Par Sophie Eyégué, à Kinshasa
ÉPISODE 1. Démographie galopante, urbanisation chaotique et non réglementée : les Congolais s’entassent dans la capitale congolaise dans une totale improvisation. Jusqu’à quand ? La superficie de la ville de Kinshasa est d’environ 10 000 kilomètres carrés, mais les activités se concentrent sur un rayon d’à peine 20 %.
Dès l’aube, sous la « fraîcheur » de la saison sèche, une dizaine d’hommes et de femmes sont à l’action dans le quartier Abattoir, le long de la rivière N’Djili, à quelques kilomètres du centre-ville de Kinshasa. Sous la tutelle de Mounir Ferchichi, ingénieur mandaté par l’Agence française de développement pour renforcer la résilience des quartiers urbains face aux précipitations qui frappent la capitale en saison des pluies, les résidents du quartier, employés par l’initiative, nettoient les caniveaux de leur déchet et construisent des murs pour empêcher l’eau d’arriver aux habitations en cas de grosse pluie. « On doit le faire pour éviter que nos maisons soient dévastées chaque année », raconte Micheline Benda, habitante du quartier. « En janvier, l’eau est montée jusqu’ici », détaille la jeune fille en pointant le haut du toit d’une maison. « Certains se déplaçaient en pirogue ».
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Combattre le fléau de l’urbanisation anarchique
Selon l’autorité des voies fluviales de la République démocratique du Congo (RDC), il y a six mois, 300 personnes sont mortes en raison des grosses averses. Un drame qui tend à se reproduire chaque année, selon Mounir Ferchichi. « Le travail que nous réalisons avec ce projet To Petola – « assainissons ensemble » en lingala- n’est, hélas, qu’un pansement », souffle l’ingénieur tunisien. « Il y aura toujours des inondations. Ici, les gens se sont installés n’importe comment », détaille-t-il, montrant une rue construite sur la digue en sable qui longe la rivière. Dans ce quartier situé à l’est du centre-ville, les habitations ont été construites sur une ancienne rizière exploitée par une entreprise chinoise jusque dans les années 1960. Ici, les caniveaux servaient à l’époque de canaux d’irrigation.
Cette urbanisation anarchique donne des sueurs froides à Francis Lelo Nzuzi. Ce professeur d’urbanisme à l’université de Kinshasa alerte depuis des années sur le surpeuplement et la dangerosité des constructions de la capitale congolaise. « Je crains que la ville ne devienne ingérable ». Alors que la population se multiplie de manière exponentielle -on estime que, chaque année, elle augmente d’environ 450 000 personnes- avoisinant aujourd’hui les 17 millions d’habitants, la ville, traversée par une vingtaine de rivières et longée par le fleuve Congo, n’a plus d’espace viable à offrir aux nouveaux arrivants depuis près d’un demi-siècle.
Les experts estiment que 50 % de Kinshasa est aujourd’hui construite sur des terrains dangereux : aux abords des rivières, qui sont sujets aux inondations, ou sur les collines au sol sableux qui entourent la capitale. Cette observation concerne autant les quartiers périphériques que le centre-ville. « Avant la décolonisation, les autorités interdisaient aux gens de s’installer à moins de 200 mètres des cours d’eau, explique Francis Lelo Nzuzi. Aujourd’hui, non seulement, on s’y installe, mais, très souvent, on coupe également toute la végétation, ce qui accentue l’érosion et les glissements de terrain ».
Un autre facteur affaiblit l’ensemble de la capitale : la gestion des déchets. « Ou plutôt la non-gestion », rebondit Mounir Ferchichi. Les cours d’eau qui traversent de toute part Kinshasa servent d’égout et de « dépotoir » aux habitants, bloquant le bon écoulement des eaux. « Les 17 millions de Kinois émettent entre 8 000 et 9 000 tonnes de déchets par jour, en comparaison, les 13 millions de Tunisiens n’en émettent que 3 000 », indique le chef de mission qui déplore que les autorités ne se saisissent pas du problème.
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Une pression démographique accrue
Une situation qui n’arrête toutefois pas l’exode rural. « Kinshasa est signe de sécurité alors que des conflits font rage dans le reste du pays, explique Francis Lelo Nzuzi. Les gens parcourent jusqu’à 2 000 kilomètres à la recherche de confort et de modernité ». Il faut dire que seuls 40 % de la RDC ont accès à l’eau et seulement 20 % ont une connexion Internet. Alors, contre quelques dollars échangés sous le manteau, comme d’autres, en 2022, la famille de Damien*, venu d’une province voisine, a obtenu l’autorisation de l’État pour finir la construction de sa maison dans le quartier de Masina. Situé dans le lit « mineur » de la rivière N’Djili (périmètre de 20 à 50 mètres autour des rivières, calculé en fonction des plus grandes crues observées sur dix ans), le logement a été submergé par le cours d’eau lors de la saison des pluies dernière.
« C’était un désastre en janvier », se remémore le commerçant. Mais pour lui, vivre à proximité de la capitale est toutefois une aubaine pour sa famille. « Il y a le travail, l’école et la nourriture. Tout est simple ici ! » énumère-t-il. Toutefois, Kinshasa n’a plus que du travail informel et de l’eau contaminée quelques heures par semaine à offrir à ces populations qui n’espèrent pour l’instant qu’une chose : trouver une solution pérenne pour protéger leur foyer d’ici au retour des pluies.
Article à lire sur Kinshasa, l’insaisissable mégalopole face au défi de l’urbanisation à marche forcée https://www.lepoint.fr/afrique/kinshasa-une-megapole-face-au-defi-de-l-urbanisation-a-marche-forcee-19-08-2024-2568174_3826.php
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