Le récent accord passé entre la RDC et le Rwanda visant à mettre fin à la présence des troupes rwandaises en RDC ainsi qu’à l’activisme du M23 suscite des commentaires en tous sens dans les milieux politiques à Kinshasa comme dans l’Est du pays. D’aucuns estiment, en effet, que cet accord est déséquilibré en défaveur de la RDC qui se fait porter indûment la culpabilité de la question rwandaise alors que Kigali, agresseur, a le beau rôle d’avoir réussi littéralement à subordonner son retrait par la neutralisation des FDLR.
Congo Guardian a approché notre confrère Nicaise Kibel’Bel Oka, spécialiste de la question sécuritaire de l’Est depuis une trentaine d’années, pour comprendre ce nouveau dispositif et ses implications politiques, militaires et diplomatiques.
Dans l’entretien ci-dessous, il estime que, « le gouvernement congolais a fauté en s’engageant à « neutraliser » les FDLR sans contrepartie en retour qui serait le retrait des troupes rwandaises du Congo assorti d’une autre clause que Kigali arrête de créer des rébellions au Kivu et de les soutenir, en l’occurrence le M23 ». Il fait remarquer, par exemple, que « les FDLR ne sont pas sur le territoire rwandais mais l’armée rwandaise a envahi le Congo. C’est deux choses différentes. Cette nuance, vraisemblablement, les négociateurs congolais ne la connaissent pas ».
Sur l’autre revers de la situation, notre confrère rappelle que « l’agression rwandaise est bel et bien actée », car Kigali n’a aucune raison valable justifiant la présence de ses troupes sur le sol congolais. « Depuis juin 2021 que la RDF occupe une grande partie de la province du Nord-Kivu, combien de FDLR a-t-elle neutralisé ? », se demande Nicaise Kibel’Bel avant de faire remarquer encore : « si le Rwanda est incapable de présenter les statistiques vérifiables mais continue à conquérir des localités congolaises, cela signifie que la question des FDLR n’est que l’arbre qui cache la forêt ».
Et il ne manque pas cette remarque de nouveau : « L’on s’étonne que les Congolais ne puissent pas comprendre la géopolitique de la violence armée ». Avant d’estimer, pour sa part, que ce nouvel accord n’aura aucun effet puisque cela à tout l’air d’un marché des dupes.
Même attitude de perplexité face au déplacement d’une dizaine de députés nationaux en Ouganda qui est un autre agresseur de la RDC. Nicaise Kibel’Bel, qui ne comprend pas l’inutile levée des boucliers suite aux salutations militaires du Gouverneur du Nord-Kivu à une autorité rwandaise en visite en RDC, pense que la partie congolaise souffre d’un grave déficit de stratégies dans son action politique et diplomatique.
Entretien à bâtons rompus avec Nicaise Kibel’Bel Oka
Congoguardian : Kinshasa et Kigali viennent de signer, sous la facilitation angolaise, un accord prévoyant la mise en place d’un mécanisme conjoint de vérification, un dispositif qui n’est pas nouveau dans la récurrente crise sécuritaire à l’Est de la RDC et dans la région des Grands lacs. De quelle efficacité ce mécanisme a-t-il jamais été depuis près de 30 dernières années ?
Nicaise Kibel’Bel Oka : En 2009, le Général de brigade Gisenyimana (Armée rwandaise) estimait : « Le Rwanda n’a plus aucun prétexte pour chasser les FDLR. Nous sommes venus dans le cadre des opérations militaires conjointes ». Le Général John Numbi pouvait se permettre de déclarer : « Voici une guerre qui se termine parfaitement bien ». (Forum des As N°3304 du mardi 3 mars 2009). Je commence par cette information livrée in tempore non suspecto. Cela n’a pas empêché le Rwanda de soutenir une nouvelle rébellion (M23). Il faut simplement souligner qu’il n’y a pas la volonté politique de la part de Kigali de vivre en paix avec ses deux voisins (la RDC et le Burundi). Cela est dû à des objectifs diamétralement opposés et qui éloignent toutes les chances d’un retour à la paix et d’un vivre ensemble harmonieux.
CG. : En quoi consiste ce nouveau mécanisme qui le rendrait différent des précédents, même ceux qui étaient plusieurs fois passés sous l’égide de l’ONU à travers la MONUSCO ?
N.K.O. : Ce « nouveau » mécanisme consiste au retour de la partie rwandaise qui avait quitté la RDC aussitôt la RDF a appuyé le M23. Aujourd’hui, ils reviennent. Voilà pourquoi le qualificatif « renforcé ». En réalité, cela ne change rien dans la démarche du Rwanda, et donc, dans la recherche de la paix. Parce que bien que présents dans le Mécanisme de vérification ad hoc, le Rwanda a envahi notre territoire tout en le niant quand cela lui plaît.
CG. : Selon le nouvel accord de paix, la RDC prend formellement l’engagement de neutraliser les FDLR. Pour les analystes, cet engagement est un aveu de l’accusation du Rwanda selon laquelle le Gouvernement congolais soutiendrait ces forces négatives rwandaises contre leur pays. Qu’en dites vous ?
