Candidat déclaré à la présidentielle de 2023, l’ancien Premier ministre aujourd’hui sénateur, Augustin Matata Ponyo Mapon peut-il être un jour jugé devant la Cour de cassation ? La question est dans l’air depuis qu’un « courrier-rapport » transmis au Président de la République en février dernier 2022 a fait son apparition sur les réseaux sociaux.
Attribué au Procureur Général près la Cour de Cassation, Victor Mumba Mukombo, cette lettre adressée au Chef de l’Etat explique et insiste sur « l’impossibilité légale de poursuivre Matata Ponyo en tant qu’ancien Premier ministre et sur l’incompétence de toutes les juridictions au regard de la Constitution ». Une position sur laquelle se cabre le candidat Matata pour « crier » à un acharnement politique à son encontre comme lors de la sortie de son parti politique la semaine dernière à Kinshasa.
Dans ce document daté du 02 février 2022 consulté par afriwave.com, le Procureur Général Victor Mumba Mukombo près la Cour de Cassation écrit in extenso : « J’ai l’honneur de soumette à votre Haute Autorité, en deux exemplaires, le rapport m’adressé par l’équipe de trois magistrats de mon office en charge du dossier contre Matata Ponyo et consorts. L’examen minutieux du dossier me transmis par le Parquet Générale la Cour Constitutionnelles, a permis l’équipe d’arriver à a conclusion consignés dans le rapport. Celle-ci se résume en ce que, toutes les infractions commises par le Premier ministre pendant ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, ne peuvent être jugées que par la Cour Constitutionnelle (articles 163 et 164 de la Constitution). Ainsi, s’étant déclaré incompétente à connaitre des poursuites engagées contre les prévenus Matata Ponyo et consorts, aucune autre juridiction ne peut engager une action pour ces mêmes faits contre l’ancien premier ministre. Au demeurant, les arrêts de la Cour Constitutionnelle sont immédiatement exécutoires et s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes autorités administratives et juridictionnelles (article 168). Dès lors mon office ne pourra instruire qu’à charge ceux qui ont participé à la commission de ces faits selon l’un de mode de participation criminelle, non revêtu de cette qualité lors de leur perpétration. Votre avis m’obligerait, Excellence Monsieur le Président de la République… ».
Réplique de la présidence
Face aux réactions diverses, le Directeur de Cabinet du Président de la République ; Guylain Nyembo Mbwizya a voulu fixer l’opinion une fois pour toute. Pour le chef de l’administration présidentielle, ce courrier n’a jamais été reçu par ses services : « La Lettre qui circule sur les réseaux sociaux et qui serait adressée au Président de la République par le Procureur Général près la Cour de Cassation, depuis le mois de février, ne porte visiblement pas de numéro de référence et, encore moins, de cachet de la Présidence » écrit-il.
Comme un énigme, Guylain Nyembo va encore plus loin : « Tout en réitérant l’attachement du Chef de l’Erat au respect du principe de la séparation des pouvoirs, le cabinet rappelle que les courriers destinés au Président de la République n’engagent que leurs expéditeurs ».
#RDC 06.05.2022|#PalaisdelaNation Mise au point du Cabinet du Chef de l'État concernant les courriers adressés au Président de la République. pic.twitter.com/S7kar5aFkg
— Présidence RDC 🇨🇩 (@Presidence_RDC) May 6, 2022
Matata Ponyo, son long marathon politico-judiciaire vers la présidence…
L’annonce de sa candidature à la présidentielle 2023 par Matata Ponyo dans la bien nommée salle du « ShowBuzz » de Kinshasa le mardi 03 mai 2022 était pourtant bien préparée. « Je vous informe avoir décidé d’accepter votre choix porté sur ma personne comme candidat de notre parti à l’élection présidentielle » crie t’il devant ses sympathisants surchauffés.
