RDC : L’Héritage Etienne Tshisekedi, 38 Ans Après [CHRONIQUE]

Prof. Adolphe Voto

15 février 1982 – 15 février 2020. Voilà 38 ans jour pour jour que treize parlementaires zaïrois ont adressé une lettre restée historique au Président Mobutu, réclamant le multipartisme. Cette date marque ainsi la création du premier parti de l’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social. L’évènement a été commémoré à Kinshasa avec un grand meeting au stade de Martyrs, une année après l’accession de ce parti à la gestion du pays. Bien que n’étant pas de l’Udps, nous revenons, par patriotisme et honnêteté intellectuelle, sur l’héritage du sphinx de Limete. Après tout, nous avons tous, de loin ou de près, un brin de quelque chose de Tshisekedi.

Nous pouvons subdiviser l’héritage d’Etienne Tshisekedi en trois catégories : l’héritage idéologique, l’héritage politique et l’héritage familial.

L’HERITAGE IDEOLOGIQUE

L’héritage idéologique de Tshisekedi va au-delà de la politique. C’est à ce niveau que Tshisekedi aura influencé presque tous ses compatriotes contemporains, d’une manière ou d’une autre, qu’ils aient partagé sa vision ou pas. Cet héritage idéologique se résume en trois concepts : La résistance, l’Etat de droit et le peuple d’abord.

Tshisekedi aura réussi ainsi, mieux que quiconque, à résumer sa pensée politique en quelques mots, mais bien plus en symboliques. C’est surtout cela qui a fait sa force en termes de communication politique. En résumé, on peut affirmer que son objectif était l’Etat de droit, ses moyens le peuple d’abord, sa stratégie la résistance.

L’OBJECTIF : ETAT DE DROIT

C’est cet objectif qui est à la base de la lettre des treize parlementaires qui symbolise la création de l’Udps le 15 février 1982. Le parti s’est donné pour objectif la création au Zaïre d’un Etat de droit face à la dictature de Mobutu. Ce mot restera un refrain dans la bouche d’Etienne Tshisekedi et Félix Tshisekedi en fait aujourd’hui son héritage privilégié au point qu’il ne peut prononcer un discours ou accorder une interview sans évoquer l’Etat de droit.

C’est cette lutte pour un Etat de droit et la démocratie qui ont amené certains à désigner à tort Etienne Tshisekedi comme « le Père de la démocratie congolaise », alors qu’historiquement, le Congo indépendant a été déjà démocratique avant que Mobutu instaure la dictature. Le Président Kasa Vubu et le Premier Ministre Lumumba ont été démocratiquement élus à l’issue d’un vote pluraliste. C’est en souvenir de ce système démocratique obstrué par Mobutu que Laurent-Désiré Kabila va rebaptiser le pays « République Démocratique du Congo », même s’il était loin d’être démocrate lui-même.

LES MOYENS : LE PEUPLE D’ABORD

Son parti s’appelle Udps : Union pour la Démocratie et le Progrès Social. Or qui dit démocratie, dit peuple. Face à la machine à broyer du tout puissant Mobutu, Tshisekedi s’appuie sur un allié aussi puissant : le peuple. Ce peuple qu’il peut mobiliser et envoyer dans la rue même sans bouger de chez lui. Tshisekedi ne parlait pas beaucoup, mais il avait un tel charisme au point qu’il suffisait qu’il prononce un bout de phrase pour que le mot d’ordre soit suivi.

Que ce soit pour démonétiser un billet de banque ou ne pas aller aux urnes, il n’avait pas besoin de tenir des grands discours. Pour Tshisekedi, tout se résume au « peuple » : il travaille pour le peuple, son gouvernement, c’est le gouvernement du peuple. Le mot peuple était omniprésent dans sa bouche au point qu’il l’employait parfois à tort, sans s’en rendre compte : A la question de savoir quel était son programme en tant que Premier Ministre : il répondit : « C’est le programme du peuple ».

LA STRATEGIE : LA RESISTANCE

A l’instar des grands opposants comme Gandhi et Mandela, Etienne Tshisekedi avait choisi la résistance pacifique comme stratégie de lutte. Il a ainsi développé des méthodes de résistance comme la marche et les villes mortes. Face à l’armée de Mobutu et aux méthodes autoritaires des Kabila père et fils, Tshisekedi a choisi la contestation comme mode d’expression et il disait non à tout, même parfois sans se donner le temps d’examiner la question. Jeune Afrique le qualifia de « Monsieur Non ! » à cause de son intransigeance. Il paraissait si imperturbable au point que la presse congolaise lui colla le surnom du « Sphinx de Limete ».

LA SYMBOLIQUE : LES DEUX DOIGTS DE VICTOIRE ET LE MUNYERE

E. Tshisekedi aura été un grand communicateur politique même s’il était peu bavard. Si Lumumba, Mobutu et Laurent-Désiré Kabila étaient des grands tribuns, Tshisekedi qui n’était pas du tout un grand orateur, a réussi tout de même à résumer sa pensée politique en quelques mots comme « le peuple d’abord ». Surtout il a réussi à trouver des symboles forts comme l’index et le majeur levé qui indiquent le « V » de la victoire, mais aussi le béret Munyere qu’il a adopté et qui incarne symboliquement la résistance.

