Cellule investigation de Radio France, Frédéric Métézeau Radio France
Pour valoriser ses réussites à l’international, le Rwanda se présente comme une marque synonyme de modernité et de succès. Mais il mène dans le même temps une politique d’influence agressive contre les détracteurs du régime.
« Visit Rwanda » (Visitez le Rwanda). Le slogan est visible sur le dos des joueurs du Paris Saint-Germain (PSG) ainsi qu’au bord de la pelouse du Parc des Princes. Depuis le 4 décembre 2019, le club de football français et le Rwanda sont partenaires. Quels plus beaux ambassadeurs pour ce pays que le PSG auteur d’un doublé coupe et championnat de France, avec ses stars Mbappé ou Marquinhos ? Arsenal et le Bayern Munich ont d’ailleurs conclu des partenariats similaires.
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Un membre du ministère français des Affaires étrangères ne cache pas son admiration. Le Rwanda, « c’est LE pays africain pour le ‘nation branding’. L’opinion dominante en Europe est que les Rwandais ont réussi un truc de dingue », nous dit-il. Le « truc de dingue », c’est la reconstruction et la modernisation d’un pays ravagé par le génocide en 1994. Au moins 800 000 personnes, essentiellement tutsies, avaient été massacrées en quelques semaines. Le « nation branding » est donc la transformation d’un pays en marque à succès.
« Paul Kagame a décidé de reconstruire ce pays à sa mesure », constate Christophe Chatelot, grand reporter et spécialiste de l’Afrique au journal Le Monde, dans le cadre de l’enquête « Rwanda Classified », coordonnée par Forbidden Stories et ses partenaires, dont la cellule investigation de Radio France. « Visit Rwanda est une marque haut de gamme qui invite les Européens à visiter les parcs nationaux où subsistent les derniers gorilles des montagnes. Le pays dispose d’infrastructures hôtelières, routières, aéroportuaires pour un tourisme de luxe. » Ce constat est partagé par le député (LFI) Carlos Martens Bilongo, membre de la commission des Affaires étrangères et président du groupe d’amitié France-République démocratique du Congo : « Kigali est connue pour être une ville propre et moderne. On y organise aussi des conférences et des forums sur la Tech. »
De fait, l’attractivité du Rwanda est réelle. En octobre 2023, l’institut strasbourgeois Ircad, spécialisé dans la recherche contre les cancers de l’appareil digestif, inaugure son antenne à Kigali. Un mois plus tard, la capitale accueille la première édition africaine des Rencontres économiques, un forum français réputé, organisé par le Cercle des économistes. Total, Canal+ ou encore la Banque publique d’investissement (Bpifrance) sont partenaires de l’événement. Début février 2024 à Washington, se tient le Rwanda Day, un mélange de gala, de forum pour l’emploi et l’investissement, et de salon du tourisme, en présence de Paul Kagame. Quelques jours plus tard s’élance le Tour du Rwanda, considéré comme la course cycliste la plus relevée d’Afrique, avec parmi les participants, Christopher Froome, le quadruple vainqueur du Tour de France.
Le Rwanda est aussi réputé pour la simplicité de ses formalités administratives. Le pays veut attirer les investisseurs, à l’image des « tigres asiatiques » comme Singapour, précise Christophe Chatelot : « C’est un pays qui lutte ardemment contre la corruption. Il y a des défiscalisations, une sécurité juridique et une sécurité physique. Cela fait la différence avec les autres pays de la région. »
Pour Alexander Dukalskis, professeur à l’université de Dublin et spécialiste des régimes autoritaires, l’image du Rwanda se confond avec celle de Paul Kagame, président depuis 2000 et candidat à sa réélection le 15 juillet prochain. « Certains observateurs étrangers voient en lui un leader qui fait avancer les choses. Un visionnaire qui sort son pays d’une situation extrêmement sombre pour l’emmener vers un avenir meilleur », explique-t-il.
Le Rwanda de Paul Kagame bénéficie effectivement de soutiens fidèles au sein des milieux d’affaires et politiques. C’est le cas du communicant Richard Attias. Le 25 octobre 2023 à Riyad (Arabie saoudite), il organise le Future Investment Initiative en présence, entre autres, de Paul Kagame. Sur scène, l’entretien en anglais est consensuel et les questions complaisantes. Richard Attias insiste sur les réussites du Rwanda, la « start-up nation ». Il qualifie Paul Kagame de « great leader » (grand dirigeant). Aujourd’hui, il nous confirme par écrit son admiration : « J’ai été impressionné par la résilience de ce pays et sa capacité à se reconstruire après le drame qu’il a connu. Je reste impressionné par son succès économique. » Lorsqu’on l’interroge en revanche sur les opérations militaires du Rwanda en RDC ou la répression des opposants, Richard Attias ferme la discussion : « Nous n’abordons jamais les questions géopolitiques dans nos conférences économiques. Il ne m’appartient pas de juger de l’action d’un homme ou d’une femme politique quel(le) qu’il (elle) soit. » Il précise que sa société « n’a jamais organisé d’événements pour le compte du Rwanda », et qu’il n’a « jamais perçu les moindres honoraires ou rémunération du pays ».
