Le vendredi 14 février courant nous avons lu sur le site politico.cd l’annonce par le ministère du Portefeuille de la R.D. Congo de la signature d’un contrat de 30 millions pour la constitution d’une joint-venture entre la MIBA et la firme roumaine A&M Developments International, laquelle serait spécialisée dans la construction et l’exploitation minière. Ce contrat prévoit d’octroyer 49% des parts à la MIBA et 51% à A&M International.
Le dimanche 16 février Radio Okapi publie un article qui parle cette fois d’un contrat de 200 millions USD pour relancer les activités de la MIBA. Sur ces 200 millions un chèque de 30 millions USD non remboursables aurait été remis à la MIBA, et ce montant serait destiné à apurer les dettes des cotisations à la Caisse nationale de sécurité sociale (INSS) des agents et cadres mis en retraite depuis 2012. Les arriérés de salaires des agents et travailleurs en exercice seront apurés, sans oublier la régularisation avec la firme canadienne Saint-Louis BGM Sarl qui avait déboursé depuis le mois d’octobre dernier des fonds pour la relance des activités minières (sic).
La firme roumaine devrait dans un bref délai débourser 180 millions USD pour permettre à la MIBA de renouveler l’outil de production et d’améliorer la desserte en énergie électrique au niveau de la centrale hydro-électrique de Tshiala. Cet accord autorise la firme roumaine d’exploiter le diamant sur le massif 1 dans le polygone minier de Mbujimayi, mais aussi de mener des études pour la certification de deux massifs de la MIBA à Bena Kabimba.
A en croire par les différentes déclarations, cette annonce a soulevé un enthousiasme mesuré dans la communauté congolaise en général, et particulièrement dans celle originaire de la région dite du Grand Kasaï.
L’histoire récente de cette société minière (MIBA, NDLR) est ponctuée « d’injections » d’argent à coups de déclarations sensationnelles qui ont fait rêver ses travailleurs, mais dont le résultat a surtout été l’alourdissement de son endettement sans qu’il y ait un véritable souffle nouveau pour relancer la production à un niveau acceptable.
Citons sans exhaustivité les cas du contrat EMAXON (contrat de prêt de 15 millions USD en avril 2003), les prêts de l’Etat congolais dont les dix millions de 2011-2012, le prêt de 5 millions USD de la Gécamines en 2018, et l’arrivée providentielle de Saint-Louis BGM (2019) avec sa promesse d’injecter « 22 milliards » USD dans divers projets au Kasaï.
Toute personne soucieuse de voir la MIBA redécoller ne peut que se réjouir à l’idée d’un investissement aussi important que celui de 200 millions annoncé récemment pour cette société par le ministère du Portefeuille. Le public échaudé par les échecs précédents doit cependant rester attentif aux détails de ce contrat afin de d’assurer qu’il soit réaliste, et qu’il aille vraiment dans le sens de la relance de la société pour l’intérêt des travailleurs et de la population. En effet, les grandes villes du Kasaï comme Mbujimayi et Kananga sont aujourd’hui dans un état tel qu’il ne faut plus se permettre de faire des approximations.
Nous nous sommes livrés à une analyse qui nous a amené à pointer quelques éléments, parmi d’autres, que nous listons dans la suite pour attirer l’attention :
- 1. La cession du Massif 1 du Polygone minier : les ressources diamantifères de la MIBA qui ont été explorées jusqu’en 2017 étaient évaluées aux environs de 120 millions de carats, y compris celles sur les rivières Mbujimayi et Sankuru (travail du CA MIBA sur la continuité de la Société). Parmi ces ressources, le Massif 1 représente près de la moitié et, en tous les cas, plus de 70% des ressources du Polygone. Le reste est constitué de petits massifs et de gisements détritiques fortement écrémés par les clandestins de toutes sortes, et dont on a du mal à obtenir la valeur résiduelle à date. Pour mémoire, on se rappellera la session de Tshibwa, le plus gros massif kimberlitique qui appartenait à la MIBA, aux zimbabwéens sans l’avis de la MIBA en 2000 et dont le contenu était évalué alors jusqu’aux environs de 200 millions de carats. Céder le Massif 1 aujourd’hui n’équivaut-il pas à vider le Polygone de Mbujimayi de sa substance et à liquider par le même fait la MIBA ? En effet, ce massif est rocheux et son contenu a été préservé car demandant des moyens industriels de production. Les autres gisements, notamment détritiques (collines et terrasses, lits des rivières), ont tellement fait et continuent à faire le bonheur des creuseurs et des pilleurs que leur exploitation industrielle future pose de vraies questions.
