La démission inattendue comme insoupçonnée du juge président de la Cour constitutionnelle Lwamba Bindu Benoît dont le mandat expirait en avril 2021 et loin du pays a créé une onde de choc dans la magistrature du pays tout comme elle continue de poser un certain nombre des questions toujours sans réponses à ce jour.
Sous sanctions americano-européennes pour son présumé rôle dans la gestion de la justice sous le règne de Joseph Kabila, Lwamba Bindu Bya Maganga ; le désormais ex-président de la Cour constitutionnelle et du Conseil Supérieur de la Magistrature est toujours en Belgique où il séjourne pour des raisons de soins de santé.
Sa démission annoncée et deux fois démentie avant d’être confirmée sont aujourd’hui considérée comme une « affaire et un enjeu » sensibles du pouvoir au sein même du cœur de l’Etat où plusieurs forces en présence se battent pour garder l’influence.
Surtout lorsque l’on sait que la Cour constitutionnelle suscite pas mal de convoitises comme des craintes dès pour son pouvoir, et ce pour au moins deux raisons : d’abord qu’elle est « la juridiction pénale du chef de l’Etat et du Premier ministre dans son article 164 qui stipule que « la Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices ». Et puis qu’elle est « juge du contentieux des élections présidentielles et législatives (article 161-2) ».
Faut-il le rappeler que c’est par cette même Cour que Kabila avait été autoriser à rester au pouvoir de décembre 2016 à janvier 2019 ? Lors de sa création le 18 février 2006, cette première issue de la nouvelle Constitution adoptée par referendum du peuple devrait avoir pour compétences étaient entre autres, celle de juger le président de la République et le Premier ministre.
Considérée comme institution de contre-pouvoir, la Cour devait assurer l’État de droit, tout en permettant la vérification de la conformité des lois par son contrôle. Il faudra par contre attendre juillet 2014 pour voir Joseph Kabila nommer les 9 juges de sa composition, qui prêteront serment le 4 avril 2015 devant le président de la République et les deux chambres du parlement réunies en Congrès ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature.
Ces premiers juges furent Vunduawe Te Pemako, Luzolo Bambi, Banyaku Luape, Jean-Louis Esambo, Luamba Bindu, Corneille Wasenda, Funga Molima, Kalonda Kele et Kilomba Ngozi Mala. Depuis lors, certains d’entre-eux ont soit quittée soit démissionnés alors qu’ils avaient jurés en prenant l’engagement de respecter la Constitution et d’agir avec honneur et dignité.
Toujours selon la Constitution promulguée en 2006, la Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. « Les deux tiers des membres de la Cour Constitutionnelle doivent être des juristes provenant de la magistrature, du barreau ou de l’enseignement universitaire. Le mandat des membres de la Cour constitutionnelle est de neufs ans non renouvelables », dit la loi fondamentale.
Renouvelée par tiers tous les trois ans. « Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe. Le Président de la Cour constitutionnelle est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable une seule fois. Il est investi par ordonnance du Président de la République », stipule la Constitution.
Vu son rôle crucial que personne ne tente d’ignorer, et bien avant de quitter le pouvoir ; Joseph Kabila s’était assuré que la plus haute juridiction du pays lui soit acquise. Par son ordonnance N° 18/ 038 du 14 mai 2018, 3 nouveaux juges avaient été nommés, Norbert Nkulu, Jean Ubulu et François Bokona ; tous issus du cercle proche de l’ancien président. Norbert Nkulu a été désigné par la Présidence de la République et Jean Ubulu par le Conseil Supérieur de la Magistrature, François Bokona a quant à lui été désigné par le parlement réunis en congrès.
Avec la démission de Lwamba, la balle est dans les mains de Félix Tshisekedi qui devra designer les nouveaux juges dès l’année prochaine en 2021 en attendant celle grande de 2023 et ses élections générales et présidentielle.
