L’homosexualité reste encore très mal acceptée dans la majorité des pays du continent africain. La République Démocratique du Congo n’échappe pas à cette règle. Dans cet immense État d’Afrique centrale dominé par la culture bantoue, les réactions sont toutes très négatives quoiqu’assez variées. En parlant de l’homosexualité, on pense à l’absence de virilité pour les hommes, à la sorcellerie et aux mauvais esprits. Certains voient à travers elle, le passage obligé pour s’enrichir ou avoir le pouvoir. Pour d’autres, l’homosexualité est un phénomène importé de l’occident, introduit durant la colonisation. Par la suite, la modernité et le développement des médias avec son corolaire d’images prônant l’homosexualité aurait continué à corrompre les mentalités dans le pays.
1 État des lieux
La méfiance envers l’homosexualité découle grandement de l’omniprésence des Églises dans le contexte social de la République Démocratique du Congo. Pour les églises évangéliques dites de « réveil » densément répandues, « l’homosexualité est classée parmi les actes liés au mysticisme »[1]. Ce mélange entre homosexualité et pratiques mystiques a conduit certaines personnes à mal interpréter les amours entre deux individus de même sexe et à associer ce genre de relations à la sorcellerie et à l’occultisme[2].Ces Églises plus strictes que les Églises classiques (catholique et protestante) condamnent les relations entre deux personnes du même sexe en martelant qu’il s’agit d’un comportement satanique et
Pour les Églises classiques (catholiques et protestantes), majoritaires en RDC, « la Bible condamne l’homosexualité et les responsables religieux africains ne ratent pas une occasion pour condamner l’homosexualité [3]». En janvier 2004, les responsables de l’Église anglicane en République Démocratique du Congo en avaient fait la demande aux dirigeants des autres confessions religieuses. En République Démocratique du Congo, il n’y a aucun mouvement militant d’homosexuels.
Les mouvements associatifs sous forme d’amicales sont en revanche nombreux, mais pratiquement inactifs dans l’encadrement des homosexuels. Ils ont principalement pour but de réunir les homosexuels pour des soirées de fêtes ou des sorties entre amis. Tout cela pousse à la méconnaissance d’une communauté marginale, mais qui contribue également au développement et à la reconstruction économique du pays. Ce manque de militantisme est évidemment dû à la peur de la stigmatisation ainsi qu’à l’hostilité de l’immense majorité de la population.
Le mépris face à l’homosexualité est si prononcé que cela donne parfois lieu à des situations assez ridicules. En 2005, lors du referendum sur la constitution congolaise, certains politiciens mécontents de ce projet ont pris notamment pour cible l’homosexualité pour pousser la population à voter massivement non. En effet, le projet de constitution contenait certains articles qui ont donné lieu à des spéculations. L’article relatif au mariage stipulait que : « Tout individu a le droit de se marier avec la personne de son choix, de sexe opposé, et de fonder une famille » (article 40 du code national). Cet article était devenu sujet de controverse. Pour bon nombre de citoyens, l’article était vague et accordait aux homosexuels le droit de se marier. Du jour au lendemain, la nouvelle s’était répandue comme une trainée de poudre sans que la plupart des personnes aient réellement lu le projet de la constitution. Dès lors, selon la majorité de la population, cette constitution était « immorale », car elle pouvait autoriser des relations contre nature n’ayant rien à voir avec les coutumes locales. Certains intellectuels passèrent même à la télévision afin d’appuyer cette idée en soulignant que l’article 40 n’était pas assez détaillé et qu’il pouvait donner lieu à des confusions. Cette incompréhension conduira certains responsables des Églises à demander à leurs adeptes de ne pas se rendre aux urnes le 17 et le 18 décembre 2005, jours prévus pour le vote. D’autres personnes allèrent jusqu’à avancer que le projet de constitution aurait été rédigé par les Occidentaux pour assurer leur domination en République Démocratique du Congo, d’où l’adoption de certains articles non conformes aux mentalités du pays. La constitution fut adoptée à une assez large majorité dans le pays, mais l’écart fut plus faible dans la ville de Kinshasa.
