Par : David RICH
Quelque 44 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, le 20 décembre, dans le cadre des élections générales. Vingt-six candidats, dont l’actuel dirigeant Félix Tshisekedi, concourent pour la présidence, dans ce scrutin qui constitue un défi démocratique majeur mais également logistique, financier et sécuritaire.
Plus grand pays d’Afrique sub-saharienne, la République démocratique du Congo s’apprête à organiser ses élections générales. Le 20 décembre, 44 millions d’électeurs –sur les 96 millions d’habitants que compte le pays– sont appelés à élire leur président mais aussi à renouveler leurs députés et membres des assemblées dans les 26 provinces congolaises, ainsi que les conseillers communaux.
Les défis ne manquent pas pour le vaste État de 2,3 millions de km2, dont l’Est est ravagé depuis des années par une guerre meurtrière entre les forces de sécurité et les rebelles du M23.
Les organisateurs du scrutin espèrent par ailleurs éviter les écueils des dernières présidentielles, entachées par d’importants problèmes logistiques, retards et accusations de fraudes. Ces élections avaient conduit à la première transition pacifique dans le pays depuis l’indépendance, entre Joseph Kabila et son successeur Félix Tshisekedi, qui concourt aujourd’hui à sa réélection. À quoi faut-il s’attendre pour le 20 décembre ? France 24 fait le point sur l’organisation et les enjeux du scrutin.
Félix Tshisekedi favori
À quelques semaines du vote, tous les regards sont tournés vers la présidentielle et les spéculations vont bon train quant aux chances du président Tshisekedi de remporter un second mandat. Officiellement désigné le 1er octobre comme candidat par la majorité au pouvoir, le chef d’État bénéficie du soutien de plusieurs poids lourds politiques comme les ministres Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe.
À son crédit, plusieurs grandes réformes sociales, comme la gratuité de l’enseignement, même si sa mise en œuvre a été critiquée, ou la gratuité des soins pour la maternité. Mais beaucoup lui reprochent de ne pas avoir rompu avec le système de prédation des ressources et de ne pas avoir réussi à pacifier l’est du pays, principal point noir de son quinquennat.
Le discours annuel à la nation du président Tshisekedi
Droits d’images France 24
En face du président Tshisekedi, la compétition est féroce : 25 autres candidats sont en lice pour la magistrature suprême dont plusieurs figures politiques de premier plan comme Moïse Katumbi, célèbre homme d’affaire et ancien gouverneur du Katanga ou Martin Fayulu, candidat de l’opposition malheureux en 2018 qui avait revendiqué la victoire. La candidature du docteur Denis Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix en 2018 pour son action en faveur des femmes violées, suscite également beaucoup d’intérêt.
Face au président Tshisekedi qui fait pour l’heure office de favori, l’opposition cherche un terrain d’entente. Des discussions sont en cours en Afrique du Sud entre les représentants de plusieurs candidats autour d’une éventuelle candidature commune.
Casse-tête logistique
Outre la présidentielle, sont prévues simultanément le 20 décembre les élections législatives nationales et provinciales. Si les listes définitives n’ont pas encore été publiées, la commission électorale a validé en août près de 25 000 candidatures pour les 500 sièges de l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement de la République du Congo.
Pour la Commission électorale nationale indépendante (Céni), l’un des enjeux majeurs est l’acheminement du matériel, commandé en grande partie à l’entreprise coréenne Miru System. « Le travail de fabrication est déjà fini » s’est félicité le 8 novembre le président de la commission, Denis Kadima, depuis les bureaux de l’entreprise à Séoul, affirmant que la Céni était désormais prête à expédier les dispositifs électroniques de vote et bulletins avant de les dispatcher à travers le pays.
« Je pense que nous avons assez de moyens et de temps pour le faire » a-t-il affirmé, sans pour autant « minimiser le défi ». En 2018, quelques semaines avant les dernières élections générales, 8 000 machines à voter étaient parties en fumée lors d’un incendie dans un entrepôt de la Céni occasionnant la fermeture de plus de 1000 bureaux de vote.