Autre grand défenseur de Paul Kagame : Nicolas Sarkozy. L’ancien président de la République française avait entamé une politique de rapprochement avec le Rwanda marquée par une visite historique à Kigali en 2010. Il y est retourné trois fois depuis, y compris en 2024. À chaque fois, il y a rencontré Paul Kagame qu’il retrouve aussi lors de chacun de ses déplacements à Paris. Le 7 avril dernier, lors des cérémonies de commémoration des 30 ans du génocide, Nicolas Sarkozy était présent dans la tribune d’honneur au côté de Paul Kagame et Bill Clinton. De son côté, la délégation française conduite par le ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné avait été reléguée dans des rangs annexes. Nicolas Sarkozy est passé de la diplomatie aux affaires, analyse Christophe Chatelot : « Il a une autre casquette, celle d’apporteurs d’affaires, de VRP de luxe, pour plusieurs groupes. Il est retourné pour la première fois au Rwanda en 2018, à la tête d’un groupe d’hommes d’affaires, dont Cyril Bolloré. C’était clairement pour faire du business. »
Mais pour Christophe Chatelot, « il y a clairement un grand écart entre cette vitrine scintillante de Visit Rwanda et la réalité politique où la liberté d’expression est très contenue, pour ne pas dire plus ». En effet, quand elles le jugent nécessaire, les autorités rwandaises lancent des raids numériques pour discréditer les voix critiques. Pour cela, elles activent des « trolls », c’est-à-dire des internautes payés pour diffuser des messages hostiles sur les réseaux sociaux. Pour le député LFI Carlos Martens Bilongo, « ils ont des ambassadeurs très influents, comme celui aux Pays-Bas qui est très suivi et qui va mettre une armée de militants pro-rwandais sur X pour vous attaquer et vous diffamer. »
Selon nos informations, l’actuel représentant du Rwanda aux Pays-Bas, Olivier Nduhungirehe a effectivement utilisé le compte X @ndoligitare pour harceler des journalistes ou des universitaires ayant dénoncé certains agissements du régime. Le journaliste belge Peter Verlinden en a aussi fait les frais. Il a déposé plainte et une enquête a été ouverte en Belgique. L’ambassadeur rwandais aux Pays-Bas n’a pas répondu à nos questions.
Le journaliste d’investigation Samuel Baker Byansi, qui vit aujourd’hui loin du Rwanda, a enquêté sur ceux qui sont chargés de rédiger et publier ces messages. « Il y en a beaucoup, constate-t-il. Même des gens que vous ne soupçonneriez pas. Professeurs d’université, diplomates, représentants d’ONG internationales, jeunes sans emploi… Ils recrutent tous azimuts. » Des journalistes aussi seraient recrutés, poursuit Baker Byansi : « L’industrie des médias au Rwanda est pauvre. Or, la police offre beaucoup d’argent aux journalistes, environ 400 dollars par mois. On m’a demandé de troller Michela Wrong. J’ai dit que ça allait au-delà de mes principes. Je refuse de troller un autre journaliste. »
Michela Wrong est une journaliste britannique spécialiste de l’Afrique. Elle a travaillé pour Reuters, la BBC et le Financial Times. Elle a publié plusieurs ouvrages dont certains très critiques sur le régime rwandais. La dernière fois qu’elle a été ciblée par des trolls, c’était en mai 2024 lors d’un déplacement en Nouvelle-Zélande. « Il y a eu un déchaînement extraordinaire de tweets hostiles quelques jours après mon arrivée, raconte-t-elle. Ils provenaient de comptes anonymes qui m’accusaient de racisme et appelaient l’Institut néo-zélandais des affaires internationales à annuler ma venue. Le compte hostile le plus actif a tweeté 42 fois en cinq minutes. Puis d’autres comptes prenaient le relais. Depuis la sortie de mon livre en 2021, c’est ce que j’ai vu de pire. Ça ne vient pas du public. C’est organisé. »
S’il vise des personnalités occidentales, le harcèlement en ligne est aussi un message adressé aux Rwandais restés au pays. D’où une forme de paranoïa chez certains. « Quand vous discutez avec un Rwandais, il va chuchoter. Même dans une pièce où vous n’êtes que deux. Il se dit que s’il critique le régime, il peut mourir », raconte le député Carlos Martens Bilongo. Pour Samuel Baker Byansi, « la plupart du temps, les trolls écrivent aussi en kinyarwanda, la langue des Rwandais ordinaires. Ils veulent s’assurer que les Rwandais comprendront ce qui peut leur arriver s’ils critiquent le gouvernement ».