La ville de Kinshasa possède des quartiers d’ambiance dont la renommée a traversé les frontières (Matonge, Bandal, Beau Marché, Yolo, etc.). En dépit de cela, la capitale congolaise n’offre pas de lieux propices pour des rencontres entre homosexuels. Comme il n’existe pas de lieu spécialisé pour eux, cela complique la vie à bien des homosexuels. Fréquenter les boites de nuit ou les bars hétérosexuels pour y rencontrer de probables partenaires signifie prendre le risque de s’afficher. Il faut donc savoir où aller pour rencontrer un partenaire. La peur des homosexuels au Congo-Kinshasa est largement amplifiée par les médias qui abordent généralement peu le sujet. Lorsqu’ils le font, c’est souvent sous l’angle du blasphème, en particulier à la télévision[4].
En outre, Kinshasa compte plus d’une centaine de chaînes de télévision dont quelques-unes sont chrétiennes, à forte dominance protestante. La multiplication de ces dernières, due au libéralisme politique des années 90, véhiculant des messages souvent inconnus auparavant. Prenons en exemple, un programme qui passait à la télévision de la place (Télé Kin Malebo), dénommé : la sorcellerie et l’homosexualité, où l’on proposait de châtier les homosexuels.
Aussi, dans la société congolaise, l’union entre un homme et une femme revêt souvent un sens sacré. Eu égard à cela, on comprend bien que dans pareille société, un homosexuel fasse semblant d’être hétérosexuel en vue de ne pas éveiller les soupçons de l’entourage (être vus comme homosexuels). Etpour communiquer, les homosexuels kinois (habitants de Kinshasa) ont créé un dialecte: le kipopo -sert à échanger sans être repérés-, ce langage secret utilise des mots codés pour exprimer un message. Incompréhensible pour les non-initiés, ce dialecte est très courant chez les homosexuels de Kinshasa. Il s’est surtout développé au cours de ces deux décennies à la suite du mépris que subit cette communauté dans le pays.
Brièvement, en République Démocratique du Congo, l’homosexualité n’est pas grandement admise. Par conséquent, les homosexuels y vivent discriminés et marginalisés. Ainsi, pour favoriser le vivre ensemble de toutes les catégories de la société, nous voulons préciser quelques lieux théologiques capables de faire émerger une société basée sur l’entente et le respect de l’autre.
2 Vivre ensemble. Quelques lieux théologiques
Au cours de cette partie, nous allons répertorier quelques principes théologiques (à appliquer) susceptibles de favoriser le vivre ensemble entre hétérosexuels et homosexuels en République Démocratique du Congo. Il s’agit de la sociabilité, de l’hospitalité et du principe de collaboration.
2.1. Sociabilité sans discrimination
Il s’agit de construire une communauté basée sur la sociabilité sans stigmatisation causée par l’orientation sexuelle. En effet, « il est de la nature de l’homme de vivre avec d’autres, en relation avec d’autres, pas seulement au milieu d’autres, mais dans une imbrication les uns dans les autres »[5]. C’est donc la conception de l’homme en tant qu’être social, ce qui ne veut pas dire simplement un individu qui vit en société, mais l’homme en tant qu’il lui appartient de construire lui-même sa vie sociale, donc de se construire lui-même comme être avec d’autres et par conséquent, construire la vie commune, la vie en société comme une vie interrelationnelle. Ce n’est pas simplement l’idée de la socialité. Cela va plus loin, il s’agit de la socialité comprise comme solidarité des uns avec les autres. L’enjeu c’est la fratrie.
En effet, l’hospitalité[6] se présente comme une offre symétrique. Elle permet d’offrir à l’autre de s’exprimer et de partager réciproquement quelque chose. Il s’agit là d’une ouverture radicale. De manière claire, il s’agit ici d’un jeu relationnel, celui qui s’établit entre les personnes. En effet, lors de toute rencontre -lien entre homosexuels et hétérosexuels compris -, « la symétrie n’est pas d’emblée acquise »[7], notamment à cause de préjugés que les hommes s’imposent mutuellement, tant d’un point de vue social que religieux. Aussi, y a-t-il à les traverser pour qu’à un moment donné les deux personnes puissent accéder à l’expérience d’une véritable symétrie, avant même que l’on puisse parler de réciprocité vécue. En effet, on s’expose de prime abord à autrui, dans une certaine confiance, en espérant que cela l’invite ensuite à faire de même. Tel est le caractère de gratuité contenu en toute rencontre. Ainsi, l’hospitalité se présente comme une offre. La symétrie permet d’offrir à l’autre de s’exprimer et de partager quelque chose, pour que celui qui reçoit devienne à son tour l’hôte de celui qui est reçu[8].
