Pourquoi les intellectuels congolais échouent en politique ? [Titre original]
Par Freddy Mulumba Kabuayi
64 ans après l’indépendance de la RDC, le peuple congolais est convaincu de l’échec des intellectuels qui ont choisi de faire de la politique active leur métier. Ces derniers n’ont pas réussi à répondre aux attentes et aux espoirs du peuple congolais, malgré leurs compétences et leurs positions dans la hiérarchie au sein des institutions de l’Etat. Devenus hommes politiques, certains se sont enrichis sur le dos du peuple congolais. Ils sont accusés par la population d’être en partie responsables de sa misère. D’ailleurs, la veille génération des congolais se souvient du beaux temps de la colonisation. « Du temps des belges, nous étions colonisés mais nous mangeons. Depuis l’indépendance de notre pays jusqu’à ces jours, nos frères congolais formés à l’école de blancs non seulement nous dominent, chose grave, nous privent à manger ». Et pour réfuter ces accusations, ces hommes politiques se posent en victimes d’un système politique dans lequel ils auraient allègrement évolué sans pouvoir réel.
Ces réalités socio-politiques sont confirmées dans la pratique politique. En effet, depuis le coup d’Etat du président Mobutu en 1965, les intellectuels ont été au service du régime jusqu’au départ du pouvoir de Mobutu en 1997. Plusieurs ont été nommés ministres, premiers ministres, ambassadeurs où élus députés ou membres du Comité Central du MPR parti-Etat. Résultat de 32 ans de pouvoir : la paupérisation des congolais alors que le Zaïre-Congo regorge beaucoup de richesses naturelles.
La prise du pouvoir en 1997 par les rebelles de l’Alliance de Forces Démocratiques de Libération (AFDL) soutenus par le Rwanda, l’Ouganda et les puissances occidentales avec leurs multinationales, n’a pas changé la trajectoire. Des universitaires et des professeurs d’universités ont répondu à l’appel du mouvement rebelle pour être nommés des ministres du nouveau gouvernement. Résultat : le Congo est mis sous tutelle de Paul Kagame, Yoweri Museveni et des sociétés multinationales.
L’élection du président Félix Tshisekedi issue de l’opposition politique en 2019 n’a pas changé la donne. Comme par le passé, des universitaires et des professeurs sont nombreux au gouvernement. Résultat : des détournements de fonds publics, la corruption et des procès judiciaires en cascades sans issues.
Face à ce tableau sombre, l’analyse du mode de recrutement des trois générations d’intellectuels qui sont dans l’arène depuis l’indépendance de la Rdc jusqu’à ces jours s’impose.
Première génération : la classe des Capitas de 1960-1965
Sous la première République (1960-1965), lors du conflit opposant le Président de la République, Joseph Kasa-Vubu au premier Ministre Patrice Lumumba, le Général Mobutu, alors Colonel, monte son premier coup d’État avec le soutien des services secrets belges et américains, le 14 septembre 1960, moins de trois mois après la proclamation de l’Indépendance du Pays.
Le colonel Mobutu fait appel aux premiers universitaires Congolais pour former un gouvernement dénommé « Collège des Commissaires Généraux » qu’il installe au pouvoir le 29 septembre 1960 sous la bénédiction de l’Onu et des puissances occidentales capitalistes qui tenaient à ce que le pays de Lumumba et de Kasa-Vubu ne bascule pas dans le camp communiste.
Ce collège est composé essentiellement de douze commissaires diplômés de l’université et d’une dizaine de commissaires qui poursuivaient leurs études universitaires ou supérieures. L’objectif du Collège des commissaires généraux institué par le Colonel Mobutu était de contrecarrer le gouvernement Lumumba et l’élimination politique puis physique du premier ministre Patrice Lumumba.
Selon l’historien congolais Jean-Marie Mutamba Makombo, Autopsie du gouvernement au Congo Kinshasa, Le Collège des Commissaires (1960-1961) contre Patrice Lumumba ; deux congolais de Brazzaville, André Lahaye de la Sûreté belge et Larry Delvin, le chef d’antenne de la CIA au Congo assistaient à toutes les réunions du collège depuis le début. Un black-out était imposé sur leurs noms dans tous les procès-verbaux.
Ce collège ne fera pas longtemps aux affaires. Un gouvernement provisoire, dirigé par un évolué, Joseph Iléo, est installé le 9 janvier 1960. Ainsi, il sera suivi par plusieurs gouvernements successifs, alors dirigés par les anciens évolués de la période coloniale jusqu’au deuxième coup d’Etat de Mobutu du 24 Novembre 1965.
