A travers sa théorie d’un régime primo-ministériel, il déclare « urbi et orbi » que le président a moins de pouvoir que le Premier ministre. Il met quiconque à défi de lui citer un seul article de notre Constitution qui prouve le contraire.
J’ai l’impression que l’homme fait semblant d’ignorer ce qu’il connaît, en sa qualité de professeur émérite, ancien vice-premier ministre, président de l’Assemblée nationale. Bref, un homme d’Etat. Il nie même les évidences pour des raisons de convenance et de connivence. Je refuse de croire à une méconnaissance de quelqu’un qui doit en principe bénéficier de présomption des connaissances pratique, politique et théorique.
La Constitution actuelle de notre pays a accouché d’un régime hybride qui réunit les caractéristiques d’un régime semi- présidentiel et parlementaire. Mais elle a les caractéristiques d’un régime semi- présidentiel inspiré de la Constitution française de 1958.
Dans le praxis de la gestion des affaires de l’État, cette Constitution donne beaucoup de pouvoirs au président de la République. Ce qui explique plusieurs dénonciations et protestations des partis politiques et mouvements de la gauche française. C’est aussi ce qui a inspiré François Mitterrand, leader de la Gauche, à écrire un best-seller intitulé : « Un coup d’Etat permanent ».
Il a dénoncé dans ce livre une « monarchisation du pouvoir » par le Général De Gaulle. Notre Constitution qui est presque une copie conforme de celle de la France accorde au président de la République un énorme pouvoir qu’on peut même qualifier d’exorbitant et de débordant. L’on ne se permettra pas de comparer l’œuvre de De Gaule à celle de Kabila, car c’est la nuit et le jour. Mais comme pour le Général de Gaulle, après la guerre, le constitutionnaliste a, en 2006, taillé les attributions du président de la République de la RDC sur mesure pour lui permettre de diriger le pays avec une main de fer dans un gant de velours.
Affirmer aujourd’hui que dans cette Constitution, il n’y a aucun article qui donne le pouvoir au président plus que le Premier ministre, c’est une aberration. Si nous étions dans le monde des saints, je pouvais évoquer une désacralisation.
Une petite balade historique nous apprend que cette Constitution a été initiée à Liège en Belgique par un lobby belge bien identifié qui tenait à tout prix de consolider le pouvoir du jeune président Kabila. Dans ces circonstances historiques, on ne pouvait pas élaborer une Constitution qui pouvait dépouiller Kabila de tout le pouvoir pour donner au Premier ministre. C’est ce qui explique l’organisation d’un hold-up électoral au profit de Kabila malgré qu’il soit battu à plate couture par Jean-Pierre Pierre Bemba Gombo en 2006. La présence des militaires de l’Eufor (une opération militaire du Premier ministre) avait justifié cette volonté d’imposer Kabila ou rien. L’UDPS, dirigée par le patriarche Étienne Tshisekedi d’heureuse mémoire, parti d’opposition à cette époque, avait dénoncé une Constitution taillée sur mesure et avait même boycotté les élections.
La sortie du professeur Boshab pousse plusieurs congolais comme moi, à s’interroger : faisait-il allusion à la même Constitution que nous avons et nous lisons ? Avant d’évoquer les articles qui donnent au président de la République le pouvoir exorbitant plus que le Premier ministre, il me paraît important de rappeler le caractère bicéphale du pouvoir exécutif, prévu dans notre Constitution. Avant, il sied de rappeler que le président de la République est à lui seul une institution (art. 68), ce qui n’est pas le cas du Premier ministre qui fait partie de l’institution « gouvernement » et qui est nommé par le président de la République.
Le président est le chef de l’État. Il représente la Nation et il est le symbole de l’unité (Art. 69). Le président est élu aux suffrages universels directs pour un mandat de 5 ans renouvelable…. Rien qu’avec ces deux articles, l’on peut déceler et confirmer que le président de la République a plus de pouvoir que le Premier ministre qui ne représente pas la Nation, qui n’est pas l’arbitre conformément à l’article 69.