Accusé d’avoir détourné d’importantes sommes d’argent destinées à la réalisation de ce qui était pensé être le premier parc agro-industriel du pays à Bukanga-Lonzo dans la province du Kwango, « des faits qu’il a toujours fermement niés » ; Matata Ponyo qui n’en ait visiblement pas encore fini avec la justice ne serait qu’au tout début de son long marathon politico-judiciaire avant d’accéder peut-être un jour au Palais de la Nation, siège de la présidence de la République.
Si pour ses militants tout est dit dans la lettre du procureur sur la non possibilité d’un « probable procès » à son encontre en se basant sur la Constitution, des rumeurs feraient état que ledit dossier de détournement d’argent par Augustin Matata Ponyo aurait déjà été transmis pour fixation devant la même Cour de Cassation et n’attendrait que la date de sa fixation pour comparution.
Dans l’hypothèse d’un énième rebondissement du dossier judiciaire qui oppose le sénateur Augustin Matata Ponyo Mapon au parquet se produit, et dans la mesure où la Cour de Cassation serait favorable à instruire le dossier pour les deux co-accusés de Matata ; il y sera sûrement invité comme témoin avec risque d’être inculpé et jugé après contradictions.
Dans le débat entre juristes, on relève le fait de l’ambiguïté de certains textes légaux qui sèment la confusion, une faille bien exploité par Matata et ses avocats-conseils. Dans tous les cas « le Parquet général a compétence pour poursuivre l’infracteur aux infractions de droit commun comme le détournement, l’abus de confiance, la Cour constitutionnelle n’est pas un organe de poursuite » soutient une frange des juristes.
Dans ce cas « Il faut d’abord que le concerné, Matata ; recouvre de ses immunités parlementaires pour que le parquet compétent, s’il y en a, en pareille matière ; redemande leur levée pour une nouvelle instruction du dossier » pour les autres.
Son entrée dans l’arène sous forme de « J’ai un rêve » devant une salle acquise transformerait-elle « l’homme » considéré sans charisme s’interroge l’opinion. Son discours d’intronisation très travaillé, plus crié que lu comme dans ses sorties sur les réseaux sociaux et passages sur les chaines TV les plus en vue du pays suffiront-ils pour ajouter un plus sur ce qu’on se fait comme idée de sa personne politique à une année des échéances électorales prochaines ?
« Après avoir été victime des plusieurs montages des faux dossiers [Bukanga Lonzo, Zaïrianisation, NDLR] pour m’emprisonner afin de limiter mes droits électoraux et pour me contraindre d’entrer dans l’Union sacrée, Dieu m’a soutenu » lance t’il devant ses militants en faisant sûrement allusion au camp du Président Félix Tshisekedi. « Je sais que mes ennemis politiques, en colère, sont à l’affût pour monter d’autres faux dossiers contre moi. Mais, je crois en la force de la Justice et en la puissance de la vérité » ajoute-t-il.
Et même si, en novembre dernier, la Cour Constitutionnelle s’était déclarée incompétente à le juger, Matata Ponyo reste toujours néanmoins interdit de sortie du pays, alors que ses immunités parlementaires ne lui sont toujours pas rendues. Selon la Constitution congolaise et la loi électorale, toute personne condamnée pour corruption ne peut postuler à la Présidence de la République et Augustin Matata le sait très bien.
Raison pour laquelle il n’a pas hésité de tacler le régime actuel avec ce qu’il considère être une « instrumentalisation » de son dossier avec toute cette procédure enclenchée contre lui : « Il m’a été demandé d’intégrer l’Union sacrée, j’ai refusé. Il m’a été demandé de dire que je ne serai pas candidat Président en 2023, j’ai refusé », a-t-il tweeté.
J’ai accepté le choix de mon Parti, @LGD_RDC, d’être candidat à la présidentielle de 2023. Je serai donc candidat Président en 2023. #RDC pic.twitter.com/XX0hhOTtFT
— Matata Ponyo Mapon (@Mapon_Matata) May 5, 2022
Toute chose restant égale par ailleurs, le dossier Matata restera une « patate chaude » de cette lacune du vide juridique qui ravive l’ultime préoccupation sur la qualité de nos législateurs. L’expression des urnes en 2023 devrait prendre en compte tous ces paramètres.
