je suis très triste de voir mon pays en décomposition avancée. Le Congo a été un grand pays. Rien ne se décidait sur le continent africain sans que nous soyons consultés. Sur le plan international, le Congo était la voie obligée pour les grandes puissances avant d’entreprendre toute action militaire en Afrique subsaharienne. Il semble que le pays n’a plus de politique étrangère. Tous ceux qui parlent au nom de la RDC sont des illustres inconnus. En diplomatie, cela compte beaucoup.
Le Potentiel : Que faut-il faire?
Nguz Karl-I-Bond : Les Congolais doivent d’abord se réconcilier et travailler ensemble dans un gouvernement d’union nationale pour donner la paix et à manger au peuple congolais qui a trop souffert. Ils doivent surtout s’engager sur la voie de la démocratie, afin d’éviter la légitimité issue des armes.
Le Potentiel : Quel est votre projet politique?
Nguz Karl-I-Bond : Les médecins m’ont demandé de tourner définitivement le dos à la politique. Aujourd’hui, je suis condamné, sur leur prescription, d’accomplir quatre actions chaque jour: prendre les médicaments, manger, prendre l’air plein d’oxygène qui vient de la mer et dormir.
Le Potentiel : Le mot de la fin?
Nguz Karl-I-Bond : Je salue le courage et les convictions politiques d’Etienne Tshisekedi. Il a été de tous les combats. Je salue également l’attachement de Maman Marthe, son épouse. Ils devraient, eux aussi, faire attention à leur santé. Je pense que les personnalités comme Tshisekedi ou Kengo, si elles ont encore un peu d’énergie, peuvent contribuer à l’amélioration de l’image du Congo.
Propos recueillis par Modeste Mutinga
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