Malgré la cohabitation « forcée » entre le Front Commun pour le Congo (FCC) de Kabila et Cap pour le Changement (CACH) de Tshisekedi aujourd’hui en difficulté avec « l’affaire Kamerhe » ; la gestion partagée de l’Etat se révèle compliquée et plus que fragile. La méfiance entre les deux partenaires étant exacerbée par les lieutenants de tous bords, chaque camp voulant prendre le dessus sur l’autre.
Après la rencontre de « recadrage » de deux présidents du Parlement et du Sénat en sa résidence de la N’Sele par le président de la République Félix Tshisekedi en date du 14 avril 2020, des commentaires divers et des indiscrétions commencent à fuiter.
Jeanine Mabunda Lioko Mudiayi, présidente de l’Assemblée Nationale et Alexis Thambwe Mwamba, président du Sénat avaient estimé tous les deux que « l’Etat d’urgence » sanitaire proclamé par le chef de l’Etat en raison de la lutte contre l’épidémie de coronavirus (Covid-19) n’était pas conforme à la loi ; donc de « fait ». Car n’ayant pas été précédé de la convocation d’un congrès réunissant leurs deux chambres basse et haute du parlement. Ainsi le duo avait-il pour objectif avoué de « débattre de la légalité de l’état d’urgence » décidé par le chef de l’Etat.
Pour étayer leurs certitudes, Jeanine Mabunda et Alexis Thambwe s’étaient basé sur l’expertise de deux constitutionnalistes et sénateurs à savoir Evariste Boshab (ancien président du parlement) du PPRD et Jacques Ndjoli du MLC proche de la coalition Lamuka.
C’était au cours d’une réunion tenue le 08 avril 2020 dans l’enceinte du parlement du Palais du Peuple de Kinshasa, comme quoi en politique rien n’est exclu : « le FCC et Lamuka peuvent se coaliser lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts » commente sous anonymat un cadre du PPRD de Kabila.
Les deux personnalités ayant évoqué la probabilité de réunir le Congrès au cours de leur réunion préparatoire en rapport avec la loi sur l’état d’urgence, le temps que toutes les conditions pour ce faire soient réunies ; la désinfection du Palais du Peuple ayant même eu lieu.
« Assemblée Nationale/RDC@AssembleeN·8 avr. : Après lecture du rapport de la commission mixte chargée de l’examen des dispositions du PR sur l’état d’urgence sanitaire, Les Présidents des 2 chambres ont convenu ce jour de l’urgence de la convocation d’un congrès pour débattre des modalités d’application desdites mesures »peut-on lire sur le compte Twitter de la représentation du peuple.
Après lecture du rapport de la commission mixte chargée de l'examen des dispositions du PR sur l'état d'urgence sanitaire, Les Présidents des 2 chambres ont convenu ce jour de l'urgence de la convocation d'un congrès pour débattre des modalités d'application desdites mesures. pic.twitter.com/Y0NaDvMCXi
— Assemblée Nationale/RDC (@AssembleeN) April 8, 2020
Pour Alexis Thambwe Mwamba interrogé sur une radio de Kinshasa, la proclamation de « l’état d’urgence » par le président de la République l’était de « fait ». Une thèse battue en brèche et rejetée quelques heures plus tard par la Cour Constitutionnelle saisie en urgence en « Déclarant conforme à la Constitution l’ordonnance 20/014 du 24 mars 2020 proclamant l’état d’urgence sanitaire, confirmant par-là que l’article 85 de ladite Constitution n’exige pas l’autorisation du Congrès » ; la Haute Cour demeurant « le SEUL juge de la constitutionnalité des ordonnances présidentielles » selon la présidence de la République.
Le compte-rendu fait Mme Mabunda devant la presse à sa sortie de l’audience présidentielle était loin de ce qui s’était réellement dit avec la « remontrance » du président de la République sur leur projet du Congrès.
« Nous L’avons tenu informé de l’évolution des activités parlementaires, des mesures que nous avions prises dans le cadre de la lutte contre le Covid… Nous avons eu des discussions longues et approfondies sur ces questions… Et sur comment d’un point de vue sanitaire on peut concilier l’obligation d’une activité parlementaire et d’un fonctionnement normal des institutions et le respect et l’exemplarité que nos institutions doivent inspirer par rapport à cette lutte contre le Covid » expliquait la présidente du parlement.
Mais c’était aussi sans compter sur la « polémique » enclenchée sur le coût supposé réel de ce congrès avec l’intervention du premier vice-président de l’Assemblée nationale, l’UDPS Jean-Marc Kabund. Pour lui, l’organisation de cette rencontre non importante allait coûter au trésor public une bagatelle de 7 millions de dollars.
Une déclaration qui avait donné droit à une riposte immédiate sous forme d’un communiqué officiel de deux présidents des chambres du parlement Mabunda et Thambwe ; démontrant par-là la désunion qui existe entre les partenaires de la coalition au pouvoir FCC et CACH.
#RDC: Affaire 7 millions de dollars que coûterait le Congrès. Les informations données par Jean Marc Kabund sont fausses mensongères et diffamatoires. @senatrdc @AssembleeN @kabund_jmkkrock https://t.co/wEVQMtni01
— Assemblée Nationale/RDC (@AssembleeN) April 13, 2020
Les dessous des cartes
Si Kabila toujours taiseux comme dans ses habitudes depuis plus de 20 ans « feint de faire confiance » en Tshisekedi de qu’il tient sa quiétude jusqu’à présent, ses lieutenants par contre ; et dont les deux présidents des chambres du parlement issus de son parti le PPRD ne masquent pas leurs velléités et avancent à découvert.
Et ce, depuis que le nouveau chef de l’Etat commence à imprimer ses marques après plus d’un an de pouvoir. L’affaire du congrès de Mabunda et Thambwe est révélateur de « l’état d’esprit » même entre les partenaires politiques au pouvoir, mais aussi des anciens amis d’hier comme Lamuka, soi-disant demeurés dans l’opposition.
Pour nombre d’observateurs de la place politique congolaise et l’opinion en générale, la « manouvre » du congrès de Mabunda et Thambwe avait un autre objectif non déclaré : « démontrer que le président de la République avait enfreint la loi en décrétant l’état d’urgence sanitaire sans passer par le Congrès, un acte qui pouvait amener à porter une accusation contre sa personne et à une probable destitution ».
Autre agenda caché du duo Mabunda et Thambwe selon la même opinion, « neutraliser les juges qui se sont réveillés pour prêter mains fortes au chef de l’Etat dans son projet de lutte contre la corruption » ; surtout que les prochaines invitations de la justice seront adressées aux « barrons » de la kabilie dont certains encore aux affaires maintenant.
Quant à la population congolaise, elle attend avec impatience de voir mener les investigations des juges jusqu’à leur fin. Et ce pour souligner que la période des « intouchables » est finie, une époque nouvelle s’ouvrant au pays avec une justice indépendante au service de la Nation.
Roger DIKU et Thaddée Luaba Wa Ba Mabungi