Par Moïse Musangana
Le cardinal Fridolin Ambongo ne démord pas. Après avoir tiré à boulets rouges sur le régime Félix Tshisekedi le Samedi Saint, accusé, notamment, de priver aux autres leur part du gâteau national, ce qui les prédispose à rejoindre la rébellion, le prélat catholique est revenu à la charge deux jours après.
Cette fois-là sur les antennes de RFI pour snober la nomination de la Première ministre Judith Sumwina Tuluka. Quasi un non-évènement à ses yeux, elle vient également tardivement alors qu’au Sénégal, le gouvernement est sur les rails aussitôt après l’investiture du président de la République. La lecture du prélat catholique est tout simplement biaisée. Est-ce par ignorance de la Constitution congolaise qui n’est pas pareille à celle sénégalaise ou par mauvaise foi ?
Appelé, comme bon nombre de Congolais à donner son avis sur les antennes de RFI ce lundi 03 avril sur la nomination de la Première ministre Judith Sumwina Tuluka, le cardinal Fridolin Ambongo n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Considérant cet acte comme un non-évènement (c’est ce qu’a relevé le média), il a laissé entendre que cette désignation intervient tardivement, contrairement au Sénégal où quelque temps après l’élection du président de la République, suivie de son investiture, le gouvernement est sur les rails. L’archevêque métropolitain de Kinshasa attribue cet état de choses aux interminables conciliabules de la classe politique dans la perspective, pour chacun des acteurs politiques, d’avoir sa part du gâteau national. Tout le monde, a-t-il dit, veut faire la politique et 70 % des ressources de l’Etat sont affectées à l’entretien du personnel politique, contre 30 % pour le développement.
Une lecture biaisée
La déclaration du prélat catholique résulte d’une lecture biaisée du contexte congolais, pour ne pas parler de l’ignorance de la Constitution qui plante le décor pour la nomination, après la mission d’information devant constater la majorité, d’un Premier ministre, ainsi que son investiture par l’Assemblée nationale devant laquelle son gouvernement sera responsable. Cela après avoir approuvé à la majorité absolue le programme du gouvernement défini par le Premier ministre, qui conduit la politique de la nation, en concertation avec le président de la République. Cette formalité est traduite, entre autres, par les articles 78, 90, 91 et 92 de la Constitution.
La difficulté pour le président congolais de nommer un Premier ministre aussitôt après son investiture tient des dispositions constitutionnelles. Celles-ci n’organisent pas une espèce de période de transition qui s’impose entre l’investiture du chef de l’Etat, le lancement effectif de la machine de l’Assemblée nationale coïncidant avec la mise en place de son Bureau définitif, et l’approbation du programme gouvernemental. Il se passe ainsi généralement un passage à vide de trois à cinq mois, voire plus, grignotés sur le mandat du président de la République.
Contrairement au Sénégal ou en France par exemple, l’élection présidentielle ne se tient pas le même jour que les élections législatives nationales. Celles-ci ont lieu en France un mois après celle du président de la République qui est habilité à nommer un Premier ministre et mettre en place un gouvernement. Si après les élections législatives, la majorité parlementaire coïncide avec celle parlementaire, le gouvernement ainsi consolidé continue, moyennant un réaménagement avec l’apport d’autres éléments. Souvent, ceux des ministres ayant échoué aux législatives le quittent. Au cas où la majorité présidentielle ne correspond pas à celle parlementaire, on débouche sur la cohabitation. Mais en Allemagne, quand la majorité n’est pas confortable, les grands partis, au départ rivaux, forment une coalition.
La Constitution française, qui institue un régime semi-présidentiel, et celle sénégalaise sont quasiment pareilles sur la question en cause. Bien que Sonko ait été nommé Premier ministre, il reste que la majorité à l’Assemblée nationale demeure pro Macky Sall. A défaut d’un éventuel débauchage, disent les experts de la politique sénégalaise, la dissolution est inévitable pour procurer une majorité au nouveau président de la République et son Premier ministre.
Ainsi qu’il se dégage, cette façon de faire tranche avec ce que préconise la Constitution congolaise tel que souligné ci-haut. A noter que le système politique en RDC est aussi semi-présidentiel.
En effet, afin d’éviter les velléités lunatiques des politiciens opportunistes qui risquaient de rejoindre le camp du candidat vainqueur à la présidentielle pour jouir des faveurs du pouvoir si jamais la présidentielle et les législatives nationales étaient organisées avec décalage, il fut décidé du couplage de ces deux élections (PHOBA NGOMA BINDA, E., « Elections en RD Congo 2006 et 2011. Bref regard comparatif et prospectif », in Congo – Afrique, N° 462, février 2012, p. 120). Et le professeur sénégalais El Hadj Mbodj de soutenir : « (…) La doctrine constitutionnelle et politique africaniste réduit la perception du pouvoir et de son organisation au seul « Chef » de l’Etat. Détenteur du pouvoir politique, celui-ci détient aussi le pouvoir économique, se plaçant ainsi au-dessus de toutes les Institutions. De ce fait, le vainqueur de l’élection présidentielle gagne, indubitablement, les autres élections au travers de ses partisans » (MBODJ EL HADJ, La succession du chef d’Etat en Droit constitutionnel africain, Thèse pour le doctorat d’Etat en droit, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, juin 1991, p.18). Ni plus ni moins, la création de l’Union Sacrée de la Nation autour du président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo sur les décombres du FCC en est une illustration parfaite.
En voulant ainsi éviter un problème, les constituants de 2006, sur fond des résolutions du Dialogue inter congolais, en ont créé un autre : une période de transition non régulée. Rien ne permet au chef de l’Etat pendant ladite période de mettre en place un nouveau gouvernement et le mettre en branle avant le fonctionnement effectif de l’Assemblée nationale devant laquelle le gouvernement est responsable. Il se passe, dès lors, un temps entre l’investiture du Président de la République, la proclamation des résultats des législatives nationales et les contentieux liés à ces dernières pour le fonctionnement effectif de la chambre basse, même si dans l’entretemps un informateur peut être nommé pour esquisser la configuration de la future majorité.
C’est cela la vérité du contexte congolais que se devait d’intérioriser le cardinal Fridolin Ambongo avant de se produire en spectacle dans l’unique but de dénigrer le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et son régime. Aussi, la majorité en RDC étant hétéroclite, vu le nombre très élevé des partis politiques et les élections à essence ethno-tribales, la marge de manœuvres est très réduite. Cela requiert du temps pour rapprocher les protagonistes avec plus de probabilité de déboucher sur des gouvernements éléphantesques. Si déjà avec des cardinaux qui appartiennent à une même église, l’Eglise catholique, et qui n’ont pas comme objectif la conquête du pouvoir et sa conservation, l’on met du temps pour voir la fumée blanche lors de la désignation du pape, à combien forte raison cela ne prendrait-il pas de temps pour les politiques, a fortiori congolais !
Pour trouver un remède à cette situation, une révision constitutionnelle est plus qu’indispensable, soit en décalant la présidentielle et les législatives nationales, soit conférant au président de la République certaines prérogatives pendant la période de transition qui ne dit pas son nom, soit en responsabilisant les Secrétaires généraux de l’Administration publique en lieu et place des ministres comme le fit en son temps le maréchal Mobutu.