Ayant rencontré Félix Tshisekedi le 4 juillet 2020 afin de l’informer de sa volonté de démissionner de son poste, Benoît Lwamba qui avait invoqué des raisons personnelles, et notamment son âge, 75 ans ; aurait surtout évoqué auprès du président les « pressions » qu’il dit « continuer » à subir de ses anciens protecteurs proches de Kabila pour motiver sa décision.
Et ce, sans moins expliquer comme un énigme dans sa lettre de démission, envoyée le 27 juin 2020 au Procureur Général près la Cour constitutionnelle ; « avoir affronté des dures épreuves ayant permis au pays, tout en gardant le cap, de traverser des moments historiques ».
Si le silence demeure étonnant du côté du PPRD de Kabila et son FCC, sûrement en échafaudage des nouvelles stratégies ; l’avant et l’après Lwamba ne seront plus les mêmes dans la magistrature.
La démission de l’ancien ministre PPRD de la Justice et Garde des Sceaux Célestin Tunda Ya Kasende qui en son temps a eu des relations tendues avec Lwamba, la mise au frigo du moins jusqu’en septembre des trois propositions de lois initiées, mi-juin, par les députés nationaux Aubin Minaku et Garry Sakata ; les joutes s’annoncent musclés. Surtout que les deux députés -juristes de surcroit- veulent faire « réformer » notamment le Statut des magistrats comme des procureurs ainsi que le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature. Et comme par hasard, le pouvoir du ministre de la Justice sur les magistrats en sort renforcé. On connait la suite pour la restauration d’un vrai Etat de Droit.
Lire aussi : RDC-JUSTICE : La saga de la « Vraie-Fausse » démission du juge Benoit Lwamba Bindu https://www.afriwave.com/2020/07/14/rdc-justice-la-saga-de-la-vraie-fausse-demission-du-juge-benoit-lwamba-bindu/
Pour notre analyste politique Jef Bunduki K., « La démission du Président de la Cour Constitutionnelle congolaise fera couler la salive pendant longtemps et suscitera des réactions et des commentaires en tous sens. Ce qui semble être l’enjeu c’est le contrôle de cet organe qui a suscité beaucoup de ressentiments dans les cœurs des congolais après les élections présidentielles de 2006 et 2011. C’est le titulaire démissionnaire qui était accusé d’être de mèche avec Kabila. Ce contrôle s’est avéré nécessaire pour Fatshi vu les velléités du FCC par ses partisans à l’Assemblée Nationale et au Sénat de vouloir à tout prix démettre le chef de l’Etat ».
Et de poursuivre : « Les manœuvres grossières des propositions de loi Minaku-Sakata ont achevé de montrer la nécessité d’un toilettage de la Cour Constitutionnelle puisque c’est elle qui a le dernier mot. Les manœuvres du FCC ont poussé Fatshi à saisir au bond la requête d’évacuation pour raisons médicales demandées par M. Lwamba. Nous sommes en situation d’Etat d’urgence sanitaire due au Covid-19. Il n’y a pas de vols réguliers vers d’autres pays. Les frontières sont fermées. En politique, il faut savoir saisir l’opportunité. Fatshi l’a saisie. Il a sans doute proposé d’offrir une évacuation sanitaire dans l’avion présidentiel qui devait se poser en Belgique en échange des explications claires sur les tripatouillages après les élections législatives et sénatoriales. On se souviendra que c’est la première fois que des jugements réputés inattaquables de la Cour Constitutionnelle étaient à la surprise générale modifiés. Il y a sans doute d’autres dossiers qui ont été portés à la connaissance du chef de l’Etat et qui ont permis à Lwamba de venir se faire soigner en Europe. Fatshi a joué. Il a marqué des points. Le FCC est en état de choc. En attendant, toute la magistrature sait maintenant que la position de pouvoir n’est pas éternelle ».
Roger DIKU et Thaddée Luaba Wa Ba Mabungi