Plusieurs sociétés de relations publiques ou de marketing travaillent pour le Rwanda depuis les États-Unis. Elles sont référencées comme telles dans le FARA, le registre américain des lobbyistes. On y apprend ainsi que la lobbyiste américaine Michelle Martin a été embauchée pour « cartographier » les réseaux d’exilés rwandais à l’international. Quant à l’agence W2 Group, elle a reçu 50 000 dollars par mois pour, écrit-elle, « contrer la désinformation d’ONG ou d’expatriés », citant nommément Human Rights Watch, qui a critiqué la répression extraterritoriale du Rwanda.
Michelle Martin était injoignable et W2 n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais son PDG Larry Weber avait déclaré précédemment à Human Rights Watch qu’il avait reçu « un mandat plus large pour accroître la couverture médiatique positive du Rwanda, afin de contrer les critiques négatives de la presse et de la diaspora ». Ces pratiques ne surprennent pas le chercheur Alexander Dukalskis, auteur de Making the World Safe for Dictatorship – « Rendre le monde plus sûr pour les dictatures »- en 2021 (éd. Oxford University Press). « Les États autoritaires comme le Rwanda ont recours à des sociétés de relations publiques occidentales aux États-Unis ou au Royaume-Uni, confirme-t-il. Des experts en manipulation de l’information occultent les informations préjudiciables au régime et font une communication positive de leur client. »
Nous avons également découvert que Kigali avait acheté le logiciel espion israélien Pegasus. L’enquête « Rwanda Classified » a permis d’établir que le numéro personnel d’Anne Rwigara figurait sur le listing téléphonique du client rwandais de Pegasus. Cette dernière, décédée à la suite de maux de ventre suspects aux États-Unis fin 2023, était la sœur de l’opposante Diane Rwigara, qui avait voulu se présenter en vain contre Paul Kagame à la présidentielle de 2017. Sa candidature avait été invalidée et simultanément, des photomontages à caractère sexuel avaient été diffusés sur les réseaux sociaux. Nous avons aussi identifié des anciens ministres rwandais dans le listing de Pegagus : James
Musoni, ministre des Infrastructures, exclu du gouvernement en 2018 et aujourd’hui ambassadeur au Zimbabwe ; Nshuti Manasseh, ancien président de la société d’investissements Crystal Ventures contrôlée par le Front patriotique rwandais (FPR), et aujourd’hui ministre d’État. Ou encore l’ancien ministre de la Justice Tharcisse Karugarama et son fils Matthew, qui serait tombé en disgrâce en 2013 pour avoir suggéré que Paul Kagame ne se représente pas. La société israélienne NSO, qui commercialise le logiciel, nous a fait savoir qu’elle « n’a plus de clients actifs au Rwanda depuis 2021 ».
Notre enquête nous a aussi permis d’identifier un probable autre partenaire israélien des autorités rwandaises : l’officine surnommée Team Jorge, composée d’anciens agents des services de renseignement israéliens, spécialisée dans les opérations d’influence. En 2023, le site Jambo News, dirigé par des exilés rwandais en Belgique, a été ciblé. Sur Twitter est apparu le mot-clé #StopTutsiGenocideDenial (arrêtez de nier le génocide des Tutsis). Selon nos informations, certains outils utilisés pour cette campagne présentent de grandes similarités avec ceux utilisés par Team Jorge, dont nous avions révélé l’existence.
Cette accusation de négationnisme est régulièrement reprise par les défenseurs du régime rwandais. Le député Carlos Martens Bilongo, qui dénonce régulièrement les agissements de l’armée rwandaise en République démocratique du Congo, a lui aussi observé le phénomène. « Dès que l’on va parler du régime Kagame, nous dit-il, les autorités vont vous accuser d’être négationniste. » Selon lui, l’instrumentalisation du génocide empêche la France de regarder lucidement la situation actuelle du Rwanda. « Le régime crée une forme de pression et de culpabilité, insiste-t-il. Mais on ne peut pas reconnaître ce qui s’est passé en 1994 et en même temps fermer les yeux sur 2024. » Au Quai d’Orsay, un proche du ministre des Affaires étrangères nous confie : « On est tous conscients des limites du régime, mais qui sommes-nous pour juger ? Ils pourront toujours être odieux avec nous, on ne pourra jamais répondre. »
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