Joseph-Désiré Mobutu, Jonas Mukamba, Etienne Tshisekedi : 3 cadres du MNC présidé par Patrice Emery Lumumba
Joseph-Désiré Mobutu est un ancien militaire de la Force Publique où il a fait ses 7 ans de service (1949-1956). Il s’est ensuite converti dans le journalisme. Il est né le 14 octobre 1930 à Lisala dans la province de l’Equateur. Il fréquente, dans le milieu politique congolais d’avant l’indépendance, Patrice Emery Lumumba avec lequel il a développé une grande amitié. Lumumba considère Mobutu comme son jeune disciple, l’équivalent aujourd’hui de « Petit ya confiance », dans le jargon kinois.
Justement, Patrice Lumumba, Joseph Ileo, Joseph Ngalula, Gaston Diomi, Cyrille Adoula, et d’autres camarades, créent le 10 octobre 1958 le parti politique dénommé MNC (Mouvement National Congolais). La présidence en est confiée à Patrice Lumumba. Joseph Ngalula, ami personnel de Patrice Lumumba et notable luba du Kasaï, va amener beaucoup de jeunes originaires de sa province à intégrer ce nouveau parti politique.
C’est ainsi que Jonas Mukamba et Etienne Tshisekedi y adhèrent. Etienne Tshisekedi est même promu, représentant du MNC à l’Université de Lovanium. Qui est-il ? Etienne Tshisekedi est un jeune kasaïen qui est né le 14 décembre 1932 à Luluabourg (Kananga). En 1958-1959, il est étudiant en Droit à l’Université de Kinshasa. Il fréquente Joseph Ngalula. Jonas Mukamba, quant à lui, est né le 4 janvier 1930 à Tshikapa dans la province du Kasaï. Il est aussi un proche de Joseph Ngalula qu’il a connu par l’intermédiaire de l’abbé Malula. Il est, en 1959, parmi les cadres du MNC installés à Bruxelles. Ses autres camarades dans la capitale belge sont : Joseph-Désiré Mobutu, André Mandy et Evariste Loliki.
Lors de la scission en 1959 du MNC en deux ailes rivales (MNC-Lumumba et MNC-Kalonji), Jonas Mukamba, comme Etienne Tshisekedi d’ailleurs, rejoint le MNC-Kalonji ; alors que ses camarades de Bruxelles (Mobutu, Mandy, Loliki) restent fidèles à Patrice Lumumba en demeurant dans le MNC-L.
Joseph-Désiré Mobutu, vice-ministre dans le gouvernement Lumumba
Les élections législatives de mai 1960 donnent une large victoire au MNC-Lumumba et ses alliés, qui obtiennent 41 sièges sur les 137 que compte l’assemblée nationale. Tandis que le groupe rival du MNC-Kalonji et alliés n’obtient que 8 sièges de députés nationaux. Malgré la coalition majoritaire au parlement que Lumumba forme avec le PSA d’Antoine Gizenga (13 députés), du CEREA d’Anicet Kashamura (10) et la BALUBAKAT de Jason Sendwe (6), le premier ministre du Congo met en place un gouvernement d’union nationale dans lequel toutes les grandes tendances sont représentées. En ce qui concerne le MNC-L, Lumumba aligne, entre autres, Joseph-Désiré Mobutu, qu’il a fait revenir de Bruxelles, comme vice-ministre près le Premier ministre. A l’époque, ce poste s’appelait secrétaire d’Etat à la Présidence du Conseil. André Mandy lui se retrouve vice-ministre aux Affaires Etrangères.
A la suite de la mutinerie des militaires de la Force Publique qui débute le 5 juillet 1960, le premier ministre Patrice Lumumba limoge le général Janssens de la tête de l’armée. Il réintègre Joseph-Désiré dans l’armée avec le grade de Lieutenant-Colonel et le nomme chef d’Etat-major de l’ANC (Armée Nationale Congolaise, nouvelle dénomination de l’armée).
