Collection coloniale : trois crânes humains mis en vente publique à Bruxelles [SOCIETE]

Par Michel Bouffioux 

L’annonce publiée sur le site « Drouot.com » par l’Hôtel de ventes Vanderkindere, sis à Bruxelles, soulève des questions éthiques. Cette mise aux enchères est proposée dans un contexte où le gouvernement fédéral réfléchit à la restitution prochaine de restes humains « collectés » par des Belges, principalement des militaires, durant l’époque coloniale.

De très nombreux restes humains, principalement plusieurs centaines de crânes « collectés » dans un contexte d’hyperviolence coloniale durant le 19ème siècle sont conservés par différentes institutions en Belgique, telles que le Musée des Sciences naturelles à Bruxelles ou encore l’Université Libre de Bruxelles. Paris Match Belgique a déjà révélé l’histoire de ces « collections » dans différents articles que l’on pourra relire ici et ici.

Dans le prolongement de ces investigations, le gouvernement fédéral a financé des recherches scientifiques qui sont diligentées par le groupe « Home » (Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation (HOME) » lequel est constitué de 7 partenaires (l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), les Musées royaux d’Art et d’Histoire (RMAH), le Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC), le Nationaal Instituut voor Criminalistiek en Criminologie (NICC), l’Université Saint-Louis-Bruxelles, (USL-B), l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et l’Université de Montréal (UdeM).

Ces consultants scientifiques sont chargés de faire l’inventaire et l’historique de ces restes humains et de conseiller le gouvernement belge, notamment sur le plan éthique, dans la perspective d’un futur rapatriement au Congo. En miroir, une réflexion est en cours aussi à Kinshasa. Un projet de décret visant à rapatrier au pays les biens spoliés, archives et restes des corps humains a été discuté en réunion du Conseil des Ministres du gouvernement de la RDC lors de sa séance du vendredi 11 novembre 2022.

Selon Catherine Kathungu Furaha, la ministre de la Culture, Arts et Patrimoine [ de la RDC NDLR], citée récemment par nos confrère d’Atlantico, « il s’agit non seulement de mettre en place un cadre règlementaire devant permettre d’évacuer les urgences qui s’imposent dans le processus de restitution des biens culturels congolais, mais aussi, à long terme, d’établir un cadre juridique durable qui permette de faire de la restitution un instrument de reconstitution de l’histoire, et des biens restitués, un des leviers de l’économie nationale. »

« Un crâne de Bangala (…) un crâne de chef arabe »

C’est dans ce contexte politique chargé que l’on découvre, non sans une certaine stupéfaction, que trois crânes « collectés » dans les années 1890, soit au temps sinistre de l’Etat indépendant du Congo (1885-1908), sont mis aux enchères par l’Hôtel de Ventes Vanderkindere à Bruxelles, lequel en fait la publicité le site « Drouot.com ».

L’annonce publiée par la salle de vente. Doc

L’annonce est libellée en ces termes : « Lot de trois crânes humains : un crâne de Bangala anthropophage aux incisives taillées en pointes, un crâne du chef arabe Muine (NDLR : la salle de vente se trompe, il s’agit Munie) Mohara tué par le sergent Cassart à Augoï le 9 janvier 1893 et décoré d’un bijou frontal, et un fragment de crâne collecté au « Figuier de la mort » dans le village de Bombia dans la province de la Mongala par le docteur Louis Laurent le 5 mai 1894. Portant d’anciennes étiquettes de collection. Provenance : ancienne collection du docteur Louis Laurent à Namur. Epoque : XIXème »

Ces crânes mis en vente sont donc issus d’une « ancienne collection du docteur Louis Laurent à Namur ». Nous avons contacté l’Hôtel des ventes Vanderkindere pour en savoir plus sur l’identité des vendeurs et leurs motivations. Un commissaire-priseur décroche le téléphone et lorsque nous lui demandons l’origine de cette collection, il nous dit tout de go : « On ne vous la donne pas, Monsieur. C’est une règle. Quelqu’un a déposé cela et je ne vous donnerai certainement pas le nom du déposant. La déontologie ne me le permet pas. » Nous lui demandons ensuite si cela ne pose pas un problème éthique de vendre des restes humains. Réponse : « Vous savez, on vend des tas de choses. En vente publique, que ce soit à Bruxelles ou à Paris, parfois il y a des choses… Des carcasses, des sarcophages. ».

Nous précisons alors que la question des restes humains fait débat en ce moment sur le plan politique, scientifique et éthique. Que les années 1890 durant lesquelles ont été collectés les crânes mis en vente furent teintées d’une extrême violence colonialiste. Réponse ironique : « Oui… Tandis que l’époque actuelle est tout à fait calme. Il suffit de regarder l’Ukraine. A toute époque, il y a eu cela, Monsieur. Vous voyez en Chine ce qui se passe maintenant avec le Covid. C’est un petit peu bateau. Si une législation ou le gouvernement fédéral nous dit qu’on ne peut pas vendre cela, alors on agira autrement. Maintenant, je ne suis pas l’administrateur, je ne suis que celui qui tient le marteau lors de la vente. »

Nous avons donc demandé à entendre le point de vue de l’administrateur de l’Hôtel de vente. Celui-ci, non sans avoir précisé que cette vente est légale, nous a déclaré ne pas vouloir intervenir plus avant dans cet article.

