Thème développé par Le Professeur Émérite Raphaël Nyabirungu Mwene Songa aux assises des États Généraux de la Justice Congolaise.
INTRODUCTION
Les États généraux de la Justice sont une façon de dire qu’au moment où nous siégeons, rien ne va dans la justice, tout va mal dans la justice et qu’il faut que ça change. Et le Ministre d’Etat à la Justice s’est dit qu’à partir du constat que la justice est malade, la démarche, et donc la solution, deviennent claires : designer la maladie, prescrire le médicament à prendre pendant un temps, et la machine repart pour une justice en bonne santé.
Comme ce serait simple ? Nous n’en sommes pas à nos premiers États généraux. Pourquoi 9 ans après, les mêmes acteurs que nous sommes, nous, citoyens, justiciables, professeurs de droit, juges et officiers du ministère public, avocats, institutions publiques, établissements et services publics, etc. revenons- nous toujours avec les mêmes problèmes, la même maladie jamais guérie.
Ici apparaît ma conviction : nous avons la mauvaise habitude de nous prendre tous pour des législateurs, sans nous poser la question de nos valeurs, telles qu’elles ont été définies par nos pères de l’indépendance, lorsqu’ils la voulaient immédiate, complète et souveraine, telles qu’elles ont été mises en œuvre par nos pères fondateurs lorsqu’ils ont vite dénoncé une Loi fondamentale coloniale pour la remplacer, en 1964, par la Constitution de Luluabourg, première Loi fondamentale du Congo démocratique, malheureusement mise définitivement en berne par Mobutu, par son coup d’Etat du 24 novembre 1965.
En nous référant à nos pères fondateurs, nous aurions vite appris que, dès le 30 Juin 1960, Patrice Lumumba annonçait la suppression de toutes les lois coloniales, car naturellement et profondément injustes. Les colonialistes ne lui donneront ni le temps de vivre, ni le temps d’engager ses réformes.
Et comme si les héros étaient toujours irremplaçables, voilà que nous continuons à brandir un Code pénal de 1940 et un Code de procédure pénale de 1959.
Disons un mot de chacun de ces textes, avant de terminer avec quelques considérations sur l’administration pénitentiaire.
I. CODE PÉNAL
Notre Code pénal remonte à la coordination du 30 janvier 1940, réalisée par l’autorité coloniale.
Lorsque nous savons que le droit pénal est un instrument au service de l’ordre public et social, pour la protection, la sauvegarde et le maintien de la paix au profit des institutions et des citoyens, il devient inimaginable qu’un code pénal colonial, qui a assuré l’ordre public colonial, fait d’esclavage, de l’exploitation et de l’humiliation de notre peuple par Léopold II, ses contemporains et ses descendants, soit toujours là, avec la prétention d’assurer un ordre public désormais au service d’un peuple souverain et indépendant. Un code pénal colonial est incompatible avec l’ordre public profitable à un peuple libre. Ou alors et en d’autres termes, c’est parce que nous n’avons jamais été libres et libérés de la colonisation et de la domination qu’un Code pénal colonial continue à nous régir.
Le 30 Juin 1960, le premier Ministre Lumumba déclarait que nous allions abolir tous les textes légaux de la période coloniale, réputés injustes, recommandation tout à fait pertinente, mais que personne n’a suivie en ce jour, en ce qui concerne le Code pénal.
Celui-ci aurait dû être balayé dès le premier jour de notre Indépendance.
Je n’ai aucune envie de m’attarder sur certaines dispositions tendant à réduire nos modes de pensée et nos pratiques sociales, à la sorcellerie et à la superstition. Par contre, on peut suggérer quelques idées de nature à apporter une certaine libération de notre Code de l’emprise coloniale, en même temps qu’elles permettraient de disposer d’un Code pénal prenant désormais en compte les évolutions historiques, économiques, sociales, culturelles et technologiques de notre société et de notre temps.
