Jean Kaseya, médecin de 53, a pris ses fonctions à la tête du CDC Africa, malgré les tensions que sa nomination a suscitées entre le Rwanda et la RDC ; incontestablement une nouvelle victoire diplomatique pour le pays qui s’était mobilisé pour mener campagne derrière son champion dans la course pour prendre la tête de l’Agence de Santé continentale.
C’est le lundi 17 avril 2023 qu’il a officiellement pris ses fonctions comme le patron des Centres Africains pour la Surveillance et la Prévention des Maladies à Addis-Abeba en Éthiopie, siège de l’organisation. C’est au terme d’un long processus de sélection parmi 180 candidats que le congolais, 53 ans, l’avait emporté face au Directeur par intérim du CDC Afrique, le Kényan Ahmed Ogwell Ouma, et à la Bissau-Guinéenne Magda Robalo Correia E Silva pour prendre la succession du Camerounais John Nkengasong, qui avait été nommé à la création de l’institutionen 2016.
Il est le « premier Directeur Général de CDC Africa élu par les chefs d’Etat africains ». Un motif de fierté pour lui comme pour la RDC : « J’espère que c’est un tournant pour notre pays qui, malgré sa taille [le 2ème du continent en superficie et le 4ème en population] et les enjeux qu’il traverse, est très sous-représenté dans toutes les instances internationales », commente le nouveau patron de la santé africaine.
Ce succès salué par le Chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi au lendemain de son élection, fin février 2023, avait été aussitôt contestée par le Rwandais Paul Kagame dans une lettre adressée début mars 2023 au président de l’Union africaine (UA), le Comorien Azali Assoumani. La tentative du président rwandais d’exporter les tensions entre les deux pays sur le front de l’Est congolais en attaquant la légitimité de cet ancien ministre de Laurent-Désiré Kabila a échoué. Preuve que le faux discours du Rwanda sur son fond de commerce du génocide ne tient plus à travers le monde pour justifier son occupation de l’Est du Congo exploité et pillé par son armée sous le label de la rébellion du M23.
« Premier réflexe santé des Africains »
Cette élection, une première donc, est un symbole pour cette jeune institution panafricaine appelée à prendre davantage d’essor en consolidant les stratégies conjointes des Etats africains. Les chantiers sont immenses à l’heure où le continent traverse une crise économique, sociale et sanitaire sans précédent depuis trente ans. Famines, épidémies de toutes sortes, paludisme, retards de vaccination, paupérisation, inflation et sous-investissement chronique des Etats dans le secteur de la santé, mais aussi baisse historique de l’aide public au développement des pays du Nord, selon les derniers chiffres de l’OCDE publié jeudi 13 avril 2023.
Le premier dossier dont veut s’emparer le nouveau locataire du CDC, c’est de développer l’autonomie financière de l’agence et qu’elle devienne une référence pour tous les Africains. « Nous sommes encore trop peu connus sur le continent, expliquait-il fin février sur l’antenne de Radio Top Congo dans un long entretien. Même si la crise du Covid et la gestion par le “Docteur John” l’ont mis dans la lumière. Je veux que le premier réflexe santé des Africains en cas de crise sanitaire soit d’aller chercher les informations auprès du CDC, comme c’est le cas aux Etats-Unis ».
En proposant dans son programme de candidat d’instaurer une taxe sur les billets d’avion du trafic aérien panafricain, qui pourrait « sécuriser » selon lui chaque année « jusqu’à 300 millions de dollars », des mécanismes de financement « innovants » qui sollicitent les communautés elles-mêmes, Jean Kaseya espère rendre davantage acteurs de leur propre santé les Africains tout en limitant les effets négatifs de budgets nationauxtrop « modestes et fluctuants ».
Une idée déjà expérimentée avec la taxe dite de solidarité sur les billets d’avion, aussi appelée taxe Chirac est une taxe internationale prélevée sur le prix des billets pour financer l’organisme international Unitaid. Elle a été proposée au départ par les présidents français Jacques Chirac et brésilien Luiz Inácio Lula da Silva et adoptée par cinq pays lors de la conférence ministérielle de Paris sur les financements innovants du développement le 14 septembre 2005. Cette taxe concerne tous les billets d’avion pour un vol au départ d’un des pays participants
Jean Kaseya veut aussi encourager les financements mixtes publics privés tout en voulant également bâtir des « stratégies avec tous les partenaires qui veulent investir dans la santé en Afrique » et « sortir le continent de la dépendance, d’une position de demandeur ». Les ratés du mécanisme d’entraide internationale Covax en pleine pandémie de Covid-19 et l’épisode des vaccins commandés à l’Inde, jamais livrés pour cause de déferlement de la vague Omicron en janvier 2022, ont été de véritables traumatismes pour les dirigeants africains.
Phase de croissance
C’est la pandémie de Covid-19 qui a fini par imposé l’institution panafricaine comme un acteur central de coordination des ripostes nationales. « Les épidémies circulent, elles ne se cantonnent pas à un seul pays, il est donc de notre responsabilité de s’assurer que les communautés aient accès aux informations à travers tous les mécanismes que nous mettons en place ».
C’est du reste après la grave crise Ebola qui avait frappé plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2014 que le CDC Africa avait été créé. Entrée dans une phase de croissance, l’agence de santé doit s’imposer comme l’organe incontournable dont doivent se saisir les Etats pour construire davantage de cohérence et porter des ambitions continentales au-delà des crises exceptionnelles : consolider la surveillance épidémiologique, développer la collecte et l’analyse de données fiables, pousser le projet de fabrication de vaccins sur le continent, déployer la couverture santé universelle.
La Banque mondiale a d’ailleurs annoncé en juillet 2022 un financement exceptionnel de 100 millions de dollars (91,2 millions d’euros) à l’agence de santé pour renforcer son cadre institutionnel et ses capacités techniques. Pour accomplir cette feuille de route bien fournie, la diversité de la carrière du médecin congolais, qui s’est spécialisé en France en santé publique après avoir fait ses classes à la tête de l’hôpital rural de Kahemba dans le sud-ouest de la RDC et de l’hôpital de Kinshasa à la fin des années 1990, sera déterminante.
De l’agence d’aide au développement américaine USAID au Fonds mondial, en passant par le bureau d’Atlanta du CDC américain, l’Unicef, l’Organisation mondiale de la santé, la Fondation Clinton, l’Alliance du vaccin GAVI, la Fondation Gates, Jean Kaseya s’est investi dans le déploiement de plusieurs plans de lutte contre la poliomyélite, la méningite, le VIH, la tuberculose ou le paludisme en RDC, en Angola, en Côte d’Ivoire, au Congo-Brazzaville et en Namibie.
« D’une structure technique, le CDC est devenu un organe politique et stratégique d’orientation de toutes les politiques de santé sur le continent, conclut-il. C’est la santé de tous les Africains qui est entre nos mains ».
Jean-Jacques Mbungani au Fond Mondial Board Afrique
Dans la foulée de jean Kaseya, c’est un autre médecin congolais, Jean-Jacques Mbungani Mbanda qui a été nommé Président du Conseil d’Administration du Fonds Mondial Board Afrique le 24 avril 2023. Ministre sortant de la Santé Publique, Hygiène et Prévention en RDC, le Dr Mbungani devrait désormais travailler en collaboration avec le Dr Jean Kaseya pour la politique de santé des Africains.
Thaddée Luaba Wa Mabungi
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