Certains universitaires et évolués, qualifiés de nationalistes ou progressistes, ont fait le choix de l’exil après l’assassinat du premier ministre Patrice Emery Lumumba, le 17 janvier 1961. Ils se sont réfugiés en Chine, en Union Soviétique ou dans certains pays progressistes africains. Ceux qui ont refusé la voie de l’exil ont adopté la voie des rebellions. La rébellion des Mulelistes dans la province de Léopoldville précisément dans le (Bandundu), les lumumbistes dans les provinces de l’Est du Congo (Benoit Verhaegen, Rebellions au Congo) et la sécession au Katanga dans le Sud-Est (J. Gérard Libois).
Deuxième génération : la classe de thuriféraires de 1965-1997
A l’avènement de la deuxième République (1965-1997), le Chef de l’Etat Joseph Désiré Mobutu fait appel pour la deuxième fois aux universitaires congolais vivant à l’étranger et au pays. Cette fois-ci, il passe par l’UGEC (Union Générale des Étudiants Congolais) pour recruter les jeunes universitaires afin d’aider à asseoir son régime.
Devenus hommes politiques par la force des choses, ces universitaires n’ont joué qu’un rôle de seconde zone sur l’échiquier politique national. Le rôle de premier plan était alors joué par les anciens évolués (les commis et clercs) qui avaient participé à la lutte qui mena le Congo à l’indépendance le 30 juin 1960. Ces commis et clercs sont restés influents au sein de l’Etat jusqu’au déclenchement de la crise économique provoquée par la « Zaïrianisation » des sociétés commerciales et industrielles détenues par les hommes d’affaires étrangers en 1973.
Ce système fonctionnait sous la supervision d’un ancien cadre universitaire d’origine rwandaise comme Directeur de Cabinet du Président Mobutu recruté par le colonel belge Powis de Tembosh, éminence grise du général Mobutu. De Tembosh était à la tête du cabinet du président Mobutu et des services spéciaux comme œil de la Belgique sur les affaires congolaises avant d’être remplacé par un colonel congolais.
La page des clercs et commis étant tournée, celle des universitaires s’ouvrait. Du jour au lendemain, des professeurs d’universités ont été propulsés au premier plan de la scène politique. Dès 1976, par ordonnances présidentielles, Mobutu se met à confier la gestion des postes stratégiques du gouvernement à certains professeurs d’universités mais sans que le nouvel homme fort du Congo ne cède réellement une seule parcelle de son pouvoir.
Pour solidifier son pouvoir, le président Mobutu avait créé le 27 juin 1974 l’Institut Makanda Kabobi dirigé par des philosophes et d’autres penseur avec comme mission la formation idéologique des cadres et des militants du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) parti-Etat. (Actes du 2ème Congrès ordinaire du MPR).
Par ailleurs, la nomination des professeurs aux postes gouvernementales a coïncidé avec l’élaboration des plans successifs de stabilisation économique élaborés à partir de 1976, sous l’égide du Fond Monétaire International (FMI) dans le cadre du programme d’Ajustement Structurel. Pour être sûr que ces plans de stabilisation soient exécutés, le FMI avait lui-même recommandé au président Mobutu certains intellectuels Congolais pour occuper les postes de Ministre des Finances, de Ministre de l’Économie et parfois le poste de Premier Ministre (commissaire D’État). Il en va de même de certaines ambassades occidentales accréditées à Kinshasa qui proposaient des candidats ministres au Gouvernement congolais pour défendre les intérêts de leurs propres pays.
Cette période sombre de l’histoire de la RDC va plonger les populations dans une misère incommensurable. En effet, les intellectuels imposés à l’Etat congolais, au service de la Banque mondiale (BM) et du Fond monétaire international (FMI) vont contribuer au démantèlement de l’Etat zaïrois (congolais).
A cet égard, Jean-Philippe Peemans dans son ouvrage « Crise de la modernisation et pratiques populaires au Zaïre et en Afrique », démontre que le gouvernement du premier ministre Kengo, un recommandé des institutions internationales et de la Belgique, a décidé en 1995 de limoger la moitié des 600.000 fonctionnaires nominalement employés, un nombre que le Fmi voudrait voir réduit à 60.000.