2.3. Le principe de collaboration
Bien que la « foi trinitaire » soit interprétée : « comme régulatrice de la manière spécifique des chrétiens de se situer (…) par rapport au lien social »[9], le pluralisme de visions en postmodernité pousse tous les membres d’une société à collaborer avec « d’autres visions du monde (…), à réinterpréter la foi trinitaire »[10] en vue de l’avènement d’une société ouverte, épanouie et juste. Il n’est pas question ici d’encourager les gens qui, au nom de leurs convictions se retranchent en eux-mêmes et rompent avec le reste du genre humain.
De ce qui précède, promouvoir une société accueillante fait partie de valeurs communes humainement partagées par tous. Ainsi, il ne serait pas logique de prétendre à une « élection divine », à l’instar « des gens repliés sur eux-mêmes »[11]. En fait, il faudrait toutefois « poser cet imaginaire d’un lien d’élection tout en le faisant traverser par une dynamique purificatrice d’universalisation »[12]. De manière courte, étant donné la situation pluraliste ainsi que l’avenir de la cité qui dépend de l’engagement de tous, homosexuels et hétérosexuels sont invités à s’impliquer à travers diverses collaborations en vue d’une cité juste et digne.
Conclusion
Pour conclure, l’homosexualité en République Démocratique du Congo est une réalité sociale peu visible. Elle y est minoritaire, voire embryonnaire. Ses pratiquants tendent à se constituer en une sorte de communauté informelle et marginale. Ils prennent petit à petit conscience d’une sorte d’identité[13]. Certains homosexuels se connaissent et savent tout de tous. Ils se comportent prudemment vis-à-vis d’éventuels espions capables d’approcher le cercle. Ils ont construit un langage propre à eux.
Aussi, il y a lieu d’affirmer que l’opinion congolaise n’adhère pas totalement à l’homosexualité. Cette dernière est considérée comme une réalité contre nature. Dans ce contexte, les homosexuels ne sont pas bien vus. En outre, la religion joue un grand rôle dans le mépris et le rejet de l’homosexualité. À ce sujet, rappelons que la majorité des Congolais sont de croyance chrétienne. Tous ces croyants considèrent l’homosexualité comme un acte immoral et un péché. Par conséquent, il est difficile d’institutionnaliser aujourd’hui l’homosexualité en République Démocratique du Congo. Se croire pur et supérieur aux homosexuels est une discrimination. Les lieux théologiques énumérés ci-dessus sont une invitation au dépassement d’égoïsmes. Ils sont capables de travailler à l’émergence d’une perspective plurielle englobant hétérosexuels et homosexuels, basée sur le respect, l’accueil, la tolérance, la liberté et la fraternité.
[1] Cf. E. Kilwa, A. Banza et H. Ndabereye, « Les perspectives de l’institutionnalisation de l’homosexualité en Afrique : cas de la République Démocratique du Congo », in ISSR Journals, 23, 158-166.
[2] Cf. Ibidem
[3] Ibidem
[4] Cf. Ibidem, 167–169.
[5]J. Moingt, Faire bouger l’Église catholique: pour un humanisme évangélique, Paris, DDB, 104.
[6] Cf. C. Theobald, Selon l’esprit de sainteté, Paris, Cerf, 2015.
Idem, « Une spiritualité de l’hospitalité », in Christus, 214 (2007)
[7]Ibidem, 148.
[8] Cf. Ibidem, 149.
[9] C. Theobald, Christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, Paris, Cerf, 2007, 749.
[10] Ibidem, 750.
[11] Ibidem, 752.
[12] Ibidem, 753.
[13] Cf Gueboguo, La question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 101.