Le colonel Mobutu fait son premier coup d’Etat et nomme Jonas Mukamba et Etienne Tshisekedi
Le 5 septembre 1960, un conflit politique éclate entre le président de la République Joseph Kasa-Vubu et le premier ministre Lumumba. Le président limoge le 1er ministre et le 1er ministre destitue le président. C’est la confusion au sommet de l’Etat. Le 14 septembre 1960, le Colonel Mobutu, numéro 1 de l’armée, « neutralise » le président Kasa-Vubu et le 1er ministre Lumumba. C’est un coup d’Etat. Le premier de Mobutu.
Pour gérer le pays, il met en place le Collège des Commissaires Généraux dirigé par Justin-Marie Bomboko, son complice. Parmi les jeunes universitaires nommés, il y a Jonas Mukamba au ministère du Travail. Etienne Tshisekedi est adjoint de Marcel Lihau au ministère de la Justice. Il parait que c’est Bomboko qui aurait recruté Etienne Tshisekedi au sein du collège ; même si Mobutu connaissait de vue Etienne Tshisekedi pour avoir tous milité au sein du MNC avant la scission. Le collège des commissaires généraux prendra fin le 9 février 1961.
Le général Mobutu fait son second coup d’Etat
Le 24 novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu, sous couvert du Haut-commandement, fait son deuxième coup d’Etat en démettant, cette fois-ci définitivement, le président Kasa-Vubu et se proclame Chef de l’Etat.
Le jeudi 25 novembre, soit le lendemain du coup d’Etat, Jonas Mukamba, qui est le nouveau gouverneur élu de la province du sud-Kasaï (actuelle Kasaï-Oriental) reçoit un appel de Kinshasa qui le surprend. Au bout de la ligne, le nouveau président de la République, le général Joseph-Désiré Mobutu, qui le salue de manière courtoise (on se souvient qu’ils ont milité ensemble dans le MNC à Bruxelles) et lui passe le nouveau premier ministre, le colonel Léonard Mulamba pour une communication. Ce dernier va alors expliquer au gouverneur Mukamba leur préoccupation. Le président Mobutu demande au gouverneur Mukamba de sélectionner les candidats ministrables de sa province.
Le président Mobutu a demandé aux députés et sénateurs de chaque province de lui proposer deux noms de candidats et le nouveau chef de l’Etat en choisira un pour le nommer ministre du gouvernement central. Les élus nationaux de toutes les autres provinces s’étaient déjà acquittés de ce devoir en remettant leurs listes de deux personnalités ministrables. La seule province qui posait problème est justement celle du Sud-Kasaï. Au lieu de deux noms demandés, les élus de cette province ont envoyé cinq noms. En effet, on retrouve sur cette liste, les noms suivants :
1° Albert Kalonji (Sénateur)
2° Joseph Ngalula (Député)
3° Honoré Kadima (Député)
4° Constantin Tshala-Muana (Député)
5° Etienne Tshisekedi (Député)
Le président Mobutu et le premier ministre Mulamba demandent alors à Jonas Mukamba, en tant que gouverneur de la province dont sont originaires ces candidats ministres, de les aider à sélectionner deux noms sur les cinq proposés. Jonas Mukamba va solliciter auprès du Colonel Mulamba un délai de 48h. Ce qui lui est accordé.
Un exemple-type de géopolitique à la congolaise
A Mbuji-Mayi, le gouverneur Mukamba convoque le vendredi 26 novembre une réunion d’urgence avec l’honorable Barthélemy Dibumba, président de l’Assemblée provinciale du Sud-Kasaï et l’honorable Anaclet Makanda, premier vice-président de la même assemblée. Après avoir exposé le problème, Jonas Mukamba va faire des propositions.
Première proposition, il faut enlever Albert Kalonji et Joseph Ngalula de la liste des cinq candidats. Parce que, dit-il, leur conflit politique personnel avait dégénéré en conflit clanique entre les luba de la montagne (Bena-Mukuna) et ceux de la plaine (Bena-Tshibanda). Et ce concept nocif des gens d’en haut et ceux d’en bas a occasionné la mort des centaines de personnes au sein de la communauté luba du Sud-Kasaï. Par conséquent, ils sont indignes de représenter la province.