Il y a une floraison d’articles dans notre Constitution qui confèrent au président de la République beaucoup plus de pouvoir que le Premier ministre (Voir les articles 78, 79,80,81,82, 83,84,85,86, 87,88). Tous ces articles concentrent entre les mains du président les attributs de la puissance et de la souveraineté. Vouloir alors réduire le président de la République à un inaugurateur des chrysanthèmes au détriment d’un Premier ministre qui a beaucoup plus de pouvoir relève de la schizophrénie.
Pourquoi cette théorie de primo-ministère surgit-elle maintenant ? Pourquoi, cette théorie n’a pas été déroulée quand Kabila avait retiré la signature du Premier ministre Muzito à l’époque comme quoi il était un « petit Premier ministre » qui n’était pas du PPRD et qui ne gérait pas bien les affaires de l’Etat ?
Pourquoi les cadres du PPRD qui constituaient ce qu’on appelait de « gouvernement parallèle » qui siégeait à Procokin traitaient-ils régulièrement Muzito de minable et de non convenable à leurs intérêts ? A cette époque, ils ne savaient pas qu’il avait plus de pouvoir que le président Kabila ? Pourquoi seulement aujourd’hui quand il y a une crise entre le président Tshisekedi et Kabila, par ricochet avec Ilunkamba ?
A l’époque de Kabila, le professeur Boshab pouvait-il se permettre de déclarer que le Premier ministre a plus de pouvoir que le chef de l’État ? Comme quoi la science, selon ce professeur, est à géométrie variable. Elle varie par rapport à la météo et à la saison, selon qu’on est au servir de l’homme ou d’un pouvoir. Selon qu’on est contre un homme ou un pouvoir. C’est la science au plus offrant. La science au service des intérêts partisans. Rabelais ne disait-il pas que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ? ». Au régime du primo-ministère évoqué par le professeur Boshab, je lui oppose le « régime mixte » ou la « constitution mixte ».
Dans la philosophie politique antique et médiévale (Platon, Aristote, Polybe, Thomas d’Aquin), théorie selon laquelle le « bon gouvernement » doit s’appuyer sur des institutions politiques faisant une synthèse des trois types de régimes : la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. Le principal vertu d’une « constitution mixte » est de trouver ainsi un juste équilibre entre les différents régimes, de façon à éviter les excès de chacun d’entre eux, notamment la tendance au despotisme. Il ne s’agit pas de séparer les trois formes de pouvoir, mais bien de les combiner harmonieusement dans un même gouvernement.
Cette dernière théorie correspond bien à celle que le professeur Boshab a présenté maladroitement. Il s’est embrouillé comme c’était le cas quand il avait parlé de « entre la révision de la Constitution et l’inanition de la Nation ».
Le seul mérite du pavé dans la marre jeté par le professeur émérite Boshab, c’est de lancer un débat sur le pouvoir du président de la République et du Premier ministre. L’impression qui s’y dégage est qu’il prêche les faux pour savoir les vrais. Le président Félix Tshisekedi ne fait que bénéficier ce que, eux, ont concocté pour la gouvernance de leur chef Kabila qu’ils croyaient éternel au pouvoir. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
Au regard de la Constitution, Félix Tshisekedi est un président avec le plein pouvoir. Il ne peut y voir deux chauffeurs dans une même voiture, disait Moise Katumbi. Les Bakusu du Maniema, du territoire de Kibombo disent : « Mamba mbili haikalake ku kivuko moya. Kila Mamba na kivuko yake ». Comme pour dire, il ne peut pas coexister deux Caïmans dans la même rivière. Chaque Caïman doit avoir sa côte.
Moïse Moni Della
Détenteur d’une Maîtrise en Sciences Politiques et Licencié en Sciences de la Ville, Sciences des Banlieues de l’Université Paris VIII Vincennes
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