Article rédigé par Cellule investigation de Radio France, Frédéric Métézeau Radio France
Bien qu’il intervienne au Congo en toute illégalité, comme le précise l’ONU dans une note que nous révélons, le Rwanda s’est rendu incontournable auprès des occidentaux en leur fournissant des soldats dans des opérations de maintien de la paix.
« Nous perdons des soldats rwandais. Nos frères, nos sœurs, nos enfants sont rapportés dans des sacs mortuaires et enterrés sans les honneurs. » En novembre 2022, le journaliste rwandais Samuel Baker se rend dans la région du Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) avec son collègue John Williams Ntwali. Tous deux veulent savoir ce qui se passe dans cette zone frontalière avec le Rwanda. Sur les réseaux sociaux, des messages déplorent la mort de jeunes militaires rwandais au Congo. Mais cela ne suffit pas pour attester de la réalité de ces décès. Voilà pourquoi Samuel Baker et son collègue se rendent sur le terrain. Le consortium Forbidden Stories, auquel est associée la cellule investigation de Radio France, a poursuivi leurs investigations. Notre enquête a permis d’établir que parmi 13 soldats décédés identifiés par Samuel Baker entre mai 2022 et début 2023, la majorité d’entre eux auraient bien perdu la vie en République démocratique du Congo.
Régulièrement, le président Kagame rappelle que d’anciens génocidaires hutus du groupe armé des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) se trouvent en RDC et qu’ils présentent un danger pour les Tutsis vivant là-bas, ce qui justifierait à ses yeux qu’il puisse y intervenir. Le 18 février 2024, le ministère rwandais des Affaires étrangères dénonçait « le soutien de la RDC aux FDLR ». « En conséquence, précise-t-il, le Rwanda se réserve le droit de prendre toutes les mesures légitimes pour se défendre ». Pour Samuel Baker, « la raison principale de cette guerre n’a rien à voir avec la communauté tutsie. Elle est liée à l’argent et aux minerais ». Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), relève aussi que « Paul Kagame défend l’idée que la frontière est illégitime et qu’une partie du Nord-Kivu devrait faire partie du Rwanda. »
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La RDC accuse son voisin d’avoir envoyé des soldats sur son sol pour soutenir le mouvement rebelle M23 qui a massacré ou jeté sur les routes des dizaines de milliers de civils, officiellement, le Rwanda n’a jamais reconnu être intervenu hors de ses frontières, contrairement à ce que soutiennent les États-Unis, la France et plusieurs autres pays européens.
Une « invasion »
Le Rwanda a-t-il violé la souveraineté de son immense voisin ? Si l’on en croit une note confidentielle que nous avons pu consulter, la réponse est oui. Rédigée en mai 2022 par des experts de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco), elle est intitulée « Entrée des militaires des forces de défense rwandaises sur le sol congolais ». Elle affirme que le Rwanda mène « une invasion contre la RDC ». Thierry Vircoulon rappelle qu’« en droit international, quand votre armée est de l’autre côté d’une frontière, cela s’appelle une agression. Mais le Rwanda ne veut pas être condamné en tant que pays agresseur, comme la Russie est un pays agresseur en Ukraine ».
Le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a jamais sanctionné le Rwanda malgré des violations constatées du droit international et la situation humanitaire catastrophique qui prévaut dans l’est de la RDC. Sans doute parce que dans le même temps, le Rwanda rend de grands services aux pays occidentaux en Afrique. L’armée rwandaise est en effet la troisième contributrice mondiale aux missions d’interposition de l’ONU.
Début 2024, près de 6 000 casques bleus rwandais étaient déployés, essentiellement au Soudan du Sud et en Centrafrique. Les pays occidentaux étant devenus réticents à y envoyer leurs militaires, ils défendent « une solution africaine aux problèmes africains ». Or, à part le Rwanda, peu de pays africains disposent de soldats assez bien formés et équipés pour se déployer. En outre, dans ce pays où la liberté d’expression est réduite, même si des soldats meurent en mission, les critiques sont étouffées. Pour l’ancien ambassadeur rwandais aux Nations unies Eugène Gasana – aujourd’hui en rupture avec l’administration Kagame –, « le programme de maintien de la paix est vital pour le régime. Il lui donne de la crédibilité et le rend indispensable ».
Un mystérieux accident
Hors ONU, le Rwanda est aussi impliqué dans d’autres missions de sécurisation. Dans le Cabo Delgado, province dans le nord du Mozambique notamment, il a réussi à contenir la rébellion jihadiste, contrairement aux mercenaires russes de Wagner qui y avaient échoué. L’endroit est stratégique pour la France et pour l’Europe. Au large de la province, TotalEnergies exploite du gaz naturel, ce qui explique en partie que l’Union européenne finance la mission rwandaise à hauteur de 20 millions d’euros annuels. Ce contingent est dirigé par le général Alexis Kagame (qui n’est pas de la famille de Paul Kagame). L’homme a été mis en cause par la note interne de la Monusco évoquée plus haut pour son rôle en RDC. Certains pays de l’UE envisageaient de le sanctionner. Mais pour l’ex-ambassadeur, Eugène Gasana, le Rwanda dispose d’un moyen de pression sur les Occidentaux : « Il les menace de retirer les forces de maintien de la paix. Paul Kagame utilisera toujours cette carte s’il a un problème avec l’ONU. »
Sur fond de menace islamiste et de pénétration russe en Afrique, le Rwanda devient donc intouchable en se posant en alternative rassurante. « Kagame sait ce que veulent les pays occidentaux. Il s’est rendu si important qu’ils ont peur de lui demander des comptes », estime le journaliste Samuel Baker. Quelques jours après son retour de reportage au Congo, ce dernier a été arrêté et interrogé par les autorités rwandaises. Il vit aujourd’hui en exil, loin de chez lui, dans un lieu tenu secret. Quant à son collègue John Williams Ntwali qui enquêtait avec lui sur cette « sale guerre », il est mort le 18 janvier 2023 dans un mystérieux accident de la route à Kigali.
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