Par Albert Kasanda*
L’implosion de la coalition formée par le Cap pour le changement (CACH) et le Front commun pour le Congo (FCC) impose de s’interroger.
Les élections présidentielle et législatives de décembre 2018, en République démocratique du Congo, ont donné des résultats pour le moins étranges. D’un côté, il y a eu un président élu, Felix Tshisekedi, issu de la plus vieille mouvance de l’opposition congolaise, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). D’un autre côté, une majorité écrasante des parlementaires élus représentaient la plateforme politique du président sortant, Joseph Kabila, le Front commun pour le Congo (FCC). Un paradoxe électoral qui, malgré les irrégularités dénoncées par les uns et les autres, fut présenté comme étant l’expression de la volonté souveraine du peuple congolais. Il s’agissait de la première passation pacifique de pouvoir en RDC, acquise au prix d’énormes sacrifices, notamment de la part des partis d’opposition, victimes de répression brutale, d’emprisonnement, voire de pertes en vies humaines, par exemple le cas du jeune Rossy Mukendi.
Une transmission pacifique du pouvoir, mais…
Cette issue paradoxale des élections présidentielle et législatives a-t-elle été le fruit d’un calcul politique savamment orchestré en vue de départager deux forces politiques contraires en mettant sous une tutelle à peine voilée l’une d’entre elles, à savoir le nouveau président de la République ?
Ce qui est sûr, c’est que, faute de majorité parlementaire pour gouverner, le président Felix Tshisekedi a accepté, bon gré mal gré, de coaliser avec ses adversaires d’hier afin de redresser le pays. Deux ans ont suffi pour que cette coalition (FCC-CACH) implose. Les causes de cette implosion résident, d’une part, dans l’intransigeance du FCC qui, au nom de sa majorité numérique, voulait s’approprier et contrôler tous les leviers du pouvoir, y compris les domaines dits régaliens. Selon les caciques du FCC, pour toute décision importante, le président Tshisekedi était supposé obtenir l’aval de leur autorité morale, Joseph Kabila. D’autre part, Tshisekedi, conscient de l’étroitesse de sa marge de manœuvre, guettait le moindre faux pas de son partenaire de coalition pour desserrer l’étau autour de lui et renverser le rapport de force.
Hormis leurs exigences en matière d’obtention de portefeuilles ministériels et de postes de direction au sein des entreprises publiques (où le FCC s’est taillé la part du lion), les partisans de l’ex-président Kabila ont également empêché l’exécution des ordonnances présidentielles et défié publiquement l’autorité du chef de l’État. Par exemple, le 20 octobre dernier, les présidents de l’Assemblée nationale (Jeanine Mabunda) et du Sénat (Alexis Tambwe Mwamba), ainsi que le Premier ministre (Sylvestre Ilunga Ilunkamba) et certains membres du gouvernement issus du FCC ont refusé d’assister à la prestation de serment de trois juges de la Cour constitutionnelle nommés par le président Tshisekedi. Cette décision peut être considérée comme la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Tshisekedi décide de prendre les choses en main
Dans une brève allocution à la nation, le 23 octobre dernier, le président Tshisekedi s’est montré déterminé à ne plus subir le diktat de la majorité parlementaire FCC-CACH. Il a désavoué cette coalition, dont il a reconnu les limites, et s’est engagé à consulter les leaders les plus représentatifs du pays afin de créer une « union sacrée pour la nation ». En d’autres termes, il a annoncé la fin de la coalition FCC-CACH au profit d’une nouvelle majorité parlementaire qui le soutiendrait dans la réalisation de son projet de société.
Pour ce faire, deux stratégies semblent être à sa portée. D’un côté, dissoudre le Parlement et organiser des élections législatives anticipées, d’un autre côté, forger une nouvelle majorité parlementaire, sur la base d’un double constat : aucun parti politique, y compris le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de l’ex-président Kabila, n’a obtenu la majorité absolue aux élections de décembre 2018 ; et la coalition FCC-CACH n’est qu’un arrangement politique jamais couvert par le prescrit constitutionnel, c’est-à-dire acté par l’intervention d’un informateur nommé sur ordonnance présidentielle. La population et bon nombre de leaders politiques ont accueilli cette annonce avec enthousiasme.