N.K.O. : D’abord, il y a un fait à ne pas nier. Il y a des réfugiés Hutu au Congo. Qu’ils se prénomment FDLR est un autre fait indéniable. Qu’on les qualifie des « Forces négatives », il y a là matière à débat. Que veulent les FDLR ? Là est toute la problématique des Hutu rwandais se trouvant sur le territoire congolais. Naturellement, je suis d’avis que le gouvernement congolais a fauté en s’engageant à « neutraliser » les FDLR sans contrepartie en retour qui serait le retrait des troupes rwandaises du Congo assorti d’une autre clause que Kigali arrête de créer des rébellions au Kivu et de les soutenir, en l’occurrence le M23. Car, voyez vous, les FDLR ne sont pas sur le territoire rwandais mais l’armée rwandaise a envahi le Congo. C’est deux choses différentes. Cette nuance, vraisemblablement, les négociateurs congolais ne la connaissent pas.
CG. : D’autres analystes pensent que le Rwanda remporte, par cet accord, une belle victoire diplomatique en ce que la présence de ses troupes en territoire congolais se trouve légitimée, en sorte que la RDC n’a plus à se plaindre d’une agression. Votre réaction à une telle position ?
N.K.O. : C’est une question des rapports de force. Sur ce point, la RDC ne sait pas relever le défi depuis 30 ans. L’agression rwandaise est bel et bien actée. Mais posons la question au Rwanda : « Depuis juin 2021 que la RDF [Rwanda Defense Forces, armée rwandaise, NDLR] occupe une grande partie de la province du Nord-Kivu, combien de FDLR a-t-elle neutralisé ? ». Si le Rwanda est incapable de présenter les statistiques vérifiables mais continue à conquérir des localités congolaises, cela signifie que la question des FDLR n’est que l’arbre qui cache la forêt. L’on s’étonne que les Congolais ne puissent pas comprendre la géopolitique de la violence armée.
CG. : À peine cet accord signé, on signale de nouveaux mouvements de troupes sur terrain ainsi que des affrontements et des prises de contrôle de nouveaux territoires de part et d’autre. Quelle chance de succès doit-on accorder à ce nouvel accord ?
N.K.O. : Aucune chance. Cela ressemble à un marché des dupes. Ce qui fait mal, c’est le fait que cette stratégie rwandaise date depuis Laurent-Désiré Kabila. C’est un boulet au pied de la RDC.
Il y a un problème sérieux au niveau des intelligences congolaises. Et ce sont les conséquences d’un pays qui vit du présent et qui mène des guerres du retard. Notre pays a cette qualité : il n’anticipe jamais, ne projette jamais dans le temps et dans l’espace son avenir.
CG. : Comment appréciez-vous les commentaires sur les honneurs militaires rendus à Goma au Ministre rwandais des affaires étrangères par le Gouverneur militaire du Nord-Kivu ?
N.K.O. : Voilà encore le genre de distraction au sommet des institutions. Cela me rappelle la guerre des tranchées entre Joseph Kabila et le même Vital Kamerhe en 2009. Le Nord-Kivu est dirigé par des militaires. C’est une coutume chez le militaire de saluer son hôte par le « Garde à vous ». Bien plus, la RDC avait l’obligation de créer un climat de détente et de sécurité pour ses hôtes puisque le rencontre se déroulait sur son sol. Il semble que quand Vital Kamerhe se rend au Rwanda, il ne reçoit pas les mêmes honneurs. La question à se poser est celle-ci : « Il se rend au Rwanda en quelle qualité ? ». Il semble que la RDC jouit d’une hospitalité légendaire ? J’apprends aussi que l’Assemblée nationale a délégué une dizaine de députés pour se rendre en Ouganda, un autre agresseur de la RDC. Mauvaise gestion des ambitions politiques malheureusement, et des dépenses qui ruinent le Trésor public.
CG. : Selon vous, un voyage d’une délégation de l’Assemblée nationale à Kampala est une perte d’argent ?
N.K.O. : Effectivement. C’est du tourisme politique. Ces pays-là ne sont pas gérés comme la RDC. En Ouganda, le président Museveni gère certains dossiers sensibles avec un cercle très réduit sans associer son Parlement, notamment le dossier du Congo. L’on se rappelle du dossier des Éleveurs Hima qui étaient à Karuruma dans le Bashu en territoire de Beni (parc national des Virunga). Le président Museveni a pris une décision d’autorité et les a retournés en Ouganda sans en avoir informé ni demandé l’avis de son Parlement. Des exemples ne manquent pas. Le président Museveni est toujours convaincu que des « choses sérieuses » ne peuvent jamais être débattues par plus de 10 personnes et espérer des solutions. C’est comme ça qu’il fonctionne. Je termine par cette sagesse enseignée dans la stratégie militaire : « A Rome, l’expérience de la défaite joue, plus que pour toute autre armée, un rôle fondamental dans l’évolution de la stratégie ». Cela manque à la RDC.
Propos recueillis par Jonas Eugène Kota
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