Les deux partenaires de Mukamba acquiescent à cette idée. Donc, Kalonji et Ngalula sont éliminés de la liste. Deuxième proposition du gouverneur : il faut soustraire aussi de la liste Honoré Kadima et Constantin Tshala-Muana. La raison avancée par Jonas Mukamba est simple : les deux politiciens sont originaires du même secteur que lui ; le secteur de Tshilenge. Dans le souci de respecter l’équilibre géopolitique provincial, on ne peut pas avoir un ministre national et un gouverneur de province originaires du même coin. Cette seconde proposition est aussi approuvée.
Etienne Tshisekedi reste le seul candidat pour le quota de la province
En définitive, sur la liste des cinq candidats, il ne reste plus qu’un nom : Etienne Tshisekedi. Celui-ci n’est pas ressortissant du même coin que le gouverneur Mukamba. En plus c’est un universitaire. C’est, en effet, le premier juriste congolais formé à l’Université de Lovanium. Donc, son profil convient bien à un poste ministériel. Le samedi 27 novembre 1965, le gouverneur Mukamba, accompagné du vice-président Makanda, débarquent à Kinshasa avec la lettre officielle de désignation d’Etienne Tshisekedi comme candidat de la province du Sud-Kasaï au gouvernement central. Arrivés au Mont-Ngaliema, nos deux provinciaux sont loin de se douter de la surprise qui les attend.
Justin-Marie Bomboko et Victor Nendaka s’opposent à la candidature d’Etienne Tshisekedi
Reçus à la présidence, le gouverneur Mukamba et le vice-président Makanda présentent leur lettre au président Mobutu et au premier ministre Mulamba. Et là, ils sont surpris d’apprendre que deux grands politiciens et proches du nouveau président de la République, Justin–Marie Bomboko et Victor Nendaka, pour ne pas les citer, s’opposent à la nomination d’Etienne Tshisekedi au gouvernement central.
La raison avancée est qu’Etienne Tshisekedi est un élu (député) de la CONACO (Convention Nationale Congolaise), la plateforme politique de Moïse Tshombe, qui est considéré comme un opposant. Bomboko et Nendaka souhaiteraient plutôt voir Constantin Tshala-Muana, qui est de leur obédience, occuper le poste de ministre national pour la province du Sud-Kasaï. Jonas Mukamba va alors développer tout son talent d’orateur pour convaincre le président Mobutu et le colonel Mulamba que la candidature d’Etienne Tshisekedi est la meilleure pour le gouvernement central, vu son profil, et pour la province du Sud-Kasaï, pour la géopolitique provinciale.
Le président Mobutu tranche en faveur d’Etienne Tshisekedi
En fin de compte, le général Mobutu sera convaincu par les arguments de Jonas Mukamba. Puis, le lendemain, le dimanche 28 novembre 1965, soit 4 jours seulement après la prise du pouvoir, la liste des membres du nouveau gouvernement est publiée. Etienne Tshisekedi apparait comme le ministre de l’Intérieur et Affaires Coutumières. Ainsi commence une bonne décennie de collaboration et d’amitié entre le président Mobutu et Etienne Tshisekedi. Jusqu’à la fin des années 1970, lorsque les chemins de ces deux grandes personnalités vont se séparer. Mais la confrontation politique va débuter dans les années 1980. Ce combat politique entre ces deux anciens partenaires va être brutal, violent et énergivore. A tel point qu’à la fin, c’est-à-dire en mai 1997, les deux protagonistes vont quitter la scène politique épuisés.
Pour le Marechal Mobutu, la retraite est définitive. Il mourra au Maroc trois mois et demi plus tard (le 7 septembre 1997). Etienne Tshisekedi mettra, quant à lui plusieurs années pour reprendre son souffle. Mais il ne retrouvera plus jamais la même vigueur et la même combativité affichées dans le duel politique qui l’avait opposé au président Mobutu. Mais ça c’est une autre histoire.
A suivre !
Vos observations, corrections et critiques sont les bienvenues
Mes vifs remerciements au Patriarche Jonas Mukamba pour m’avoir fourni les informations à la base de cette page d’histoire. Que Dieu vous garde !
Thomas LUHAKA LOSENDJOLA
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