Il faut dire que l’héritage idéologique de Tshisekedi va au-delà de l’Udps et au-delà même de la sphère politique. Tshisekedi a communiqué aux congolais l’esprit de revendication de ses droits, de la résistance face à l’injustice et la dictature.

L’HERITAGE POLITIQUE

E. Tshisekedi a incarné toute une école en politique. Il a réussi non seulement à supplanter tous ses compagnons de lutte avec qui il a fondé le parti, mais il était devenu un modèle pour plusieurs jeunes qui se sont lancés par la suite en politique. Nous subdivisons cette école en quatre classes :

  • Les treize parlementaires

Alors qu’ils ont ensemble formé le parti, Tshisekedi finira par personnifier et personnaliser ce parti et en devenir le leader principal. Certains co-fondateurs se sont inclinés devant ce leadership naturel, d’autres comme Kibassa lui ont résisté et ont créé des ailes du parti, mais qui ne peuvent pas concurrencer l’Udps d’Etienne Tshisekedi.

  • Les enfants légitimes

L’Udps a séduit plusieurs jeunes de l’époque qui se sont lancés en politique dans les années 80. Plusieurs cadres ont adhéré à ce parti et y ont fait carrière. Certains sont restés fidèles jusqu’à la mort d’Etienne Tshisekedi. On peut citer notamment Me Mukendi, Massamba, Tshibala, Badibanga, Mubake, Loseke, Moleka, etc. Pour démontrer du droit légitime qu’ils ont de l’héritage Udps, Tshibala et Mubake revendiquent le patronyme Udps, sans que Félix Tshisekedi n’ait le courage de leur en contester la légitimité.

  • Les enfants « égarés »

Ce sont ceux qui sont nés dans la maison Udps et ont quitté le parti pour évoluer ailleurs. Ils ont toujours gardé l’esprit Tshisekedi partout où ils sont allés. Font partie de cette classe des personnalités comme François Mwamba, Eve Bazaiba, Emmanuel Shadary, etc. Ces personnalités ont été forgés dans la moule de l’Udps et abondamment influencés par Tshisekedi au point que cela transparait sur leur comportement, quel que soit le courant politique où elles évoluent aujourd’hui.

  • Les enfants illégitimes

Ce sont des personnalités qui ont été séduits par Tshisekedi mais qui ont résisté à la tentation d’adhérer à l’Udps. Ils ont formé leurs partis politiques, question de garder leur liberté d’action mais ils sont parfois plus Tshisekedistes que les fils légitimes. De ce lot il y a par exemple l’enfant terrible de l’opposition Olenghankoy, Franck Diongo, Jean Claude Mvuemba (du coutant MPR de Mobutu dont il se revendique jusqu’aujourd’hui malgré son appartenance à l’opposition NDLR), Martin Fayulu, Lisanga Bonganga, etc.

Ils ont pour la plupart adopté le béret Munyere et les deux doigts en l’air comme signe extérieur de leur appartenance idéologique.

Toutes ces personnalités qui ont été à l’école de Tshisekedi ont tous quelque chose en commun. On peut facilement remarquer que le gène qui agite Kabund ou Kabuya est pratiquement le même qui anime Shadary -Coup sur coup-.

Même la témérité de Ève Bazaiba, elle la tient un peu de cette école. E. Tshisekedi aura sensiblement marqué la classe politique congolaise pendant et après son époque, de sorte que si on retirait de la classe politique congolaise tous ces tshisekedistes, le Congo sentirait un vide réel.

L’HERITAGE FAMILIAL

A l’instar d’autres résistants comme Laurent-Désiré Kabila ou Antoine Gizenga, on peut dire que Tshisekedi n’a pas travaillé en vain, même s’il n’a pas accédé à « l’impérium ». Laurent Désiré-Kabila a lutté toute sa vie et n’est resté au pouvoir que pendant quatre ans pour que son fils Joseph Kabila en jouisse réellement.

De même, Antoine Gizenga a résisté pendant toutes ces années pour être Premier Ministre pendant quelques mois seulement, avant de laisser sa place à son « neveu » Adolphe Muzito. E. Tshisekedi aura lutté pendant toutes ces années pour permettre à son fils d’accéder au pouvoir. Les retombées pour la famille qui a payé aussi le prix de la lutte est de taille. Parents, frères et fils de Félix Tshisekedi sont aujourd’hui logés à la belle enseigne.

LE PARADOXE PERE ET FILS

Mais le temps a démontré que les héritiers biologiques se sont toujours éloignés de l’idéal politique de leurs pères au point d’être traités de traîtres par les fidèles des fidèles. Joseph Kabila s’est de plus en plus éloigné des compagnons de lutte de Mzée et de l’esprit nationaliste au point d’être considéré comme ayant été plus au service du Rwanda. Adolphe Muzito a quitté le Palu qui lui a donné des opportunités et le parti d’Antoine Gizenga n’est que l’ombre de lui-même aujourd’hui.

Félix va-t-il incarner l’héritage idéologique d’Etienne Tshisekedi ? Son alliance avec Joseph Kabila et son rapprochement avec le Rwanda, des nouveaux alliés de l’Udps avec qui E. Tshisekedi n’a jamais été tendre inquiète plusieurs, notamment les autres héritiers.

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