A la fin du régime du président Mobutu, certains universitaires devenus politiciens ont trahis leur mentors en collaborant avec les rwandais et les ougandais pour le chasser du pouvoir le 17 mai 1997 par la guerre menée à partir du Rwanda et de l’Ouganda, guerre soutenue par les puissances occidentales avec leurs multinationales.
Résultat, ceux qui ont collaboré avec les ennemis ont trouvé des places dans le nouveau régime sous le patronage de l’Occident surtout de l’Ambassadeur américain accrédité à Kinshasa qui convaincu des militaires hauts gradés et des ministres de coopérer avec la rébellion. Ceux qui ont rejeté l’offre occidentale, se sont exilés en Europe et dans certains pays africains.
Troisième génération : la classe des mercenaires de 1997 à ces jours
Le changement de régime survenu le 17 mai 1997 avec l’avènement de l’Alliance Démocratique de Libération (AFDL), dirigée par le président Laurent-Désiré Kabila, n’a nullement modifié le parcours que devaient emprunter les intellectuels congolais pour entrer en politique. Une bonne partie de la Diaspora intellectuelle avait rejoint l’AFDL à partir du Rwanda et l’Ouganda tandis que d’autres qui trainaient encore en Europe et Amérique après leurs études universitaires se sont déversés sur Kinshasa à la recherche d’une éventuelle nomination au Gouvernement.
Et sur place à Kinshasa, certains intellectuels à côté d’analphabètes et d’anciens mobutistes se sont retrouvés sous les arbres de l’Hôtel Intercontinental de Kinshasa où étaient logés les responsables de la rébellion de l’AFDL, à la recherche d’un éventuel poste politique. C’est donc sans surprise qu’à la publication du premier gouvernement du Président Laurent-Désiré Kabila, certains intellectuels furent propulsés ministres, par décrets présidentiels pour avoir permis à Laurent-Kabila de prêter serment en qualité de nouveau Chef de l’Etat sur base de l’exhumation du décret 003 de 1885 signé par Léopold II, alors président de l’Etat Indépendant du Congo.
Derrière toutes ces manœuvres se trouve le véritable nouveau maître du Congo : le Général rwandais James Kabarebe commandant de la rébellion devenu chef d’Etat-Major de l’armée congolaise (1997-1998) et actuellement nommé par le président Paul Kagame, ministre rwandais de la Coopération régionale.
Après l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila le 16 janvier 2001 et l’installation de Joseph Kabila comme président de la République à l’âge de 29 ans sans maturité politique, une fois encore ; certains intellectuels sont nommés ministres, Directeurs Généraux des entreprises publiques et d’autres comme responsables des institutions d’Etat.
A la manette cette fois se trouve un ingénieur civil et ancien gouverneur du Katanga : Katumba Mwanke, surnommé le Vice-Roi par ses proches. En réalités, il était à la tête de la cellule d’espionnage et de contre-espionnage. Il trouvera la mort mystérieuse dans un accident d’avion dans la province à Bukavu en 2012.
Après la mort de monsieur Katumba Mwanke, l’autre gardien apparait. Il s’agit de Maitre Ruberwa, l’ancien Vice-Président pendant la transition démocratique de 2002 à 2006. Très proche du président Rwandais Paul Kagame, il occupera après les élections de 2006, le poste de ministre de la Décentralisation d’une manière permanente jusqu’au premier gouvernement du Président Félix Antoine Tshisekedi.
D’ailleurs, c’est lui qui était le négociateur principal du côté du gouvernement de Joseph Kabila pour le compte du Front Commun pour le Congo (FCC) des accords de coalition avec l’opposition (CACH). Il quittera le gouvernement après la création de l’Union sacrée en 2021 par le président de la République Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Avec la création de l’Union Sacré de la Nation, plusieurs hommes politiques de Front Commun du Congo se sont déversés dans cette nouvelle plate-forme jusqu’à l’élection présidentielle de 2024.
Conclusion
L’échec des intellectuels en politique est dû au mode de recrutement, l’absence de volonté de puissance et à la nature de l’Etat hérité de la colonisation (Crawford Young, The Postcolonial in Africa, 2012). A cet égard, les propos du ministre de la justice du gouvernement Félix Tshisekedi sont révélateurs : « Moi, je ne suis pas là pour entrer dans la maffia. Je ne suis pas là pour ça. Ils ont tenté de me faire entrer dans leurs réseaux, j’ai refusé, ils le savent ». Tout est clair : la mafia s’est installée au Congo de Lumumba.
Freddy Mulumba Kabuayi
Politologue
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