Ainsi, nous pouvons donner les PROPOSITIONS suivantes :
Proposition numéro 1
Le Code pénal doit préciser sa finalité et son objet.
A titre d’exemple : « Le Code pénal a pour objet essentiel de concourir à la sécurité de l’Etat, des personnes et leurs biens par le maintien de l’ordre public et de la paix, la prévention du crime et, en cas d’insuffisance de celle-ci, la punition, le traitement, l’amendement et la mise hors d’Etat de nuire de son auteur, dans le respect de l’équité, de l’impartialité et de la dignité humaine ».
Proposition numéro 2
Le Code pénal doit consacrer la compétence du gouvernement, par les soins de son ministre des affaires étrangères, l’interprétation des traités. Ceux-ci échappent à l’interprétation de l’autorité judiciaire lorsqu’ils soulèvent une question relative à l’ordre public international, une telle interprétation s’imposant au juge de l’ordre judiciaire et devant recevoir application.
Proposition numéro 3
Le Code pénal doit veiller à l’intégration dans la loi des acquis jurisprudentiels de l’interprétation évolutive.
Proposition numéro 4
Le code pénal doit renouveler les dispositions sur l’extradition pour mieux répondre aux impératifs de la coopération internationale contre les crimes les plus graves, tels que les crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, et le crime organisé.
Proposition numéro 5
Le Code pénal doit contenir expressément la définition de l’infraction, de peur que ne deviennent punissables de simples vœux, des exhortations, des souhaits ou autre comportement ambigu ou vaguement défini, dans le respect du principe majeur du droit pénal, à savoir : la légalité des infractions, des peines et de la procédure.
Proposition numéro 6
Le Code pénal doit prévoir et définir les causes de justification, compte tenu de leur importance dans le fonctionnement même du système pénal et dans la mise en œuvre des règles pénales.
Proposition numéro 7
Le Code pénal doit contenir une limite à la justification, dans la mesure où il existe des situations où, quelles que soit les circonstances, le fait ne saurait être justifié. Il en est ainsi des violations des interdits de type humanitaire, tels qu’ils sont prévus et définies par les conventions de Genève du 13 aout 1949 et leurs Protocoles additionnels, ainsi que par le Traité de Rome portant création de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.
Proposition numéro 8
Le Code pénal, par une disposition expresse, doit supprimer toutes immunités pénales lorsqu’il s’agit des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Proposition numéro 9
L’immunité de la presse doit être élevée au rang d’un droit Constitutionnel, comme le suggéré déjà l’article 30, alinéa 6 du projet de Constitution de la Conférence Nationale Souveraine (CNS).
Proposition numéro 10
Le Code pénal doit consacrer la responsabilité pénale des personnes morales de droit privé.
Proposition numéro 11
Le Code pénal doit définir l’élément moral, et faire de la faute (culpa) le minimum exigible pour toute infraction pénale.
Moyennant une réflexion plus approfondie, d’autres propositions sont possibles aussi bien au niveau de l’infraction que des sanctions pénales pour libérer notre code pénal de l’emprise coloniale et lui conférer la modernité, dans un Etat désormais libre et souverain.
II. LE PROCES PENAL OU QUAND L’INJUSTICE TIENT LE PENAL EN L’ETAT
De manière générale, la Justice pénale en RDC est sujet de graves préoccupations. Il suffit, pour s’en convaincre, d’être attentif et d’entendre autour de soi, en famille, sur le lieu de travail ou de loisirs, au marché ou dans les églises : la justice congolaise est décriée, vilipendée et dénoncée comme n’offrant aucune garantie dans l’accomplissement de sa mission. Elle n’inspire pas confiance, elle ne protège pas les citoyens et assure l’impunité aux puissants.
Pour nous limiter à la justice pénale, objet de notre plus grande sollicitude, nous pouvons nous référer aux chroniques judiciaires, pour constater et comprendre combien la justice est jugée par les justiciables, ceux-là même qui étaient en droit d’en attendre protection et qui, malheureusement, sont constamment et régulièrement déçus, soit par des condamnations arbitraires et iniques, soit par l’impunité due à la complaisance dans l’administration de la justice
Le mal dont souffre la justice pénale congolaise est connu de tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la justice et de tous ceux auxquels la justice peut s’intéresser.