- 2. Sur la répartition des parts, soit 49% à la MIBA et 51% à A&M : ce type de partenariat a un air de déjà vu et a été fortement décrié ces dernières années, notamment lors de la démarche de revisitation menée par le ministère des Mines de la RDC en 2007. Une des motivations de la révision du code minier de 2002 en 2017-2018 était d’ailleurs le constat des contrats dits léonins par le législateur, et la nécessité de faire un apport minimum en capital par les partenaires au regard des ressources convoitées. En ce qui concerne la MIBA la commission de revisitation de 2007 a pointé plusieurs partenariats parmi lesquels nous pouvons citer : MIBA/DE BEERS (49% contre 51%), MIBA/DGI (49/51), MIBA/ELEMENTAL MINERALS (40/60), etc. A l’époque de cette revisitation la Commission avait déploré le fait que les parts sociales des entités créées étaient attribuées de « manière arbitraire » sans évaluer l’apport de chaque partie. Aujourd’hui, avec des ressources estimées à plus ou moins 60 millions de carats jusqu’à une profondeur d’environ 200m (il reste à explorer en dessous de 200m pour augmenter ces ressources), le Massif 1 devrait avoir une valeur marchande de plus ou moins 1 milliard de dollars au prix moyen du carat vendu ces dernières années (notamment les ventes (2015 à 2017). Cette valeur est conservative (minimaliste) car le prix moyen retenu comporte un niveau élevé de « pertes » organisées et la récupération en partie à partir d’anciens rejets plus ou moins appauvris. Les montants annoncés par le nouvel accord avec A&M représentent donc tout au plus 20% de la valeur actuelle du gisement, comment alors justifier cette répartition des parts et à quoi aura servi la revisitation de 2007 ?
- 3. Sur le montant des investissements : il est assez surprenant que l’on avance un montant de 180 ou 200 millions d’investissement avant de faire ce qu’on appelle la certification des gisements. Il faut savoir que l’Etat congolais a déjà injecté dans la certification du Massif 1 de la Miba un montant de plusieurs millions USD mais les résultats se font encore attendre. En réalité ce massif a été assez bien étudié en son temps par la MIBA elle-même. Il est surtout important aujourd’hui de vérifier et mettre à jour certaines données avant d’évoluer vers une étude de faisabilité technico-économique. Sans ce type d’étude on va vers un certain aventurisme pour la valorisation de cette ressource.
- 4. Sur le contrôle de la nouvelle société à créer : la répartition des parts entraînera un contrôle de la nouvelle entité par A&M, la MIBA devant se contenter de dividendes à concurrence de 49%. Or, les JV du secteur minier congolais ont tendance à ne pas déclarer de bénéfices pendant plusieurs années par un jeu d’amortissement des fonds investis et des coûts opératoires. Il y a fort à craindre que le seul bénéfice financier de la MIBA avant longtemps se résume dans les 30 millions qui seraient « un pas de porte » ; si cet argent est utilisé pour payer des arriérés (de manière insuffisante car la dette sociale dépasse les 200 millions USD aujourd’hui) le reste de la MIBA risque de n’être plus livré qu’à lui-même. On peut se demander si le personnel est suffisamment informé de ce risque et si des négociations ont été menées avec les représentants du personnel pour restructurer la dette sociale.
- 5. Sur l’identification de la Société A&M Developments International : elle est présentée dans les médias comme spécialisée dans la construction et l’exploitation minière ; une recherche sur Internet de « AM Développements International » renvoie uniquement à des articles publiés sur la MIBA. Une page Facebook fait allusion à un investissement dans l’agriculture en R.D. Congo. Une recherche en anglais montre une société roumaine nommée « A&M INTERNATIONAL DEVELOPMENT & INVESTMENT SRL », mais elle n’apparaît que sur un site de type « base de données » d’entreprises roumaines. Elle est domiciliée sur « ntr. Voronet 21 B, Bucarest – Roumanie et les résultats financiers annoncés en 2018 ne sont guère glorieux (le chiffre d’affaire est de 258 € et le résultat net est de 361€ ». Nous n’avons trouvé aucune référence minière pour cette entreprise et nos recherches sur la toile n’ont jusqu’à présent pas abouti à des résultats rassurants. La question à se poser est de savoir quelle procédure a été appliquée pour choisir cette entreprise comme partenaire, et si une procédure d’appel d’offre avec cahier des charges a été lancée par la MIBA dans le cadre du respect des marchés publics tels que réglés pas la loi en R.D. Congo.
Pour conclure, ce document n’est pas rédigé dans le but de refroidir de nouvelles initiatives pour la relance la MIBA que je souhaite comme beaucoup, mais surtout pour attirer l’attention du public sur les risques qui peuvent découler d’une démarche qui n’a pas été bien encadrée. La MIBA a été soumise à plusieurs initiatives dans un passé récent, mais force est de constater que le vrai décollage n’a jamais eu lieu et l’endettement augmente de plus en plus rapidement et pousse chaque jour d’avantage vers le précipice.
Nous espérons de tout cœur que les responsables de la Société et du pays seront attentifs aux différentes questions que nous avons soulevées, et qu’ils sont en mesure d’y répondre de manière appropriée afin de rassurer la population du Grand Kasaï et de la R.D. Congo.
Prof. J-P. Tshibangu Katshidikaya
Expert en Génie Minier, PCA MIBA 2014 – 2017. 21 Février 2020