Dix neuf ans après sa condamnation à mort dans l’affaire « Assassinat du Président Laurent-Désiré Kabila Ka Makolo », le colonel Eddy Kapend est un homme libre ; gracié par l’actuel Chef de l’Etat Félix Tshisekedi et sorti de la prison depuis le vendredi 08 janvier 2021.
Coïncidence ou non entre les dates de sa condamnation et sa sortie de prison, considéré comme personnage central de ce procès, Eddy Kapend ; ancien aide de camp de l’ex-Président Laurent-Désiré Kabila avait été condamné à mort avec 30 autres compagnons le 07 janvier 2003 par la Cour d’ordre militaire de Kinshasa. Et ce, à l’issue de l’enquête sur l’assassinat du Pdt LD Kabila.
En effet, dans un procès qui aura duré presque deux ans depuis l’assassinat le 16 janvier 2001 de Laurent-Désiré Kabila dans son bureau du Palais de Marbre sur le Hauteur de Kinshasa, parmi les 135 prévenus ; 30 sont condamnés à mort dont le colonel Eddy Kapend, 27 à la prison à vie alors qu’une peine d’emprisonnement variant entre 2 et 20 ans est infligé à près de 20 prévenus et une cinquantaine d’autres personnes furent simplement acquittés.
La rencontre avec Kapend
Alors qu’il demeure silencieux en se faisant rare depuis sa sortie de prison, le colonel Eddy Kapend est devenu une légende pour avoir survécu près de 20 ans dans l’enfer de la Prison centrale de Makala à Kinshasa alors que nombre de ses compagnons condamnés sont morts.
C’est un homme déterminé, souriant avec un mental d’acier et toujours avec son petit bâton de commandement noir aux extrémités blanches en mains que je rencontre comme par hasard dans une rencontre familiale où j’étais convié.
Cet homme sans émotion aucune, autoritaire et aujourd’hui en pleine renaissance n’attend qu’une seule chose : la condamnation du vrai coupable de cet odieux crime. Cette constance dans la personnalité, il l’avait déjà affichée lors du prononcé du jugement le 07 janvier 2003 pendant sa destitution et dégradation à la barre, mais aussi lorsqu’il est dépouillé de ses galons, de sa ceinture et de son béret vert militaire.
Reflexe de journaliste, après une brève présentation par les membres de famille ; j’entame avec lui une conversation à bâton-rompu en posant des questions directes sur ce qui s’était réellement passé ce 16 janvier 2001 au Palais de Marbre de Kinshasa.
En bon militaire et disant « se restreindre à un silence qui ne durera pas pour toujours », il esquive mes questions sur ce qu’il avait vu et préfère me parler de sa vie de renaissance tout en réfléchissant sur son avenir. Ce qui n’empêche qu’en « off », il me parlera de beaucoup des choses que je peux encore écrire ici, son propre livre « vérité » étant en préparation.
Je lui rappelle notre première rencontre dans d’autres circonstances en compagnie d’un autre personnage principal des régimes Kabila père et fils et aujourd’hui en fuite du pays, le Général John Numbi Banza Thambo. Ça se passe au siège du parti Union des Fédéralistes et Républicains Indépendants (UFERI) de Jean de Dieu Nguz a Karl I Bond sur l’avenue de Trois Z à Kinshasa Gombe en début 1992.
Jeune Rédacteur en Chef adjoint du Groupe de presse UMOJA de Léon Abel Robert Moukanda Lunyama d’heureuse mémoire, je couvrais pour le compte de mon quotidien une conférence de presse après la répression d’une marche de l’opposition par les forces de Mobutu et son premier ministre Nguz en présence de l’ancien gouverneur Gabriel Kyungu Wa Kumwanza. C’est à ce moment qu’on me présente les responsables de la Jeuneuse de l’UFERI qui n’étaient autres qu’Eddy Kapend et John Numbi.
De son procès qu’il a toujours considéré comme injuste et selon les organisations de défense des droits de l’Homme, l’on retiendra que « La procédure suivie devant la Cour d’ordre militaire s’était déroulée sur fond d’intimidation, les avocats des accusés n’ayant pas eu accès à toutes les pièces de la procédure ».