Et s’il était enfin le vrai dauphin ?
A l’instar de beaucoup d’autres comme Modeste Bahati ou Aubin Minaku, Matata Ponyo rêvait d’être le dauphin naturel de Joseph Kabila. L’ancien Premier ministre ayant battu le record de longévité sous l’ancien président soit plus de quatre ans, il avait été coiffé sur le poteau par Emmanuel Ramazani Shadary ; originaire de la même province que lui sur choix personnel de l’ancien homme fort du pays.
La candidature de Matata aujourd’hui n’étonne personne malgré sa rupture momentanée d’avec Joseph Kabila avec sa démission du PPRD pour la création de son propre parti politique, Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD). Une certaine opinion pensant même qu’il n’est finalement que « le vrai dauphin » de Kabila pour 2023. Or ce « technocrate » comme en a connu le pays depuis le régime Mobutu n’est pas pourtant différent des autres.
Quelques dates clées sur Matata Ponyo
Natif de Kindu dans la province du Maniema le 5 juin 1964, Augustin matata est détenteur d’une Licence en Economie Monétaire Internationale de l’Université de Kinshasa en 1988 complété d’un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA) en Economie de Développement de la même université en 2016. Depuis février 2018, il a obtenu son Doctorat en Sciences Economiques avec grande distinction de l’Université Protestante au Congo (UPC).
Fonctionnaire à la Banque Centrale du Congo de 1988 à 2000, année où il devient conseiller du Ministre des Finances et participe à la conception et à l’exécution des réformes ayant permis au pays de renouer avec les institutions financières internationales de Bretton Wood (FMI, Banque mondiale) entre 2001 et 2003.
Il est nommé Directeur Général du Bureau Central de Coordination (BCECO) de 2003 à 2010 où il coordonne les financements des bailleurs de fonds destinés à la reconstruction de la RDC. Le 19 février 2010, il fait son entrée au gouvernement d’Antoine Gizenga comme Ministre des Finances avant de devenir lui-même Premier Ministre chef du gouvernement le 18 avril 2012 jusqu’au 20 décembre 2016, un record à ce poste sous Joseph Kabila ; devenant le deuxième politique qui a le plus longtemps été chef du gouvernement au Zaïre sous Mobutu et en RDC après Kengo Wa Dondo.
Une tragédie pourtant dans son ascension politique fulgurante considérée par certaines comme une récompense pour ce qui restera un accident d’avion énigmatique. Le 12 février 2012, Augustin Matata Ponyo est dans le jet privé qui s’écrase sur l’aéroport de Goma et coûte la vie à Augustin Katumba Mwanke, l’éminence grise du président Joseph Kabila.
Matata s’en sort miraculeusement avec une commotion cérébrale qu’il ira soigner en Afrique du Sud. Leurs compagnons du voyage pour des négociations secrètes concernant l’ile d’Idjwi Marcellin Cishambo, gouverneur du Sud-Kivu ; et Antoine Ghonda s’en sortent également comme par enchantement.
Président du Conseil d’Administration de son Think tank Congo Challenge depuis janvier 2017, il est aussi le Président de la Fondation Mapon qui finance des œuvres caritatives dans les secteurs de la santé et de l’éducation.
Depuis février 2019, il réalise des missions d’accompagnement du Gouvernement de la République du Togo dans la mise en œuvre et le suivi-évaluation de sa vision du développement le « Plan National de Développement (PND) 2018-2022 ». Il conseillait aussi le président guinéen Alpha Condé avant le coup d’État militaire qui l’a renversé le dimanche 5 septembre 2021.
Le sénateur élu de la province du Maniema en mars 2019 est marié et père de 4 enfants.
À lire aussi : RDC : Augustin Matata Ponyo désormais Chef de parti politique et candidat à la présidentielle 2023 https://www.afriwave.com/2022/05/03/rdc-augustin-matata-ponyo-desormais-chef-de-parti-politique-et-candidat-a-la-presidentielle-2023/
Dossier réalisé par Roger DIKU et Thaddée Luaba Wa Ba Mabungi