Pendant ce temps, le FCC semble avoir été pris au dépourvu et tétanisé par le passage à l’acte et la fermeté de celui qu’il croyait avoir sous tutelle. La plateforme politique de Joseph Kabila s’est raidie, estimant détenir toujours une large et inamovible majorité parlementaire. Un discours qui tente de sauver la face en omettant le fait que nombre de mécontents au sein du FCC pourraient devenir des transfuges vers la nouvelle coalition voulue par le chef de l’État. Le cas du groupement politique du Pr Modeste Bahati Lukwebo, l’Alliance des forces démocratique du Congo et Alliés (AFDC-A), qui compte plus de 40 députés au sein du FCC, est une claire illustration de cette dissidence.
Le FCC de Kabila désarçonné par la fermeté de Tshisekedi
Les représentants du FCC ont multiplié les apparitions dans les médias, menaçant de sanctions disciplinaires leurs camarades qui oseraient rejoindre « l’union sacrée de la nation » et martelant leur volonté de sauvegarder la coalition FCC-CACH, en dépit de ses dérapages et limites dénoncés par le président Tshisekedi.
Face à cette crise politique, Joseph Kabila est sorti de son silence légendaire, appelant ses partisans à la résistance :
« Que voulez-vous que je puisse vous dire au sujet de la coalition, on est au point mort ! Je veux vous recommander de ne pas parler de guerre, mais de résistance, parce que la résistance est un droit. »
Une réaction pour le moins énigmatique qui semble insuffisante à galvaniser ses partisans et à stopper les défections au sein du FCC. En effet, depuis le début de la crise de la coalition FCC-CACH, de plus en plus de camarades désertent les rangs du FCC et remettent ouvertement en cause son leadership.
La chute de Jeanine Mabunda, un signe avant-coureur
Après sa vaine protestation contre la nomination de trois juges de la Cour constitutionnelle et l’annonce, par le président Tshisekedi, de la fin de coalition FCC-CACH, un nouveau revers vient d’être infligé au FCC : la destitution de la présidente de l’Assemblée nationale Jeanine Mabunda et de son bureau, sur la base d’une pétition signée par plus de 250 élus nationaux.
Jeanine Mabunda est cadre du PPRD, le parti de Joseph Kabila et pilier du FCC. Au cours de ses deux années à la tête de l’Assemblée nationale, Mabunda s’est plus taillé la réputation d’une frondeuse à l’égard de Felix Tshisekedi que celle d’une femme politique au service de son pays.
Sa destitution, saluée par la population, peut être considérée comme une aubaine pour le président Tshisekedi. Elle représenterait, pour lui, l’occasion de créer sans coup férir un nouveau rapport de force au sein du Parlement. S’il réussit à obtenir une nouvelle majorité par un jeu d’alliances, cela augurerait de beaucoup d’autres changements dont, par exemple, la mise sur pied d’un nouveau gouvernement et la reconfiguration du champ politique congolais. Le président Tshisekedi aura alors gagné le pari de s’affranchir de la tutelle qui lui était imposée au travers de la coalition FCC-CACH. Il pourra aussi se rapproprier les rênes du pouvoir et propulser le FCC, son tout-puissant allié d’hier, dans les rangs de l’opposition.
Blanchisserie politique ou rampe pour le redressement du pays ?
L’idée d’une « union sacrée pour la nation » est séduisante. Elle fait appel au sursaut patriotique visant à endiguer la spirale de la dégringolade sociale et économique du pays. En plus, cette « union sacrée pour la nation » donnerait les coudées franches au président Tshisekedi pour mettre en pratique son projet de société.
Très curieusement, force est de constater que le président Tshisekedi lui-même se montre circonspect concernant les critères de recrutement des membres de cette nouvelle coalition et la philosophie devant la régir. Connaissant l’opportunisme des hommes politiques congolais, il est à craindre que, faute d’un casting rigoureux et d’une feuille de route contraignante, l’« union sacrée pour la nation » ne se transforme en une « blanchisserie politique », une plateforme octroyant un certificat de virginité politique aux bourreaux d’hier, une version épurée de la coalition FCC-CACH, et non en une réelle base pour le redressement de la nation.
L’adhésion massive suscitée par cette idée doit inciter le président Tshisekedi à ne pas dormir sur ses lauriers. Tout au contraire, elle est pour lui une invitation à se montrer vigilant pour détecter les infiltrés et mettre en œuvre son projet de société. Bien qu’ayant perdu pied dans les duels successifs pour le contrôle du pouvoir, notamment à l’Assemblée nationale, à la Cour constitutionnelle et, très probablement aussi, au gouvernement, le FCC n’a pas encore dit son dernier mot. Et le peuple attend toujours que l’alternance au sommet de l’État lui profite concrètement.
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* Researcher in Political Philosophy and social sciences, Center of Global studies, Institutes of Philosophy, Czech Academy of Sciences.
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