Pour ces organisations, « ce procès n’avait été ni équitable ni transparent et la culpabilité des accusés n’avait pas été démontrée de manière irréfutable. Enfin, elles avaient estimé qu’il demeurait des faits surprenants que la Cour d’ordre militaire de Kinshasa n’avait pas pu étayer : Les conclusions de l’expert en balistique et des légistes étaient surprenantes. Pour eux, il paraissait scientifiquement impossible d’imaginer qu’une balle tirée à bout portant sur une tempe du Président avec un pistolet parabellum 9 mm reste incrustée dans le crâne ».
Laurent-Désiré Kabila : L’énigmatique assassinat
Les circonstances troubles. L’assassinat de Laurent Désiré Kabila mardi 16 janvier 2001 resteront mystérieuses tellement sa mort violente était à la fois prévisible et imprévisible. Des versions ont circulé et circulent sur cet acte ignoble. Certes on disait Kabila inquiet de quelque chose depuis un temps, mais cette inquiétude n’explique nullement le geste fatal qui l’a emporté. Une tragique fin pour un vrai despote déguisé en faux libérateur, tel a été le sort du tombeur de Mobutu qui n’aura tenu que trois ans et huit mois à la tête d’un pays déboussolé, qu’il a laissé en proie à une guerre larvée jusqu’à ce jour.
Quarante ans plutôt, presque jour pour jour, Patrice Lumumba dont il se disait disciple n’avait-il pas été assassiné dans les mêmes circonstances floues au Katanga le 17 janvier 1961. Lumumba a été tué par l’impérialisme occidental aidé des mains locales comme Mobutu, Nendaka et Tshombe soucieux de s’affirmer politiquement. Mais pourquoi l’homme du 17 mai 1997 a-t-il été assassiné et à qui profite le crime ?
Ayant pris à son compte les méthodes qui avaient fait la sinistre réputation de son prédécesseur, l’homme « d’Hewa Bora ou Terre libre » dans le Sud-Kivu était tombé en plein après-midi dans l’antre même du pouvoir au Palais de Marbre, sa résidence officielle sous les balles de Rachidi Minzele pour les uns ou Rashidi Kasereka pour les autres et quatre de ses compagnons : Georges Mirindi, John Bahati Butale, Fraterne Tshibunga et Nshombo Weya. Exécutés sans autre forme de procès sauf Georges Mirindi en fuite en Suède où il est exilé politique, ces jeunes militaires et présumés assassins ont porté le chapeau de l’acte sans que la vérité ne soit connue un jour alors que le peuple a le droit de savoir.
Treize ressortissants libanais de Kinshasa soupçonnés de complot dans cette affaire grave ont aussi été exécutés sans autres formes de procès. Ce qui n’a pas manqué de créer un vrai émoi au sein de cette communauté spécialisée dans le commerce général. Souvent cités dans les affaires louches de trafic d’influence et l’impression des faux billets de banque à l’époque de Mobutu, les Libanais du Congo-Zaïre sont aussi passés maîtres dans la fraude liée à l’exportation du diamant, de l’or et autres matières précisées.
En majorité « d’obédience chiite », les Libanais de Kinshasa ont aussi souvent défrayé la chronique pour leurs connivences avec les anciens hommes forts de l’armée (généraux, colonels, majors) du régime Mobutu dans les trafics en tout genre dont celui très lucratif d’armes. Lorsque Léon Kengo parlait de ceux qui « criminalisent l’économie » du pays en 1997, c’est à cette communauté très soudée qu’il pointait son doigt accusateur sans oublier les propres enfants de Mobutu. Laurent Désiré Kabila n’avait pas non plus que d’amabilités vis-à-vis de ces gens qui avaient refusé de lui donner l’argent pendant qu’il en avait besoin lors de la conquête du pays entre 1996-1997.
Ancien maquisard au parcours politique mal défini et chef des rebelles qui ont délogé du pouvoir Mobutu en mai 1997, Kabila est demeuré un véritable « énigme » pour beaucoup jusqu’à sa mort. Portant l’espoir de tout un Peuple épuisé par 32 ans de mobutisme, bien accueilli par la Communauté internationale, il s’était rapidement attiré les foudres de ses anciens alliés ougandais et rwandais et de l’ONU en instaurant un climat de terreur et en se taillant « un régime sur mesure ».