Des cartes d’électeur défaillantes et un fichier contesté
Plusieurs polémiques ont déjà émaillé l’organisation du scrutin du 20 décembre prochain, notamment sur les cartes d’électeurs, qui font également office de pièces d’identité. Outre des retards de livraison signalés par endroits, des électeurs ont alerté sur des défauts d’impressions, rendant certaines cartes inutilisables et laissant craindre des risques de fraude. Un problème que la commission électorale s’est engagé à régler avant la tenue du vote.
Autre polémique : l’actualisation du fichier électoral. Les autorités avaient initialement chargé l’Organisation internationale de la Francophonie de réaliser l’audit du fichier avant que celle-ci ne se retire, affirmant que le délai de six jours, prévu à cet effet, était trop court. Confiée à un groupe de cinq experts, l’actualisation du fichier, validé par la Céni en mai, a conduit à la suppression de quelque trois millions de noms sur les 47 millions du fichier initial, correspondant à des doublons ou bien à des personnes mineures, selon la commission. Jugeant ce fichier « fantaisiste », l’opposition avait réclamé en juin la tenue d’un audit externe, rejeté par la commission électorale.
Enfin, la question du financement de ces élections suscite également des craintes quant à l’organisation du scrutin. Celles-ci doivent être intégralement financées par l’État congolais pour un montant de 1,1 milliard de dollars, a affirmé le président de la Céni, tout en reconnaissant, à deux mois des élections, que l’intégralité de la somme n’avait pas été versée. « L’argent vient progressivement selon les moyens de l’État » avait-t-il déclaré le 17 octobre, lors d’une interview sur TV5 monde. Lors de la réunion qu’elle a organisé le 13 novembre avec les candidats à la présidentielle, la Céni a annoncé qu’elle a déjà reçu 800 millions de dollars.
Crise sécuritaire et tensions politique
L’organisation des élections générales se déroule dans un climat pour le moins tendu en République démocratique du Congo. Après plusieurs mois de relative accalmie dans l’est du pays, de nouveaux affrontements ont été signalés en octobre entre groupes rebelles dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiragongo, près de la frontière rwandaise, provoquant l’exode de dizaines de milliers de civils, selon l’ONU.
Un regain de violence d’autant plus inquiétant qu’il intervient alors que la Monusco (Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo) doit débuter dans les prochains mois son retrait accéléré du pays, après près de 25 ans de présence, conformément à la demande du président Tshisekedi.
À l’heure actuelle, « les conditions ne sont pas réunies pour que les élections se tiennent dans toute la République démocratique du Congo » avait reconnu le porte-parole du gouvernement Patrick Muyaya, le 10 octobre sur France 24, du fait de « l’occupation d’une partie du Nord-Kivu » par les forces du M23, que le gouvernement, l’ONU et la France accusent le Rwanda de soutenir.
Le président a de son côté annoncé le 13 octobre, un « allègement progressif et graduel » de « l’état de siège » dans cette province ainsi que celle de l’Ituri voisin. Imposée depuis mai 2021, cette mesure n’a pas permis de résorber la crise sécuritaire.
En parallèle plusieurs ONG dont Human Rights Watch mais aussi l’Union Européenne ont alerté ces derniers mois sur la répression croissante exercée à l’encontre d’une partie de l’opposition congolaise et le rétrécissement de l’espace démocratique dans le pays. Ces critiques visent notamment la répression de deux manifestations en mai dernier ainsi que l’arrestation du bras droit du candidat Moïse Katumbi, Salomon Kalonda, qui dénonce une cabale politique, ou bien encore celle du journaliste Stanis Bujakera Tshiamala, pour « propagations de fausses informations », dans un article publié sur Jeune Afrique mais qu’il n’a pas signé.
Le gouvernement rejette de son côté toute dérive autoritaire, affirmant œuvrer pour la sécurité des citoyens. Il réfute par ailleurs les rumeurs quant à un éventuel report du scrutin, assurant que tout est fait pour que les élections se déroulent dans les délais prévus.
Article à lire sur Élections générales en RD Congo ; candidats, logistique, calendrier et sécurité https://www.france24.com/fr/afrique/20231115-elections-generales-en-rd-congo-candidats-logistique-calendrier-et-securite