Je n’en suis pas à ma première alerte : j’entends monter, avec inquiétude, la petite musique tribaliste depuis un moment.
Je constate que la référence au fait ethnique est de plus en plus courante dans le débat public.
Je vois des personnalités politiques user sournoisement de la fibre identitaire pour s’attirer les faveurs du public, à l’approche des élections prévues en décembre 2023.
Cela me rappelle une anecdote… En 2011, je me suis rendu à Kinshasa, à la tête de l’équipe du service français de la BBC chargée de couvrir l’élection présidentielle en RDC. Le service avait mis en place un important dispositif pour l’occasion, avec un vaste réseau d’envoyés spéciaux déployés dans des provinces.
Au cours de ce séjour, je me suis entretenu notamment avec l’un de mes vieux amis. Il m’a révélé, lors d’un échange complètement surréaliste, qu’il ne comptait pas voter pour Joseph Kabila. « Son bilan est catastrophique. Et le pire, c’est que je ne sais même pas s’il est congolais », a-t-il asséné.
Lorsque je lui ai demandé s’il donnerait sa voix à Etienne Tshisekedi, il a écarquillé ses yeux, avant de lâcher, le plus sérieusement du monde : « Le problème avec Étienne Tshisekedi, c’est qu’il est muluba. Un muluba à la tête du pays ? Non, merci ».
Au fond, mon ami a tout simplement dit tout haut ce que certains Congolais pensaient tout bas.
Même s’il est impossible de mesurer son ampleur, la « lubaphobie » (je suppose que tout le monde voit de quoi il s’agit) existe bel et bien dans ce pays. Ce n’est pas une vue de l’esprit.
Ce n’est pas parce qu’on refuse de regarder la réalité en face, si moche soit-elle, qu’elle finit par disparaître, comme par miracle. Le déni ne règle rien.
Il faudrait que les dirigeants de ce pays, qui compte quelque 450 groupes ethniques, aient le courage de s’attaquer aux racines du mal. Tout auteur de propos incitatifs à la haine, à la violence ou à la discrimination ethniques doit être sévèrement sanctionné.
Mais de là à conclure que ceux qui critiquent Félix Tshisekedi, pour de bonnes ou mauvaises raisons, sont tous d’affreux « lubaphobes » est aussi stupide que le fait de soutenir que tous les Kasaïens ont fait bloc derrière Fatshi Bé…
Arthur Malu Malu