Ressemblant de plus en plus à son prédécesseur Mobutu dans son comportement, Kabila n’était pourtant jamais parvenu à tenir son pays. En rompant en août 1998 avec ses alliés rwandais artisans de son arrivée au pouvoir, ceux-ci envahirent et conquièrent l’Est du pays avec les complicités burundaise et ougandaise. Pendant plus de trois ans avant sa mort, le conflit s’était enlisé. Son incapacité à diriger le pays pourrait avoir eu raison de la patience de ses alliés l’Angola et le Zimbabwe, les puissants soutiens qui l’avait sauvé lors de la rébellion d’août 1988.
Le parrain angolais Eduardo Dos Santos dénonçait l’intransigeance de son protégé depuis quelques temps déjà. L’effort de guerre de son armée au Congo pesait lourd et il voulait négocier un accord de paix. Dans le camp opposé, les Ougandais et les Rwandais avaient toujours imputé la responsabilité de la guerre à Laurent Désiré Kabila qui soutenait les mouvements rebelles de ces deux pays voisins. Les accords de cessez-le-feu signés en 1999 à Lusaka en Zambie n’avaient jamais été respectés de son vivant.
De plus en plus isolé à l’intérieur comme à l’extérieur de son pays, Kabila était hanté par la mort affirmaient des indiscrétions vérifiées car, il ne faisait plus confiance qu’à ses proches et aux gens de son clan. L’épreuve à laquelle il était confronté ne surprend pas totalement, elle s’expliquait par l’extrême fragilisation progressive de son pouvoir qui à une dictature n’avait pas pu substituer une alternative démocratique que l’on attendait de lui. Mais comment le président de la République a-t-il été tué aussi facilement si ce n’est par la complicité des proches, des personnes en qui il avait une nette confiance et des militaires de sa garde personnelle qu’il considérait comme ses propres enfants.
Il y a une autre réalité, le militaire qui l’a assassiné, quel que soit son ressentiment, n’a pu le faire seul. Soit, il s’est appuyé sur une partie de l’armée congolaise qui en avait assez de la guerre et qui n’était plus payé, et qui ne supportait plus le régime absurde du tombeur de Mobutu. Soit, il s’agit d’un complot ourdi à l’extérieur dont ses amis zimbabwéens ou encore des services secrets ougandais, rwandais, pourquoi pas Occidentaux !
Revendiqué depuis la France par un mystérieux Groupe des jeunes militaires congolais qui affirmaient vouloir mettre fin au règne d’un monstre sanguinaire, l’assassinat de Kabila paraissait un coup préparé de longue date. Le fait que tous les jeunes militaires impliqués dans cette affaire soient originaires du Nord et Sud Kivu n’est pas non plus un hasard.
Tous proches des anciens Commandants Kisase Ngandu et Masasu Nindaga qui les avaient recrutés, ces jeunes soldats se sentaient orphelins depuis les assassinats respectifs de leurs chefs en janvier 1997 à Goma (Kisase) et décembre 2000 à Pweto (Masasu) par les hommes de Kabila sous les ordres de ce dernier. Tous les témoignages concourent pour affirmer que Rachidi Kasereka, l’assassin présumé de Kabila, fut un de ces gardes du corps recruté dans le Kivu, tout au début de la guerre en 1996.
La Commission d’enquête internationale chargée d’e faire la lumière sur l’assassinat du chef de l’État, à laquelle ont participé les alliés angolais et zimbabwéens a interpellé et incarcéré depuis le 24 février l’ancien aide de camp du président, le colonel Eddy Kapend. Ce dernier ne serait pas seulement accusé aujourd’hui d’avoir logé une balle dans la tête de Rachidi Kasereka, mais certaines sources assurent qu’il aurait lui-même ouvert le feu sur le président et tué le garde du corps alors que ce dernier se précipitait sur les lieux du crime, question de brouiller les pistes et de l’empêcher de parler.
Aussi curieux que cela peut paraître, Eddy Kapend, ce lunda originaire de la localité de Kapanga à la frontière angolaise et qui n’a rien de militaire de formation fut choisi par Kabila en personne pour « s’occuper de l’armée en recevant et traitant tous les rapports en provenance des forces armées du pays et de l’étranger ». Tâche à laquelle il s’y emploiera avec aisance, ce qui lui valut un uniforme militaire et le grade de colonel pour lui donner toute l’autorité nécessaire à ses fonctions avant qu’il ne devienne l’aide de camp du président de la République.
