Texte par : Aude MAZOUE
À 44 ans, le plus jeune des présidents de la Ve République a été réélu dimanche avec 58,2 % des voix, devant Marine Le Pen, au terme d’un premier quinquennat jalonné de crises inédites. Portrait d’un président qui plaît autant qu’il dérange.
En cinq années, la chevelure est devenue grisonnante aux tempes, les traits du visage se sont durcis, les premiers sillons se sont creusés sur son front. La faute au temps qui passe bien sûr. À l’exercice du pouvoir surtout. Emmanuel Macron, réélu président dimanche 24 avril avec 58,2 % des suffrages, n’est plus le vainqueur de 2017. Il porte désormais les stigmates de l’éprouvante fonction présidentielle. Il faut dire que ce quinquennat, secoué par les crises, ne fut pas un long fleuve tranquille.
Emmanuel Macron l’insaisissable
Affaire Benalla, crise des Gilets jaunes, grèves contre la réforme des retraites, Brexit, crise sanitaire du Covid-19, retrait contraint des troupes françaises du Mali. Puis l’invasion russe en Ukraine pour parachever les dernières semaines de son quinquennat, agitant dangereusement le spectre d’une troisième guerre mondiale aux portes de l’Europe. « À part les invasions de termites, peu de choses auront été épargnées à Emmanuel Macron », lâche Claire Gatinois, journaliste au service politique du Monde. Pas de quoi, pourtant, le rebuter pour exercer un second mandat. Après un interminable faux suspense, Emmanuel Macron a finalement annoncé être de nouveau candidat à l’élection présidentielle, le 3 mars, soit 38 jours avant le premier tour, espérant conserver sa place à l’Élysée.
Après cinq années passées à la tête de l’État, dans les turpitudes du pouvoir, les Français connaissent-ils vraiment Emmanuel Macron ? Ses soutiens le disent audacieux, conquérant, séducteur, protecteur. Ses détracteurs le qualifient d’arrogant, jupitérien, ultralibéral ou de « président des riches ». Chacun s’accordera sur son caractère insaisissable.
L’histoire de ce chef d’État commence le 14 mai 2017. Emmanuel Macron est élu président de la République française avec 66,1 % des suffrages exprimés face à la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen. Sans aucun mandat électif préalable, il entre à l’Élysée à 39 ans seulement, devenant le plus jeune président de l’histoire des Républiques françaises. Qui aurait parié sur son nom un an avant l’élection ? Personne. À l’exception de lui, peut-être.
L’ascension d’un ambitieux
L’ambitieux est né le 21 décembre 1977 à Amiens, dans une famille de la bourgeoisie de cette ville de Picardie. Fils d’un neurologue et d’une médecin conseil à la Sécurité sociale, cet aîné d’une fratrie de trois enfants mène une existence privilégiée, rythmée par les cours de piano, le sport, l’école, les vacances au ski et à l’étranger. Lauréat du concours général de français à 16 ans, le jeune élève signe un parcours scolaire quasi sans faute. Un accroc vient pourtant ternir le joli tableau.
D’abord scolarisé à La Providence à Amiens, ses parents l’obligent à s’exiler à Paris afin de s’éloigner de la passion interdite qu’il entretient avec Brigitte Trogneux, sa professeure de théâtre de vingt-quatre ans son aînée. Il poursuit sa scolarité dans le prestigieux lycée Henri-IV, intègre Sciences po Paris et obtient un DEA de philosophie politique à l’université de Nanterre avant d’entrer à l’ENA (École nationale d’administration), en 2002. Un pur produit de l’élite à la française en somme. Un raté tout de même : il échoue à deux reprises au concours d’entrée à l’École normale supérieure (ENS).
À sa sortie de l’ENA, son ascension fulgurante se poursuit. Il intègre le corps de l’Inspection générale des finances. En 2007, à 30 ans, il est nommé rapporteur général adjoint de la commission Attali. L’année suivante, il se met en disponibilité de la fonction publique pour devenir banquier d’affaires chez Rothschild. Il négocie de gros contrats internationaux et fait fortune.
Dans le sérail social-libéral qu’il continue de côtoyer, Alain Minc, Jean-Pierre Jouyet, Jacques Attali décèlent le potentiel du trentenaire. En mai 2012, Emmanuel Macron quitte l’établissement bancaire pour rejoindre François Hollande, tout juste élu président. Celui qui a fait de la finance son « adversaire » lors d’un discours au Bourget, nomme le banquier d’affaires dans son gouvernement. Tant pis pour l’image, le président socialiste n’est pas à un paradoxe près.
Séduit par sa jeunesse et son assurance, il en fait d’abord son secrétaire général adjoint de la présidence avant de le nommer ministre de l’Économie en 2014 après le départ fracassant d’Arnaud Montebourg. Emmanuel Macron devient, à 37 ans, le plus jeune locataire de Bercy. « Il a du charme, un esprit rapide, il tutoie (…) vous embrasse, vous fait des clins d’œil », raconte Manuel Valls dans « Élysée confidentiel », alors ministre de l’Intérieur. La trahison politique est en marche.
