Il est l’un des rares journalistes congolais si pas l’unique investi dans la recherche de la compréhension et la dénonciation de la tragédie qui se déroule dans l’Est de la RDC au travers de cette guerre de pillage et de rapine du Rwanda contre son voisin la RDC avec la complicité des puissances occidentales. Le but inavoué de l’agresseur rwandais dans cette guerre asymétrique étant de voir l’implosion de la RDC. Lui, c’est Nicaise Kibel’Bel Oka ; journaliste d’investigation et écrivain. Directeur du Journal Les Coulisses et du Centre d’Étude et Recherche Géopolitique de l’Est du Congo (C.E.R.G.E.C.) spécialisé dans les questions de Défense et de Sécurité et du Terrorisme. Il vient de publier un dernier livre consacré au sujet avec un titre évocateur : « Les rébellions rwandaises au Kivu. Une stratégie de la balkanisation de la RDC » aux Éditions Scribe, Bruxelles, 2024. Il se livre ici dans un entretien à bâtons sans langue de bois sur son dernier ouvrage.
La Rédaction de www.afriwave.com
Q. : Vous venez de sortir votre dixième livre au titre incitatif. Pourquoi « Les Rébellions rwandaises » alors que les acteurs sont visiblement des Congolais ?
Nicaise Kibel’Bel Oka : Le titre du livre dit tout. En effet, toutes les rébellions depuis l’AFDL jusqu’à celle de Corneille Nangaa ne sont pas une création congolaise. Le Rwanda crée des rébellions, met à leur disposition des équipements militaires, des commandants mais également des hommes de troupe qu’il est le seul à manier et confie un aspect, celui les déclarations politiques à des Congolais qui y vont pour des postes lors des négociations. Citer un seul Congolais, professeur soit-il, qui a été dans ces rébellions et qui a écrit ce qu’il a vu et vécu, ce qu’on leur avait enseigné contre le Congo à part Lambert Mende ? Ils sont comme des cerveaux « formolisés », tétanisés. Kigali est engagé à l’est du Congo dans une guerre d’usure afin qu’un jour, fatigués, les Congolais puissent accepter le fait accompli.
Q. : Quel est le fait accompli selon vous ?
N.K.O. : Au simple, c’est la balkanisation du Congo. Au pire, sa somalisation. Pendant trente ans, la RDC fait face à des rébellions rwandaises qui l’empêche de se (re) construire. La communauté internationale qui soutient la déstabilisation du Congo fait croire au monde entier que les Congolais sont incapables de s’organiser. Regardez l’engouement des ONG à l’est du Congo et tous les programmes de reconstruction de l’est aux côtés de la violence armée. Ne faut-il pas faire le choix entre donner des biscuits aux populations déplacées et aider la RDC à mettre fin à la guerre ? C’est cela le paradoxe de cette déstabilisation.
Q. : Avez-vous des preuves de ce plan de balkanisation qui est même le sous-titre de votre livre « Une stratégie de la balkanisation du Congo » ?
N.K.O. : Là vous tombez dans le jeu des Occidentaux. Ce livre est le 2ème qui parle de la balkanisation du Congo. Nous sommes à la 3ème étape du plan de la balkanisation de la RDC. La première étape, ce fut le dialogue de Sun City où il fallait infiltrer l’administration et l’armée congolaise (brassage). La 2ème étape, c’est celui de l’Accord du 23 mars 2009. Ici, il faut souligner deux choses. Primo, l’Accord du 23 mars 2009 a permis aux éléments du CNDP (dont la plupart étaient des Rwandais) de se déployer jusqu’en Ituri (mixage). C’est pour la 2ème fois qu’on donnait l’occasion à Bosco Ntaganda de relier le Rwanda à l’Ituri.
Secundo, lors des négociations, le ChefEmg des FARDC avait été écarté au profit du général John Numbi (aujourd’hui en fuite du pays au Zimbabwe-NDLR) et la coordination d’Amani avait été confiée à Bosco Ntaganda (condamné par la Cour Pénale Internationale CPI NDLR). Charles Mwando Simba avait été préféré à Chikez Djemu à la Défense nationale. Aujourd’hui, avec du recul, on comprend le jeu. Des signes qui ne trompent pas. La 3ème étape consiste dans une désinformation, à réclamer la protection des populations Hamites du Congo. Lorsque vous lisez le rapport de la Commission du Parlement rwandais du 3 juin 2024 que nous avons publié, vous comprenez pourquoi le Rwanda lorgne encore et toujours sur l’Ituri et pourquoi le M23 recrute en Ituri (Somalisation).
Q. : Balkaniser le Congo pour gagner quoi dans tout cela ? Et dans quel intérêt ?
N.K.O. : Dans quel intérêt, avait-on balkanisé l’Éthiopie, la Somalie et le Soudan ? Observer l’état dans lequel se trouvent le Soudan, la Somalie… Il y a deux choses à retenir dans cette déstabilisation sur la voie de la balkanisation, le pillage des ressources naturelles et le (re)peuplement de l’est par d’autres peuples. Bref, une guerre hybride engageant les ethnies du Congo. Les marionnettes congolaises vivent un état de honte éternel dans leur conscience au point qu’il existe un conflit de regard entre les ex-rebelles et ceux qui les ont vus à l’œuvre de la déchéance morale.
Q. : Revenons à votre livre. Vous écrivez « Les FARDC font une guerre de retard ». Qu’est-ce que cela signifie ?
N.K.O. : Cela fait 30 années que le Congo est malmené par ses voisins, avec des intentions ouvertement affichées. Comment avons-nous organisé notre système de défense sans aucun recrutement jusqu’en 2021 ? A part, les opérations Sukola I contre les islamistes MTM à Beni, notre système de défense repose sur la défensive. Nous avons toujours été surpris de notre léthargie au point d’oublier de sécuriser nos frontières. L’ennemi, il est le même, présentant la même figure avec les mêmes objectifs. Comment comprendre qu’au moment où la RDF lance des attaques test depuis Runyonyi et Chanzu (localité symbolisant la victoire de 2013 sur le même ennemi), nous n’ayons pas une brigade pour sécuriser cet espace ? Léthargie cataleptique. Même cette guerre n’a pas de nom de code parce que non planifiée à l’avance. L’armée doit être préparée pour répondre aux menaces actuelles et futures.
Q. : Selon vous, qu’est-ce qui fait la force de Paul Kagame pour narguer le Congo ?
N.K.O. : La 4ème partie du livre scrute effectivement ce problème. Kagame bénéficie du privilège de l’impunité internationale à travers une diplomatie de repentance après le génocide rwandais sur base d’une immunité réciproque entre le FPR et les Anglo-saxons puis d’autres États dans un monde longtemps unipolaire. Il nous faut changer le rapport de force et vendre la vraie image de cette agression. Nous avons des atouts surtout au regard des personnes massacrées et de près de 7 millions des personnes déplacées de guerre (GENOCOST).
Le spectacle est désolant et révoltant. Heureusement que, petit à petit, depuis 3 ans, la Nation prend conscience de la gravité du phénomène. La prise de conscience réside aussi dans la lutte contre l’impunité, dans l’unité nationale et à travers la lecture de nos investigations. Car comme l’a écrit le préfacier, le professeur Isidore Ndaywel, C’est une lecture strictement « du dedans » qui vient compléter de nombreuses lectures « du dehors » que nous sommes le seul à proposer et que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Les intellectuels, les enseignants, les prêtres, les journalistes, les étudiants et les militaires congolais (tout échelon confondu) doivent l’acheter et le lire puis se l’approprier définitivement. C’est un travail de fourmi.
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