Ancien militant zélé de l’UFERI, parti politique de Jean Nguz et de son ancien gouverneur Gabriel Kyungu coresponsables civils et politiques, avec Mobutu, de la sanglante épuration ethnique des Kasaïens, en 1992 ; ce professeur de français et lettres que rien ne destinait à une quelconque popularité est aujourd’hui au cœur même de la tragédie qui a coûté la vie à Laurent-Désiré Kabila.
[Ce texte sur l’énigmatique assassinat de Laurent-Désiré Kabila fait partie de mon propre livre qui sortira bientôt :Congo-Zaïre 24 avril 1990 – 17 mai 1997 / L’Insaisissable Démocratie, Périls d’une Transition]
A propos toujours de la mort tragique de Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001, un autre témoin clé est décédé le lundi 20 septembre 2021 à l’Hôpital Diamant de Lubumbashi. Il s’agit d’Émile Christopher Mota. Ce professeur de la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’Université de Lubumbashi est plus connu pour avoir été le Directeur de Cabinet adjoint chargé des questions économiques de Laurent-Désiré Kabila jusqu’au jour de son assassinat.
De l’assassinat de l’ancien Chef de l’Etat, Mota restera comme la seule personne qui « était avec Mzée à l’instant fatidique genoux contre genoux. Posté à un 1 mètre du président, l’on n’a jamais compris comment le tireur à bout portant n’a ciblé que Mzé. J’espère qu’il expliquera à Mzée ce qui s’était passé le 16 janvier 2001 » me déclare sous anonymat un autre personnage clé présent le jour du drame.
Le mobile du crime et son auteur demeurant inconnus jusqu’à ce jour, des langues se délient aujourd’hui, notamment celle d’Eddy Musonda. Directeur adjoint du protocole chargé des audiences de Laurent-Désiré Kabila à l’époque qui est exilé en Belgique. Dernière personne ayant vu le Président Kabila encore vivant au matin du 16 janvier 2001, Musonda exprimait au cours d’une conférence de presse tenue à Bruxelles en décembre 2001 « son intime conviction » et accusait les zimbabwéens et certains proches familiaux de Laurent-Désiré Kabila de l’avoir tué pour prendre le pouvoir.
Il visait ainsi notamment le jeune Joseph Kabila sur qui pèsent les soupçons de collusion avec les zimbabwéens. Pour étayer ses graves accusations, Eddy Musonda souligne « le manque total d’une déclaration ou d’expression d’un quelconque chagrin » de Kabila Junior à la mort de son père. Mais aussi et surtout deux éléments ayant intervenus peu après le crime : deux coups de téléphone du chef d’état-major des forces alliés de Kabila, le général zimbabwéen Chirunde à son président Robert Mugabe à Joseph Kabila qui se trouvait à Lubumbashi après avoir échappé à la mort lors des combats de Pweto contre les troupes rwandaises soutenant le RCD-Goma.
Selon des sources vérifiées, Mugabe conseillera même de faire venir le corps du président Kabila au Zimbabwe alors qu’il était déjà mort, question de gagner du temps et d’effacer les traces du crime alors qu’à Kabila Junior, il était dit ceci : « You can come-back now. Everything is under control = Vous pouvez revenir ici maintenant. Tout est sous contrôle ».
Autre fait troublant rapporté par Musonda, Émile Mota, Directeur adjoint du Cabinet du président de la République chargé des questions économiques, qu’on disait officiellement avoir été témoin du meurtre, aurait avoué à des proches « été obligé de dire qu’il était présent au moment des faits tragiques ». Avec son décès, Mota a emporté son secret longtemps gardé, alors qu’il avait quitté Kyungu Wa Kumwanza pour créer un doublon du parti UNAFEC aile Majorité Présidentielle (MP) proche de Joseph Kabila.
A lire aussi : RDC : Le Professeur Emile Christopher Mota s’est éteint à Lubumbashi https://www.afriwave.com/2021/09/20/rdc-le-professeur-emile-christopher-mota-sest-eteint-a-lubumbashi/
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