Emmanuel Macron s’adresse aux Français du Mali, le 2 juillet 2017, à Bamako, lors d’une visite officielle dans le pays. © Christophe Archambault, AFP
La trahison
Le jour, il défend la loi Macron pour « déverrouiller l’économie française », un texte décrié à gauche et adopté grâce à l’article 49.3, c’est à dire sans vote du Parlement. Le soir, il donne des dîners en ville, consulte les observateurs politiques et finit par lancer son mouvement en avril 2016. Personne ne croit sérieusement en ses chances de devenir président. En tout cas, pas François Hollande. Le mardi 30 août 2016, Emmanuel Macron lui porte pourtant sa démission à l’Élysée.
Dans les mois qui suivent, il convainc une grande partie de l’électorat traditionnel du Parti socialiste qui le perçoit comme l’héritier naturel de la social-démocratie, soucieux d’en finir les clivages politiques du passé. Il réussit même à faire oublier que le bilan du quinquennat de François Hollande, jugé très sévèrement par une majorité des Français, est aussi en partie le sien. Moins d’un an plus tard, il prend la place de celui qui l’a adoubé dans la politique et s’installe dans les ors de son bureau du 55 rue du Faubourg Saint-Honoré.
Le macronisme est-il né ? « Il n’existe pas, il y a Emmanuel Macron, qui est un être libre, qui pense par lui-même et qui décide », assure Jean-Pierre Chevènement, supporter de la première heure. Élu sur la promesse de nombreuses réformes, il commence à exercer son mandat « sabre au clair ». Embrassant la verticalité de sa fonction et des institutions de la Ve République, il décide de l’essentiel sur les conseils de son secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler.
La première année de son quinquennat, le « maître des horloges » mène tambour battant des réformes qui désarçonnent une partie de l’électorat socialiste qui l’a porté au pouvoir. D’abord en nommant un Premier ministre venu de la droite. Puis en réformant l’aide personnalisée au logement (APL) et l’ISF qu’il remplace par l’IFI (impôt sur la fortune immobilière) qui lui valent d’être taxé de président des très riches par un François Hollande figé dans la rancune.
Cinq années de turbulences
Il y a aussi des petites phrases qui passent mal. « Les gens qui ne sont rien », les « Gaulois réfractaires » ou « les premiers de cordée » écorne l’image du jeune chef d’État. En dépit des critiques, le président trace sa route. Pourtant, les choses se compliquent l’année suivante. En 2018, l’affaire Benalla marque le début d’une succession de crises qui vont secouer la présidence.
Ce dossier judiciaire et politico-médiatique français porte un coup fatal à la réforme des institutions au cœur de ses promesses et entache une présidence qui se voulait exemplaire. Puis les grèves de la réforme des retraites et la crise des Gilets jaunes plongent le pays dans le chaos et donnent le sentiment à une partie des Français que le chef de l’État est coupé des réalités du quotidien.
Mais, c’est dans le « tragique de l’histoire » que « l’homme des tempêtes », comme aime le qualifier François Bayrou, « se réinvente ». Pris de plein fouet par la pandémie de Covid-19, Emmanuel Macron qui déclare la France « en guerre » contre un « ennemi invisible », signe la fin du rigorisme libéral de son quinquennat. Le chef de guerre sanitaire met l’économie française sous assistance respiratoire et entre dans l’ère du « quoi qu’il en coûte ».
Il confine et déconfine les Français au rythme des vagues successives de l’épidémie et des places dans les hôpitaux et « emmerde » au passage les réfractaires au passe vaccinal. Au sortir la crise sanitaire et au début du conflit en Ukraine, la cote de popularité du président, porté par « l’effet drapeau », franchit des niveaux record à faire pâlir ses deux prédécesseurs. Grisé par ces chiffres inédits ou trop accaparé par la guerre, Emmanuel Macron repousse sans cesse son entrée dans la campagne présidentielle. Nouvelle salve de critiques de ses opposants politiques qui font de son absentéisme dans les débats une énième preuve de son mépris.
Par tous les dieux de l’Olympe, le président « jupitérien » l’assure pourtant, le président de 2017 ne sera pas celui de 2022 s’il est élu. Engagé dans un sprint final et talonné de près par la candidate du Rassemblement national dans les derniers jours de l’entre-deux-tours, le président sortant a multiplié ces derniers jours les mea culpa et les explications de texte à ceux qui douteraient de sa sincérité en même temps que des grandes lignes de son programme. Réélu, il devient le premier président, hors cohabitation, à décrocher un second mandat. De quoi alimenter une nouvelle fois la rancune de François Hollande.
Article à lire sur Présidentielle : Emmanuel Macron, l’insolente réélection https://www.france24.com/fr/france/20220424-presidentielle-emmanuel-macron-l-insolente-reelection