Quelques éléments biographiques et de contexte

Originaire de Warsage en province de Liège, Florent-Clément Cassart (1869-1913) termina sa carrière comme Capitaine de la Force publique. Avant de participer à l’entreprise coloniale au Congo en juillet 1890, il avait commencé sa carrière au sein de l’armée belge, chez les chasseurs à pied, où il avait le grade de sergent-major. Il fut commissionné pour prendre part à l’expédition dirigée par Alexandre Delcommune (1890-1892) dans le Katanga, un autre individu dont nous avons déjà raconté les frasques. Ces opérations de conquêtes se traduisirent par diverses exactions et combats, notamment contre les populations du Lualaba. Cassart participa aussi à la « campagne arabe », dite aussi « antiesclavagiste », du commandant Jacques, notamment contre le vassal de Tippo Tip, Mohammed bin Hassan Rumaliza. En janvier 1893, il combattit aussi des chefs arabes parmi lesquels se trouvait Munie Mohara – dont le crâne est donc désormais mis en vente à Bruxelles.

Ce combat est raconté en ces termes dans une notice rédigée en 1945 par l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer (ARSOM) : « Pour faire croire qu’il disposait de forces importantes, Cassart divisa ses hommes en plusieurs pelotons, tirant dans toutes les directions. Il s’aperçut bientôt qu’il risquait d’être submergé par les ennemis. Il fit mettre en tas les barils de poudre, les caisses de cartouches et les fusils non utilisés et, ne voulant à aucun prix tomber entre les mains des Arabes, il se proposait d’incendier ce dépôt et de sauter avec lui. Heureusement, il put continuer la résistance. Le combat durait depuis quatre heures, lorsqu’il vit qu’on emportait un grand chef vêtu de blanc. C’était Munie Mohara qui dirigeait l’attaque. La blessure du chef fut le signal de la débandade. Cassart démonta sa tente, mit ses charges et ses blessés en route et commença à opérer sa retraite ».

Ce récit racontant l’histoire du point du vue colonialiste ne précisait donc pas que Cassart, comme le firent bien d’autres avant et après lui – voir notamment les aventures sanglantes du lieutenant Storms qui ramena plusieurs crânes dont celui du chef Lusinga – emporta dans ses malles la tête de Munie Mohara…. Par contre, l’histoire révisée par le point de vue colonial fit de Cassart, un homme louangé. La biographie proposée par l’ARSOM mentionnant notamment ceci : « Il s’éteignit à Léopoldville, le 26 octobre 1913. (…) Avec raison, lorsque la nouvelle du décès parvint en Belgique, le Gouvernement considéra Cassart comme un héros national. Il fit voter par le Parlement une pension au profit de la veuve et n’hésita pas à dire dans son exposé des motifs : « Les épisodes de la vie de Cassart le placent au premier rang des Belges qui honorèrent la Belgique aux yeux du monde civilisé. » Des propos d’une autre époque…

Les enchères organisées par l’Hôtel de ventres Vanderkindere comporte donc des restes humains d’une « ancienne collection du docteur Louis Laurent à Namur. » Ce dernier est né en 1858 et il quitta ce monde en 1905. Il fut diplômé docteur en médecine à l’Université de Louvain en 1887. La biographie coloniale renseigne « son goût particulier pour la géologie et la botanique lui fit ensuite consacrer une année à l’étude de ces sciences ». Il partit vers le Congo en 6 janvier 1892 où « il fut attaché aux opérations militaires qui se déroulaient dans la Lukula ». Ensuite, dit encore l’historiographie coloniale, « il arriva dans le district des Bangala en janvier 1893. Il y séjourna jusqu’à fin octobre 1894 et descendit, fin de terme, à Boma pour s’embarquer le 21 décembre. L’Étoile de Service lui a été décernée le 15 février 1895. »

Pour la bonne forme, on signalera que les trois crânes sont le « lot 405 » d’une vente publique cataloguée, laquelle est sobrement intitulée « Art et Antiquités ».

Lire aussi : Rebondissement : Ces trois crânes ne seront finalement pas vendus mais rapatriés https://parismatch.be/actualites/societe/605431/rebondissement-ces-trois-cranes-ne-seront-finalement-pas-vendus-mais-rapatries

AVEC PARIS MATCH BELGIQUE

MOTS-CLÉS :

 COLONISATION LUSINGA COLLECTIONS COLONIALES DE RESTES HUMAINS RESTES HUMAINS

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