Prison Centrale de Makala : Arrêtons avec nos larmes de crocodile !

Créée pour être un mouroir, la Prison Centrale de Makala (PCM) continue de jouer son rôle d’enfer congolais. Aucune politique de désengorgement depuis Mobutu (qui, dans son humanité légendaire, se vantait de n’avoir jamais construit une prison) n’a été mise en place. Elle regorgeait fin 2023, près de 13 mille détenus, femmes et mineurs compris avec seulement 2242 condamnés.

Les détenus suivent le cycle politique des régimes qui se sont succédé depuis Mzée Laurent-Désiré Kabila. Population carcérale dix fois en surnombre pour un enfer qui devait accueillir 1500 personnes. Le dire à haute voix ne constitue ni une information ni un héroïsme. Car, si elle en est une, elle a cessé d’être d’actualité.

Dans ce lieu voulu de rééducation par Laurent-Désiré Kabila, les femmes tombent enceintes sans être violées, des ébats amoureux entre prisonniers ont lieu sous la barbe et avec la bénédiction des geôliers. La promiscuité ainsi que les services vendus aux plus offrants ou les pratiques d’onanisme pour ceux qui n’ont rien sont courantes depuis des décennies.  

Il est certifié que les Congolais (toutes tendances et toute foi confondues) n’aiment pas les prisonniers.

Et ce qui devait arriver, arriva.  A qui la faute ?  Aux magistrats qui condamnent les gens même s’ils jouent le Ponce Pilate ? Aux Églises qui foisonnent rivalisant avec les pécheurs ? Aux familles qui ont perdu toute emprise sur leurs enfants ? Au gouvernement qui n’a aucune politique de construction de prisons ?

Combien de prisonniers politiques arborant l’air moribond pour obtenir l’élargissement sont revenus en prison pour donner du sourire aux anciens collègues détenus ? On a même connu un Premier ministre sous Kabila qui sortait directement de la prison de Makala pour la Primature [Bruno Tshibala Nzenze, NDLR]. Raconte-il ce qu’il a vécu ou pense-t-il à ses anciens collègues ? Complétez la liste qui veut.

Haut lieu de violence des gardiens comme des détenus

Les prisons congolaises sont de hauts lieux de violence, de barbarie des gardiens comme des détenus. Le système à l’intérieur est conçu de telle sorte que certains prisonniers, montés en grade, sont devenus eux-mêmes des bourreaux de leurs collègues. Pire qu’une morgue, la PCM est un enfer en plein Kinshasa avec ses lois et ses règles, sa Constitution et ses services de sécurité. Un gouvernement qui n’obéit à aucune contrainte disciplinaire.

Deux mondes. D’une part, celui des surveillants (policiers et militaires y compris) affectés par l’État, eux aussi prisonniers de fait, vivant sur le dos des détenus. D’autre part, celui des prisonniers eux-mêmes. Le tout uni par une dépendance à la violence, à l’alcool et au chanvre. La prison peut bien servir de lieu de jouissance, d’émerveillement, de solitude ou de satisfaction de son libido pour d’autres personnes.

A Bukavu par exemple, il s’observe un phénomène assez étrange. Les prisonniers importent des femmes pour leurs besoins sexuels. De nombreuses femmes n’hésitent pas à visiter ce lieu carcéral. Elles se font passer pour des membres des familles des détenus et assiègent la prison provinciale de Bukavu pour satisfaire leurs désirs sexuels. Les détenus de plusieurs maisons carcérales du Sud- Kivu vivent en concubinage « toléré » avec des femmes et filles qui viennent de plusieurs coins de la ville et même de certains territoires de la province.

Hypocrisie quand tu nous tiens

Ils nous chantent matin et soir que Jésus est là pour les prisonniers avec qui il a d’ailleurs été crucifié mais ils n’ont pas le cœur à aimer les prisonniers autrement, dans un pays de plus de cent milles églises et pasteurs, aucun prisonnier ne mourrait de faim ni de soif. Combien d’hommes d’église ont déjà visité ou dit la prière à la paroisse Notre Dame de la Douleur, ce terrain de football de la Prison de Makala où ne viennent prier que des prisonniers au bord de la mort ? Cessons alors avec les larmes de crocodile en demandant que toutes les lumières soient faites (car une seule lumière ne saurait donner toute la transparence à l’événement).