Finalement, l’opinion publique n’hésite pas de qualifier ce mal et de dire qu’il a pour nom l’ignorance et la mauvaise application de la loi, la corruption, le trafic d’influence, le tribalisme, le népotisme, le favoritisme, l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire par l’exécutif, les pressions politiques à tous les niveaux, les règlements des comptes entre hommes et femmes du pouvoir et entre magistrats eux-mêmes
Le mal est connu de tous, tantôt quand on en est victime, et tantôt quand on l’inflige aux autres.
Comme on le voit, il y a du beau monde qui, d’une façon ou d’une autre, concourt à incuber, à propager et à rendre le virus qui gangrène la justice chaque jour plus répandu, plus virulent et finalement mortel pour chacun et pour notre Nation.
Ce virus qui ronge la justice pénale est d’autant plus mortel qu’il émanerait de, ou qu’il serait entretenu et amplifié par ceux-là qui ont en charge la gouvernance de l’Etat, la législation et l’application des lois dans le sens de les respecter et de les faire respecter en toutes circonstances.
III. ADMINISTRATION PENITENTIAIRE
Je ne sais pas s’il y a une institution aussi triste en RDC que son institution pénitentiaire.
A nous limiter aux images les plus récentes, cette institution pénitentiaire ne mérite pas cette appellation car l’institution pénitentiaire ou la prison furent créées pour des hommes et des femmes qui, par leurs actes criminels, ont rompu le lien harmonieux qui existe entre l’Etat et ses citoyens, mais dont on ne désespère pas, et qui, par leur séjour plus ou moins long en prison, peuvent méditer sur leur crime, reconnaitre leurs torts, recevoir un traitement approprié et promettre qu’on ne les y prendra plus.
Cette définition, si imparfaite fusse-t-elle, mais proche de la vérité, peut-elle être proche ce qu’on fait ou on attend de la prison congolaise ?
Nenni ! Diraient, les Anciens
En attendant la nécessaire et urgente construction des prisons ayant la capacité d’accueillir tous ceux qui y ont droit, il est utile de rappeler deux orientations majeures à avoir toujours présentes à l’esprit :
1ère orientation : Les prisons doivent permettre, autant que possible, la réalisation, en leur sein, des fonctions traditionnelles de la peine, dont l’importance et la pertinence dépendent de chaque société, de chaque époque et d’autres circonstances de l’espèce
Il s’agit notamment des fonctions suivantes :
- La fonction vindicative ;
- La fonction morale et rétributive ;
- La fonction de prévention individuelle ;
- La fonction de prévention générale ;
- La fonction éliminatrice, remplie aussi bien par la prison que par la peine de mort ;
- La fonction réparatrice ;
- La fonction symbolique.
2ème orientation : les infrastructures pénitentiaires doivent demeurer un cadre où les caractères de la peine sont soigneusement et scrupuleusement respectés :
- La légalité ;
- L’égalité ;
- La personnalité ;
- La proportionnalité ;
- La dignité humaine.
CONCLUSION
Comme vous l’avez compris, le sujet qui nous a été confié est immense et même si les Etats généraux sont un cadre politique éminent pour le traiter, il reste vrai par contre que 15 minutes ne sont absolument pas le cadre horaire approprié pour l’épuiser
On voit donc qu’il y a nécessité et urgence de prolonger la réflexion entamée ici dans un cadre exclusivement consacré à la justice pénale ordinaire, à laquelle participeraient notamment des Professeurs et des praticiens du droit, afin que la nation dispose des hommes et des femmes, d’un code pénal et d’autres textes particuliers ou complémentaires, à la hauteur de la République démocratique, libre, souveraine et moderne.
Professeur Émérite Raphaël Nyabirungu Mwene Songa