Lieu d’incubation mais également d’évasions spectaculaires (on se souvient de celle de 2017 avec l’illuminé Ne Mwanda Nsemi), la Prison centrale de Makala est restée, fidèle à ses concepteurs belges, un mouroir. Un lieu où la théorie de la sélection naturelle de Darwin est bien rôdée et appliquée mais où subsiste encore une petite dose de charité entre détenus.

A lire aussi : Evasion spectaculaire des prisonniers à Makala : quel bilan le jour d’après ! https://www.afriwave.com/2017/05/18/evasion-spectaculaire-des-prisonniers-a-makala-quel-bilan-le-jour-dapres/

Ceci rappelle l’épisode de 2007 de la prison de Beni où les détenus avaient fini par cotiser de l’argent remis au procureur (il semble qu’ils sont mal payés) pour que l’un de leurs aille se faire soigner. On peut imaginer la suite : le procureur, dans sa conscience tordue et toute honte bue, a non seulement pris l’argent mais a laissé le détenu mourir. Ce n’est qu’en RDC que pareille chose peut avoir lieu.

Louis Koyagialo et Yan de Coeck, un humanisme hors pair

On se rappellera d’un prisonnier célèbre (1991-1995), Louis-Alphonse Koyagialo Ngbase te Gerengbo, ancien gouverneur du Shaba (Katanga). Condamné dans cette louche affaire de « lititi mboka » par la faute de ses avocats, Louis-Alphonse Koyagialo comprit que la vie sur terre n’est que vanité des vanités. A la vue de la misère à Makala, il se mit au service de ses codétenus. Il frappait à toutes les portes pour obtenir la générosité des cœurs sensibles pouvant contribuer à la survie des prisonniers. Il finit par obtenir de l’entreprise « Mama Poto » le quota en pain pistolet tous les trois jours pour les prisonniers pendant presque deux années.

Comme aussi ce Belge Yan de Coeck qui mobilisa tout son village pour offrir aux prisonniers de Beni un asile à visage humain. Comme il fallait s’y attendre, l’argent fut carrément détourné et on leur offrit un autre mouroir, la prison urbaine de Kangbayi.

Arrêtez avec les larmes de crocodile en faisant semblant que le drame de Makala a touché certaines personnes se trouvant de l’autre côté du gouvernement. Dans ce pays, les projets de réformes pénitentiaires sont des balivernes. L’homme est un loup pour l’homme.

Pour le journaliste Joseph Emmanuel Bunduki Kabeya, « Tout à fait d’accord avec le titre. Au lieu de geindre, de gémir ou de se plaindre, il faudrait plutôt se pencher sur les moyens concrets et pratiques pour résoudre ce problème. Il est du devoir des magistrats, du système judiciaire de réfléchir sur les voies et moyens d’éviter ces engorgements. Il faut réfléchir sur les modalités et la nécessité de la détention préventive dans un contexte de surpopulation carcérale sans donner l’impression que la justice relaxe les délinquants. Il faut réfléchir à la manière de concilier les deux choses ».

Et il poursuit : « Il faudrait mettre en place une politique de libération de tous les cas qui par faute de jugements sont prescrits à cause de la longueur de la détention préventive. Il faudrait penser à la construction de lieux de détention réservés uniquement aux mineurs, aux femmes pour éviter les promiscuités et les naissances en prison d’enfants dans la paternité restera sans doute sujette à caution et qui ne seront peut-être jamais enregistrés dans les registres de l’Etat Civil. La prison n’est pas un lieu de socialisation équilibrant pour un enfant ».

Joseph Emmanuel Bunduki Kabeya conclut : « La réforme de la justice et ses ramifications sont des chantiers énormes pour ramener une paix sociale dans les centres de détention. Il serait souhaitable aussi d’instaurer un système de peine alternative et d’intérêt général. La détention ferme devrait rester le dernier recours quand la rédemption du coupable devient problématique pour la société ».

Le système de confiscation des biens et/ou de rachat de peines devrait faire partie d’un arsenal judiciaire à imaginer, notamment dans des cas de détournements de deniers publics.

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Nicaise Kibel’Bel Oka

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Rédaction

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